dans les cures psychanalytiques
Lacan
formula en effet être le seul à avoir donné son poids à ce vers quoi
Freud était aspiré par cette notion d’inconscient. C’est ainsi qu’il ne
cessera pas au cours de son enseignement d’interroger le statut de
l’inconscient jusqu’à en faire un concept fondamental. Car, ce n’est
point pour lui une affaire classée, même si à ce moment-là beaucoup le
considèrent comme tel.
Pour démontrer l’hypothèse de l’inconscient, il faut en passer par les mots, car « l’inconscient n’a de corps que de mots[5] ». Et si c’est avec les mots que la psychanalyse opère, la pratique du psychanalyste consiste à savoir comment.
Tous
les mots ? Certes non, puisqu’il s’agit de réduire ce qui se présente
comme un flot continu de la parole, celle à laquelle le psychanalyste
invite celui qu’il écoute. L’inconscient n’est pas cette masse de mots,
de signifiants, même si au départ Lacan avance l’aphorisme qu’il est
structuré comme un langage.
Freud
lui-même, s’il ne fait référence qu’aux jeux du signifiant pour
approcher la question de l’inconscient, fait place à des formations
électives de celui-ci, le rêve, l’acte manqué, le mot d’esprit, l’oubli,
voire le symptôme. Ce qui y est frappant, c’est qu’ils apparaissent sur
le mode de l’achoppement, de la défaillance, de la rupture, de la
faille, de la « trouvaille »[6], bref de la discontinuité. Et c’est là que Freud ira chercher l’inconscient.
Est-ce
pour autant dire que cette discontinuité relative aux formations de
l’inconscient se fait sur le fond d’une continuité ? Non, car Lacan
pointe que ce serait poser une sorte de un
antérieur à la discontinuité. En 1964, lorsqu’il questionne à nouveau
ce concept de l’inconscient, il insiste que son enseignement est de
mettre fin au « mirage auquel s’attache la référence au psychisme
d’enveloppe, sorte de double de l’organisme où résiderait cette fausse
unité[7] ».
Or,
ce mirage ne cesse de faire retour. Il n’y a qu’à tendre l’oreille à ce
que le monde des médias fait résonner, pour constater que c’est ce qui
gagne les esprits. L’on y entend ainsi s’exprimer ici et là des
psychanalystes – ainsi désignés – qui conçoivent l’inconscient comme un
espace fermé, voire un organe que l’on pénètrerait par la suggestion, en
donnant du sens, ou encore, lorsqu’ils sont enclins à ce type de
méthode, d’exploration par l’imagerie cérébrale. La préférence est ainsi
donnée à la matière, à la consistance imaginaire, à ce qui se targue
d’être scientifique, c’est-à-dire ce qui serait soi-disant prouvé.
Nous sommes loin du un de la fente, du trait, de la rupture, soit de cet un qu’est le Un de l’Unbewusste[8], terme qui désigne l’inconscient freudien et que Lacan traduira par une-bévue[9], cette traduction faisant disparaître l’équivoque du terme inconscient avec l’inconscience.
Le
rêve constitue ainsi une bévue, tout comme les autres formations de
l’inconscient. Pourtant « Le rêve n’est pas “l’inconscient”[10] »,
écrivait Freud à propos du matériel des rêves que lui apportait la
jeune homosexuelle pour le tromper et continuer à défier son père. C’est
ce désir de tromperie qui s’y réalisait et non pas celui d’aimer les
hommes.
Ainsi
Lacan dit introduire avec l’une-bévue qui fait partie du titre de son
séminaire en 1976-1977, « L’insu-que-sait de l’une-bévue », quelque
chose qui va plus loin que l’inconscient. Déjà, l’année précédente, il
avait distingué l’inconscient freudien de celui qu’il élaborait avec le sinthome, essayant « de situer ce qu’il a à faire avec le réel, le réel de l’inconscient, si tant est que l’inconscient soit réel[11] », et avait ajouté que l’inconscient participait d’une équivoque entre réel et imaginaire[12].
C’est dire que pour cerner ce qu’est l’inconscient, si nous en passons
par le passage obligé du symbolique, nous ne pouvons cependant l’y
réduire. Et Lacan souligne alors que « l’usage de la coupure par rapport
au symbolique, risque de provoquer, à la fin d’une psychanalyse, une préférence donnée en tout à l’inconscient[13] ».
D’où la notion de trou, déjà présente dans la trou-vaille,
qu’il forge avec son nœud borroméen, c’est-à-dire, en nouant le
symbolique, l’imaginaire et le réel, sans qu’aucune de ces trois
dimensions ne prenne plus d’importance que les deux autres. C’est ce
trou qu’il maintiendra jusqu’au bout, comme en 1980, quand il écrit :
« Elaborer l’inconscient, comme il se fait dans l’analyse, n’est rien
qu’y produire ce trou[14] ».
Mais
c’est ce qui peut tomber dans l’oubli. L’inconscient ne s’est-il pas
déjà refermé sur le message de Freud, grâce à la pratique des
générations d’analystes suivantes, pratique qui sutura la béance de
l’inconscient que Lacan dit ne rouvrir qu’avec précaution ?
Jacques-Alain Miller formulait aussi, il y a peu, que « Les psychanalystes payent leur statut de l’oubli de ce qui les fonde[15] ».
« Ils tiennent, poursuivait-il, une fois établis, et, au mieux, une
fois qu’ils ont rejoint leur singularité, ils tiennent l’inconscient
comme un fait de semblant, ça ne leur paraît pas un critère suffisant
pour être analyste que l’élaboration de l’inconscient[16]. »
Ainsi,
le titre retenu « Autour de l’inconscient » pointe-t-il ce trou autour
duquel se produisent les formations de l’inconscient, lesquelles
devraient varier au fur et à mesure de l’élaboration, de l’élucidation
de l’inconscient. Un rêve de début d’analyse ne devrait pas être du même
ordre que celui d’une fin d’analyse. Dès lors, il s’agira d’interroger
les formations de l’inconscient dans les cures analytiques, leur place
ainsi que leur interprétation, ce qui mettra l’accent sur la lecture
qu’en font les psychanalystes et partant sur la conception qu’ils se
sont forgée de l’inconscient aujourd’hui.
Lilia Mahjoub
Présidente de la NLS
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In
fact, Lacan claimed to be the only one to have given full weight to
what Freud aspired towards with this notion of the unconscious. In this
way he did not stop questioning the status of the unconscious throughout
his teaching, to the point of making it a fundamental concept. For
Lacan, the matter was not closed, even if many considered it to be so at
the time.
In
order to demonstrate the hypothesis of the unconscious, one must go by
way of words, for “the unconscious does not have a body except through
words”[5]. And if psychoanalysis operates with words, the practice of psychoanalysis consists of knowing how.
All
words? Of course not, since it is a matter of reducing what is
presented as a continuous torrent of words – one that psychoanalysts
invite from those to whom they listen. The unconscious is not this mass
of words, of signifiers, even if, at the start, Lacan proposes the
aphorism that it is structured like a language.
While
Freud himself approached the question of the unconscious only with
reference to the play of the signifier, he made room for its specific
formations: dreams, parapraxes, jokes, forgetting, even symptoms. What
is striking is that these formations appear in the form of a failure,
rupture, stumbling, fault, or “discovery” [trouvaille][6] – in short, a discontinuity. And it is there that Freud went in search of the unconscious.
Does
this mean that this discontinuity linked to the formations of the
unconscious occurs against a background of continuity? No, for Lacan
points out that this would be to postulate a sort of one
that is anterior to discontinuity. In 1964, when he questioned this
concept of the unconscious anew, he insisted that his teaching is to put
an end to the “mirage to which is attached the reference to the
enveloping psyche, a sort of double of the organism in which this false
unit is thought to reside”[7].
However,
this mirage constantly returns. One only has to listen to what gets put
about in the media to realise that this is what is generally believed.
One thus hears psychoanalysts – so-called psychoanalysts – expressing
themselves here, there and everywhere, who conceive of the unconscious
as a closed space, indeed as an organ that must be penetrated by
suggestion, giving it sense, or even, if they are so-inclined, as mapped
out by cerebral imaging. In this way preference is given to matter, to
the imaginary consistency, to what claims to be scientific – in other
words, to what is supposedly proven.
This is far from “the one of the split, of the stroke, of rupture” [8], namely from “the one that is (…) the Un of the Unbewusste”[9], a term that designates the Freudian unconscious and that Lacan translates as “une-bévue”[10], as one-slip, a translation that makes the ambiguity between unconscious [inconscient] and unconsciousness [inconscience] disappear.
wrote Freud with regard to the dream material that the young homosexual
woman brought to him in order to trick him and continue to defy her
father. The desire to trick is what is realised here, not the desire to
love men.
Thus, with the une-bévue that forms part of the title of his 1976-77 Seminar, L’insu-que-sait de l’une-bévue,
Lacan is introducing something that goes beyond the unconscious. He had
already, the year before, distinguished the Freudian unconscious from
the one he elaborated with the sinthome,
declaring it was “a matter of situating what the sinthome has to do
with the real, the real of the unconscious, should the unconscious
indeed prove to be real”. And he adds that the unconscious partakes of
an equivocation between the real and the imaginary[12].
In other words, to grasp what the unconscious is, we may be obliged to
pass via the symbolic but we cannot reduce it to this. And Lacan then
underlines that “the use of the cut in relation to the symbolic, risks
provoking, at the end of a psychoanalysis, a preference given wholly to
the unconscious”[13].
Hence the notion of the hole [trou], already present in the trou-vaille,
which he creates with his Borromean Knot – in other words, by knotting
the symbolic, imaginary and real, without any one of the three
dimensions taking on more importance than the two others. It is this
hole that he maintains until the end, as in 1980 when he writes: “To
elaborate the unconscious, as one does in analysis, is nothing but to
produce a hole there.”[14]
But
this can be forgotten. Hasn’t the unconscious already closed itself up
against Freud’s message, thanks to the practice of generations of
analysts who came after him, a practice that stitches up the opening of
the unconscious, which, Lacan says, he never re-opens without great
care?[15]
A short time ago, Jacques-Alain Miller also remarked that, “Psychoanalysts pay for their status by forgetting what creates them”[16].
And he continued, “Once they have established themselves, and at best,
once they have grasped their singularity, they take the unconscious to
be a matter of semblance, elaborating the unconscious not seeming for
them sufficient criteria for being an analyst”[17].
So,
our chosen title, “About the Unconscious”, indicates this hole around
which the formations of the unconscious are produced, formations which
must vary with the elaboration, the elucidation of the unconscious. A
dream at the start of analysis will not be of the same order as one at
its end. It will therefore be a matter of questioning the formations of
the unconscious in psychoanalytic treatments, their place as well as
their interpretation, and in this way putting the emphasis on the
reading that psychoanalysts make of them based on the conception that
they have constructed of the unconscious today.
Lilia Mahjoub
President of the NLS