Dans cette cinquième leçon, Éric Laurent reprend d’abord quelques points de son cours précédent. Il part de l’escabeau comme sinthome, étoffe du parlêtre, pour les séparer ensuite à partir du registre de la jouissance propre à chacun. Alors que l’escabeau est le parlêtre dans sa phase de jouissance de la parole, le sinthome est la jouissance qui exclut le sens.
Parler avec le corps-escabeau c’est passer par le défilé desmots en se soutenant de la dimension du sens. Il s’agit ici du sens joui de la parole, tel qu’il est défini dans le dernier Lacan. Et parler avec le corps-escabeau c’estparler avec une jouissance quis’éprouve dans le corps.
Eric Laurent consacre toute cette séance de son cours à étudier la dernière leçon du Séminaire XXIII, l’Ecriture de l’Ego. Ses commentaires montrent comment Lacan dans ce chapitredéfinit le corps comme le produit de l’impact du dire. Revenant à la Conférence de Jacques-Alain Miller pour le Xème Congrès, le corps dont il s’agit, l’être dont il s’agit, ne précède pas la parole,aucontraire, c’est la parole qui donne l’être à l’animal, comme effet d’après-coup. Il s’agit cependant d’un niveau dans lequel il n’y a pas de Je, défini par Lacan commeprécédent celui du stade du miroir.
Eric Laurent s’arrêteparticulièrement à la fin de la leçonX pour analyser la distinction entre le sujet de l’inconscient et le corps comme un meuble pour l’homme. Le corps qui danse (donc mobile) et qui est une condensation – ou condansation- par opposition au déplacement. Il procède ensuite à une analyse de la relation entre le réel et le nœud, qui le conduit à distinguer le réel et le monde. Lacan s’appuie dans ce passage sur la constatation que pour Freud il existe une étape du narcissisme primaire caractérisée par l’abolition du rapport de l’intérieur à l’extérieur[1].
Un autre point clé de cette leçon est de prendre l’écriture non pas comme une transcription, mais comme l’écriture d’une erreur du nœud, d’une faute. C’est grâce à cette faute qu’inconscient et réel se nouent. Dans le cas de Joyce, il parle à sa façonavec son corps, puisque pour lui l’inconscient est réel.
Eric Laurent remarque que l’écriture définit un régime particulier dans cette dernière leçon. Il s’agit de la disjonction entre écriture et représentation. Elle peut être un appui pour la pensée mais ne se confond pas avec elle. L’écriture est alors ce qui ne se pense pas. Nous ne parvenons pas à représenter avec ce que nous allons écrire, nous écrivons d’abord, et pensons ensuite.
Ce qui soutient la pensée est défini comme étant de l’ordre de l’écriture inédite, un mode précédent l’écriture. Ce qui change complètement le sens de l’écriture, et lui donne une autonomie.
Pour Lacan, l’écriture n’est pas une impression, même si elle écrit quelque chose, ce qui importec’est qu’elle cerne un vide, un trou. Il dit également que l’écriture n’est pas un instrument, un outil au service de la transcription de la parole. L’écriture passe toujours à côté. Elle porte ce qui n’a pas été dit, ce qui se situe entre les lignes. L’interligne est le premier mode d’écriture pour cerner un vide.
L’écriture des trois consistances, le nœud RSI, permet à Lacan de faire un pas de plusdans le séminaire XXIII, puisque au lieu de conserver la théorie du signifiant, il sépare dans l’écriture ce qui se module dans la voix – la parole phonétique-et ce qui s’écrit, collé au signifiant. D’où l’importance de cette écriture comme support de ce que nous pensons. La pensée est du côté de la représentation, de l’image, alors que l’écriture témoigne de ce qui n’a pas de représentation, mais qui va se coller au signifiant.
Il est nécessaire, dans un premier temps, que l’écriture soit radicalementséparée d’une perspective de transcription pour que nous puissions ensuite coller tous les signifiants que nous voulons, comme des vêtements posés sur un porte-manteau. Quand l’écriture est séparée de la dimension du signifiant et du discours, elle commence à avoir unevie propre, autonome. Elle se sépare de ce qui serait la vérité, elle cesse de servir comme écriture de la vérité. La nouvelle écriture est du côté de la lettre et de la jouissance, et sur elle vont se coller tous les circuits signifiants, dans sa contingence fondamentale.
L’écriture du nœud est ce que Lacan appelle métaphorisation. Joyce métaphorisesa relation au corps. Mais le paradoxe est que la métaphore, qui faisait un plus de sensdu côté du signifiant, fait surgir là un nouvel objet, mais dans la perte, le produit d’une perte. Et Lacan souligne que pour Joyce, avant cette métaphorisation du corps il n’y avait pas de savoir sur ce qui se passait dans le corps. Le savoir n’est pas du corps, il est de l’inconscient. Le corps est le lieu du trauma et non pas du savoir, seul le sujet hystérique a un corps fait d’évidences, donnant un sens à l’inconscient.
Traduction Eliane Calvet Relecture Ligia Gorini
Note:
[1]Lacan, J, Séminaire XXIII, Le Sinthome, p. 154