l’occasion du « Parallel Event » au Forum des ONG de la Commission de la condition des femmes
(CSW). L’auteur s’adresse à un public qui défend la cause des femmes, mais qui est, pour une part,
indifférent, voire hostile, à la psychanalyse, souvent perçue comme une doctrine trop phallocratique.
Son écriture est «orientée par un effort de faire passer la chose de la psychanalyse en enveloppant
l’insupportable par le supportable. Certes, il s’agissait de dire, mais ne pas tout dire permet de rester
dans la zone de l’audible».
femmes, la paix et la sécurité. Cette résolution réaffirme le rôle important des femmes dans la
prévention et la résolution des conflits et dans les négociations de paix. Elle souligne
l’importance de leur participation égalitaire dans tous les efforts pour maintenir la paix et la
sécurité.
Le penchant des femmes vers des actions qui promeuvent la paix n’est pas une idée
nouvelle. Ainsi est-elle présente dans une comédie d’Aristophane où l’héroïne, Lysistrata,
appelle les femmes de toutes les cités à engager une « grève du sexe », c’est-à-dire à arrêter
toute activité sexuelle tant que les hommes ne reviennent pas à la raison et ne cessent pas la
guerre entre Athènes et Sparte. Les grèves du sexe afin d’appeler à la paix se pratiquent
encore. Ainsi, en 2003, une grève du sexe au Libéria a contribué à l’obtention de la paix après
14 ans de guerre civile. En Colombie, en 2006, une telle grève a permis une diminution de la
violence des gangs. En 2009, c’est au Kenya qu’une grève du sexe a été initiée pour conduire
à l’arrêt d’un conflit interne. Et il y a encore d’autres exemples1.
Cette résolution de l’ONU est parfaitement en phase avec la perspective
psychanalytique. Néanmoins, pour la psychanalyse, la tendance est plutôt de parler d’une
diversité sexuelle que d’une égalité du genre. En effet, le psychanalyste français Jacques
Lacan a différencié, à partir de sa clinique, deux logiques distinctes, l’une masculine et l’autre
féminine.
Je voudrais vous montrer comment, telles que les choses se présentent aujourd’hui, la
logique féminine semble beaucoup plus appropriée que la logique masculine aux
négociations de paix. Ceci sans perdre de vue le fait que la logique n’est pas l’anatomie.
Autrement dit, une personne peut avoir l’anatomie d’un homme, alors qu’elle a des affinités
avec la logique féminine, et vice versa. Freud disait que l’anatomie est le destin. La logique est
plutôt du registre du choix, d’une construction subjective liée au désir.
La logique masculine est aussi qualifiée de « logique phallique ». Si vous lisez entre les
lignes, vous pouvez constater que celle-ci n’est pas particulièrement appréciée par Jacques
Lacan qui peut énoncer que le phallus est une « objection de conscience au service à rendre à
l’autre »2. La logique masculine est donc plutôt autistique, auto-érotique, fermée sur sa propre
satisfaction personnelle et individuelle, évitant le mouvement vers l’autre. Le
fonctionnement du pénis est considéré par Lacan comme une métaphore illustrant les limites
du phallus. Une érection ne dure jamais très longtemps, elle a toujours une limite.
D’un point de vue social, la logique phallique donne aux collectivités la structure du
groupe freudien. Freud se réfère à l’Armée et à l’Église comme exemples de tels groupes,
composés d’un nombre défini de membres, tous égaux, tous soumis à une même loi
universelle – tous sauf le leader. Comme il s’agit d’un groupe fermé dont les contours sont
définis, Lacan qualifie la logique masculine de logique du tout. La caractéristique essentielle
de ce type de groupe est que l’amour y est prévalent parmi les membres à l’intérieur du
groupe, alors que la haine est dirigée vers l’extérieur. Vous pouvez mesurer à quel point cette
structure masculine de la société est un terrain fertile au déclenchement de guerres.
Voyons maintenant quels sont les traits essentiels de la logique féminine. Lacan
l’appelle la logique du pas-tout. L’expression « pas-tout » n’est pas faite pour dire que la logique
féminine est imparfaite à ses yeux. Elle signifie bien au contraire qu’alors que la logique
masculine est limitée et fermée sur elle-même, la logique féminine est illustrée par un
ensemble ouvert qui tend vers l’infini. Par conséquent, ici, il n’y a pas « d’objection » à la
relation à l’autre. La logique féminine permet une ouverture et un mouvement vers l’autre.
En d’autres termes, alors que la logique masculine produit un groupe fermé avec une
frontière consistante qui le sépare d’un ennemi situé à l’extérieur, la logique féminine génère,
elle, un groupe ouvert permettant des échanges pluriels et variés.
Par ailleurs, alors que tous les individus d’un groupe à logique masculine sont égaux
dans leur rapport au leader, le groupe féminin promeut la singularité de chaque membre. Je
me souviens d’une photo que j’ai vue il y a quelques années dans un quotidien israélien, le
jour de l’enterrement d’un rabbin illustre. Vous savez que, lors d’une cérémonie juive
orthodoxe, hommes et femmes ne se mélangent pas. C’était un jour pluvieux et tout le
monde avait un parapluie. Sur cette photo prise d’un hélicoptère, on pouvait clairement
distinguer deux groupes. Du côté des hommes, tous les parapluies étaient de la même
couleur sombre, un uni noir ou gris. Du côté des femmes, il n’y avait pas deux parapluies
identiques: plutôt une infinité de couleurs et de dessins, chaque parapluie ayant sa
singularité. Cette affinité de la logique féminine avec la singularité, que nous appelons aussi
la logique du un par un, convient particulièrement à des négociations de paix.
Il n’y a pas de solutions standards et universelles qui conviennent à tous les conflits.
Les négociateurs doivent être attentifs aux coordonnées de chaque partie engagée dans un
conflit afin d’improviser une solution adaptée à la spécificité de chaque situation. Il faut
inventer un arrangement adapté à chaque cas. On constate facilement en quoi la logique
féminine, telle que je l’ai décrite, convient mieux que la logique masculine à ce genre
d’opérations, car elle est ouverte à des solutions pragmatiques, faites sur mesure, plutôt qu’à
des solutions imposées au titre d’un universel.
Un pas supplémentaire est nécessaire pour comprendre les conflits actuels. En suivant
les distinctions entre les logiques masculine et féminine, nous saisissons pourquoi les
hommes et les femmes ne sont pas faits pour se comprendre. Par ailleurs, notre lecture
psychanalytique de la culture et de la société nous conduit à la conclusion que ce
malentendu est un élément majeur dans les guerres contemporaines.
Les guerres ont changé, elles sont moins centrées sur la rivalité phallique que sur la
haine des femmes. Il s’agit de mettre les femmes au pas, leur imposant violemment toutes
sortes de restrictions. Ce phénomène illustre la tendance structurelle de la logique masculine
universelle à mettre au pas la logique féminine du un par un. Notons que cette tendance
apparaît dans un contexte où, dans un grand nombre de pays, les femmes ont déjà obtenu
l’égalité dans beaucoup de domaines de la vie sociale. Une réaction fondamentaliste à ce
développement, sous la forme de la répression des femmes, s’accroît au fur et à mesure que
cette égalité se propage.
Lors des négociations de paix, la relation que l’on a avec la parole est d’une
importance majeure. Là encore, la différence entre les logiques masculine et féminine est
cruciale. La logique masculine, déterminée par la logique du tout, se découvre très limitée.
Elle est susceptible, à tout moment, de conduire les négociations à l’impasse, car son seuil de
tolérance au malentendu est très bas. Tout doit faire sens immédiatement et quand les choses
ne sont pas claires, lorsque les malentendus surgissent, il y a toujours un risque que la parole
s’arrête et que la guerre commence ou recommence.
En revanche, la logique féminine tolère l’incohérence du langage. Elle inclut
l’impossibilité de tout dire. C’est le cas de la figure de Shéhérazade dans les Mille et Une
Nuits. Le Sultan, dans l’histoire qui encadre ces contes, est fait cocu par son épouse. Son
discours est misogyne. Une fois qu’il exécute sa femme infidèle, il décide d’épouser une
vierge chaque jour, et de l’exécuter le lendemain de la nuit de noces, afin de se venger des
femmes et de s’assurer de ne plus jamais être trompé. Shéhérazade est la dernière de la série de ces femmes, car elle trouve le moyen d’arrêter ce carnage. Lors de la nuit de noces, elle
raconte au sultan une histoire palpitante en la laissant inachevée. Elle répète cela pendant
mille et une nuits, après quoi le Sultan abandonne son projet et décide de la garder avec lui
pour toujours, ayant reconnu ses qualités.
Cette légende nous montre les impasses de la rencontre entre les logiques masculine
et féminine, et aussi un moyen d’en sortir. La logique phallique du Sultan tend vers la guerre
et le massacre. On constate, par contre, que la logique féminine favorise la parole, et plus
encore, une parole tendant vers l’infini plutôt qu’à la violence. Shéhérazade utilise la logique
du pas-tout avec finesse. Elle ne dit pas toute l’histoire… et suscite ainsi chez l’homme un
désir d’en savoir plus, et cette manœuvre transforme la pulsion de mort en un désir de vie.
Le Sultan change. Il dépose ses armes, sans avoir à subir une grève du sexe. Il fait un
mouvement vers la logique féminine, puisqu’il se met à jouir de la parole et des histoires,
plutôt que de la vengeance violente. C’est ce qui peut se produire quand un homme passe
par une analyse. Il arrive qu’il devienne plus tolérant à ce qui lui semble être une
incohérence dans la logique féminine. On peut même dire, alors, qu’il est un peu féminisé.
Nous pouvons nous attendre à ce que, dans le cas de négociations, cette position féminisée
soit davantage disposée à la logique du un par un et à des arrangements inventifs et
pragmatiques entre les singularités des parties.
Fredrik Reuterswärd, nommée aussi Non-violence. L’artiste l’a créée, bouleversé et en colère après la
mort insensée de son ami John Lennon. Le gouvernement luxembourgeois a acheté l’œuvre et l’a
offerte à l’ONU en 1988.
et psychanalyse” par Patricio Alvarez dans Lacan Quotidien n° 492 et « Ce que la psychanalyse sait des
femmes en tant que « gender » », par Marie-Hélène Brousse dans Lacan Quotidien n° 494.
Notes: