Appel de l’éducation – Résister à tous les reculs et à tous les replis
La campagne électorale qui bat son plein dévoile la tentation d’une « pédagogie à l’ancienne » aux échos profondément « identitaires », dans une institution ultralibérale, détectant et dérivant au plus tôt les enfants « inadaptés », encourageant le développement et la création d’écoles sur le principe du « qui se ressemble s’assemble et qui s’assemble exclut ». Autoritarisme dans l’école, ultralibéralisme entre les écoles : voilà ce qui se profile à l’extrême-droite et qui semble même séduire une partie de la droite et du centre…
Or, comment ne pas voir que c’est précisément de tout le contraire dont nous avons besoin ? Face au triomphe de toutes les formes d’emprise sur les esprits – emprises publicitaires ou intégristes, emprises idéologiques et claniques –, il nous faut une pédagogie de l’émancipation, une pédagogie qui apprenne à chacun et à chacune à « penser par soi-même » : surseoir à ses pulsions, prendre le temps de la pensée, nourrir la pensée par la culture dans le cadre d’une « instruction obligatoire » qu’il serait suicidaire de réduire. Voilà l’urgence pour les éducateurs.
Face à la montée des individualismes et des communautarismes, nous avons plus que jamais besoin d’apprendre, pas seulement à « vivre ensemble » – on peut vivre ensemble lobotomisés sous la coupe d’un gourou charismatique ou chacun devant son écran, dans l’indifférence absolue aux autres -, mais, surtout, à « faire ensemble » : et l’École n’est pas seulement un lieu où chacun doit apprendre, c’est aussi et consubstantiellement, une institution où tous doivent apprendre ensemble, fraternellement, pour que, de la confrontation sereine des différences, émerge un projet commun à l’horizon du possible. Voilà l’impératif pour notre pays.
En proposant de trier les élèves dès la fin de la sixième, de mettre en place l’apprentissage à 14 ans, de « sanctionner les parents déficients » et de « restaurer » une autorité aveugle au détriment de toutes les formes de coopération et de construction collective des règles qui permettent l’adhésion de chacun et de chacune à un projet commun, le Front National propose de faire tomber sur l’École une chape de plomb dont pâtiront inévitablement ceux et celles qui n’auront pas trouvé leur panoplie de bon élève au pied de leur berceau.
Nous, professeurs, éducateurs, comme tous ceux qui dans leur quotidien mesurent les ravages de l’exclusion, de la ségrégation et l’importance de la transmission de valeurs contribuant à tisser le lien social, à favoriser la culture et le goût d’apprendre, savons que ni la haine ni la peur ne permettront de favoriser l’unité de notre nation et l’envie de vivre ensemble. Nous savons aussi qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour mettre en place une École à la hauteur des vraies ambitions de la République « Liberté – Egalité – Fraternité ».
Et, pour toutes ces raisons, nous appelons à aller voter pour faire barrage au Front National : chaque voix compte, chaque voix qui se lèvera contre la volonté d’imposer une culture de la préférence nationale, de la sélection et du rejet, là où nous, professeurs, éducateurs nous efforçons au contraire de montrer dans nos classes, auprès de ceux qui seront les français de demain, d’où qu’ils viennent, l’importance de l’égalité, de la bienveillance, de l’acceptation de soi et donc de l’autre.
PREMIERS SIGNATAIRES
Philippe Meirieu, Professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université LUMIERE-Lyon 2
François Dubet, Sociologue de l’éducation
Catherine Henri, Professeur et écrivain
Eric Favey, Vice-Président de la Ligue de l’Enseignement
Jacques Aubert, traducteur de Joyce, professeur émérite et éditeur de littérature, membre de l’Ecole de la Cause Freudienne
Françoise Sturbaut, Présidente d’Éducation et Devenir
Francette Popineau, Co-secrétaire générale du SNUIPP FSU
Eric Debarbieux, Professeur de Sciences de l’Éducation, Université Paris-Est Créteil
Maurice Daubannay, Inspecteur d’Académie honoraire
Josiane Paccaud-Huguet, Professeur de littérature anglaise moderne et de théorie de la littérature à l’Université Lumière-Lyon 2
Françoise Labridy, Professeur en Staps, Université de Nancy
Jeanne Benameur, écrivain
Virginie Leblanc, enseignante, IUT B, Université Lille 3
Cette pétition sera remise à: Virginie Leblanc