1er Atelier Lacan en Russie – Compte rendu par Daniel Roy 1er Atelier Lacan en Russie
« L’expérience d’une analyse »
Moscou – 30 sept, 1 et 2 oct. 2010
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« Nous sommes ici dans la bonne voie »
(J.A. Miller, Moscou, le 2 octobre 2010)
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Cela s’appelle un événement
Cela s’appelle un événement parce que, là où ça a eu lieu, à Moscou, en Russie, ça a introduit du nouveau. Et cela est homogène à ce que le discours analytique, avec Lacan, promet, et promeut : « Or le discours analytique, lui, fait promesse : d’introduire du nouveau » (« Télévision », Autres écrits, p. 530).
J’aime beaucoup cet « or » qui inaugure de façon énigmatique cette phrase de Lacan, car il est là comme un colophon qui nous indique un trésor précieux à trouver.
Trouver le trésor, tel était l’enjeu, en cette fin septembre, à Moscou, pour le 1er Atelier Lacan en Russie, en présence de Jacques-Alain Miller et voulu par lui, à la suite de la série de « Trois conférences d’introduction à la psychanalyse », prononcée à Saint-Pétersbourg en mai 2009.
Son titre « L’expérience d’une analyse » venait s’inscrire directement dans le droit fil des Journées de l’ECF de décembre 2009 à Paris et de juillet 2010 à Rennes : l’invitation faite aux collègues russes à « y mettre du sien », non plus autour d’un thème clinique classique, mais à partir de leur propre expérience.
Le pari était audacieux auprès de jeunes collègues, pour la plupart entrés dans l’expérience depuis peu : onze d’entre eux l’ont soutenu, et avec une audace à la hauteur de celle de notre pari ! Ce n’est hasard si les onze travaux proposés sont venus s’ordonner en trois séquences distribuées selon les trois axes freudiens de la naissance du transfert et la présence de l’analyste, de la rencontre avec le père et sa diffraction oedipienne, de l’interprétation des rêves et du discours de l’inconscient. Dans chacune des occurrences présentées, c’est avec une netteté sans pareille que la nouveauté de ce qui avait surgi dans l’analyse venait bousculer la nouveauté attendue, désirée ou crainte.
Pour Inga Metreveli, c’est une dénégation soulignée comme telle par l’analyste qui fait ex-sister une Autre scène entre rêve et réalité et mettre en énigme la position du sujet dans sa relation à l’autre sexe. Alexander Fedtchuk témoigna avec une verve toute gogolienne de la manoeuvre de son analyste qui « l’a arraché catégoriquement de tous les signifiants comme on arrache un mollusque piaillant de sa coquille » ! Irina Soboleva prit son appui sur une expression du poète Ossip Mandelstam « les absurdités admirables » pour transmettre avec brio sa découverte de l’usage singulier des paradoxes de son existence, déployés à partir d’une scène de l’enfance, « point de congélation de la position subjective ». Quant à Natalia Gomoyunova, c’est un autre paradoxe qui fut déplié par elle, celui d’Épiménide le Crétois, désigné comme tel par Jacques-Alain Miller dans son commentaire : un « je mens » d’une pureté rarement rencontrée, mis à l’épreuve de la psychanalyse et mettant celle-ci à l’épreuve.
Une journée était déjà passée et la centaine de personnes présentes savait maintenant qu’elle n’assistait pas à un « colloque » ou « congrès » dans sa forme « assoupie » habituelle : J.A. Miller à la table, dans la salle, suscitant les questions, soulignant le détail, introduisait nos collègues russes, ukrainiens (et bulgare) aux « choses de finesse en psychanalyse ».
Elles étaient encore là, ces choses de finesse, en attente, dans les interventions du lendemain où haine du père, amour du père et identification au père nous entraînèrent à la rencontre de « l’homme soviétique » au point où il se divise entre le travailleur esclave et le maître absolu et lointain. À s’y confronter, le garçon et la fille n’en sortent pas indemnes, chacun(e) à sa façon, et l’expérience analytique s’en trouve infiltrée de part en part : « savoir de quoi il ne faut pas parler », pour Natalia Mezina, faire du père un partenaire qui peut dire, depuis sa tombe, « qu’il est la raison de tout ce que tu fais » pour Daria Evseeva, « ériger la fraude comme stratégie » face aux figures du père pour Mikhail Sobolev. Il s’entend qu’il ne s’agissait pas là de bluettes, et qu’à la confiance des intervenants répondirent le tact et le respect.
Attrapés par le signifiant, nous l’étions alors tout autant que Alexandre Bronnikov, Irina Rymar, Vessela Banova et Mikhael Strakhov qui témoignèrent dans leurs interventions de la force du signifiant-maître et de l’effort de déchiffrage auquel l’analysant est convoqué pour se mettre à la hauteur de la jouissance qui s’y est fixé : les marques sanglantes de l’étoile, fixant l’horreur de la castration pour A. Bronnokov, la contrainte à « réaliser le plan » pour se livrer au maître absolu, la mort, pour I. Rymar, « à ses pieds, une boîte pleine de poussins jaunes tout petits qui la fascinaient » dans la voiture de l’oncle aimé qui va bientôt mourir, souvenir qui fixe de façon indélébile le sujet, pour V. Banova, dispositif scénique complexe qui noue ensemble la dame et les figures de la loi, et grâce auquel le sujet sort de l’aspect « anecdotique » de son analyse pour déchiffrer la structure de son désir, pour M. Strakhov.
Démonstration fut ainsi faite qu’il est possible, pour des analystes et pour de jeunes analysants, de transmettre « le nouveau » que l’expérience d’une psychanalyse a introduit pour eux. Et Jacques-Alain Miller put conclure que « ces Ateliers, c’est le prolongement des analyses, c’est conforme à la psychanalyse, et Freud lui-même a payé de sa personne, de ses rêves, de ses lapsus, de ses actes manqués,…, il a montré sur lui-même les marques sanglantes de la castration. Nous sommes dans la bonne voie, c’est audacieux pour un analyste de dire des choses comme analysant devant des personnes qui sont ses analysants, mais ça donne plutôt confiance dans l’analyste, de voir qu’il continue à s’analyser… même si cela doit garder un caractère exceptionnel ».
Un caractère exceptionnel ? Incontestablement, cet Atelier Lacan en Russie, l’a eu, non sans que Jacques-Alain Miller, lui-même, n’ait payé de sa personne ! Au nom du Groupe du Champ freudien- Russie et du Secrétariat de la NLS pour l’Europe de l’Est, nous l’en remercions.
Nous remercions aussi l’EuroFédération de Psychanalyse grâce au soutien de laquelle cet événement a pu avoir lieu.
Une autre nouveauté nous attendait à Moscou : le premier numéro du « Journal International de Psychanalyse » en langue russe, avec le texte de Lacan « La signification du phallus » et le texte de la première conférence de J.A. Miller à Saint-Pétersbourg, et cela grâce à la diligence de Judith Miller, aidée de Katya Ostachenko, qui réalisèrent ce petit miracle.
Un Atelier, une Revue, avec les activités déjà en place et les séminaires réguliers du Champ freudien, voilà de solides indications pour la voie à suivre…
Daniel ROY
Nouvelle École Lacanienne de Psychanalyse — New Lacanian School of Psychoanalysis
www.amp-nls.org http://www.amp-nls.org
Association Mondiale de Psychanalyse – World Association of Psychoanalysis
www.wapol.org http://www.wapol.org