Est-ce à dire qu’une punition peut se transformer en accident entraînant la mort d’un enfant ? La gravité de l’énoncé force à se demander si l’enfant lui-même n’est pas, à leurs yeux, fautif de sa propre mort, comme s’il n’avait pas supporté la punition, qu’elle s’était muée en drame. L’enfant maltraité est au fond toujours coupable. Coupable de mourir. La faute des parents est projetée sur lui, comme si la mort d’un enfant, ce réel intolérable, ne pouvait être identifiée par ce couple. Et en effet, ne rien en dire, l’avoir maquillé en enlèvement, relève bien d’un déni de culpabilité.
Un autre couple enlève son fils atteint d’une tumeur au cerveau, pour le conduire en Espagne où il espère trouver un traitement plus efficace pour sauver leur fils. On les dit « Témoins de Jéhovah » et en cela, ils sont coupables de kidnapping. L’Angleterre fait tout pour retrouver cet enfant soigné dans un des hôpitaux du sud du pays au point qu’elle confie la recherche de l’enfant disparu à Interpol qui lance une alerte mondiale pour le repérer. Là aussi, on pourrait se croire dans un film où l’enjeu de la vie d’un enfant présente une telle importance qu’il faut que la police le retrouve dès que possible.
Le premier enfant est l’objet d’une maltraitance. Le deuxième est au contraire l’objet d’une attention extrême de ses parents. Les premiers sont criminels et veulent cacher la vérité en faisant croire à une disparition de leur bébé. Le deuxième est réellement « enlevé », mais à qui ? L’enfant malade n’appartiendrait donc plus à ses parents ?
Ces deux histoires ne nous révèlent rien sur la place de l’enfant auprès de ses parents. Mais elles nous indiquent comment la mort d’un enfant, l’une réelle et accidentelle, l’autre prévisible et irrémédiable, donnent consistance à des scénarios imaginaires invraisemblables. Le réel de la mort d’un enfant, horreur qui renforce toujours un sentiment de culpabilité, vient se déliter dans les fictions les plus romanesques. « La vérité a structure de fiction»2, disait Lacan. L’une est l’œuvre des parents meurtriers et coupables. L’autre est mise en scène par l’État qui joue tout à coup à la Mère sauveuse à grands frais d’annonces sur internet, via Interpol. Que peut-on en dire d’autre si ce n’est que les fictions se déplient au quotidien pour maintenir la jouissance du drame de la mort d’un enfant – qui pourrait être le nôtre –, ultra présent.
Le chef de l’État, François Hollande, ne fait pas la Une des journaux. C’est son ex-compagne, Valérie Trierweiler, qui occupe tout l’espace médiatique avec la sortie de son livre Merci pour ce moment3, dont tous les exemplaires se sont vendus en quelques heures vendredi dernier. À croire que cet événement réchauffe le cœur des Français – enfin, quelque chose de drôle se passe sur la scène politique française. Un drame du conjugo: la vengeance d’une femme.
Celle qui a été « jetée comme un kleenex », comme elle l’écrit, alors que la photo du Président avec Julie Gayet dans Closer révélait leur liaison secrète, raconte son éjection de l’Élysée. En quelques jours, elle a dû prendre ses cliques et ses claques – elle nous raconte cela par le menu dans son livre – comme toute femme mise à la porte par son homme. Sauf qu’il s’agit du Président de la République dont on avait relevé la froideur pour congédier celle qui occupait la fonction de Première dame de France.
Cette rupture avait montré combien les couples présidentiels – on l’avait déjà vécu avec Cécilia et Nicolas Sarkozy – se déchirent en plein mandat du Président, au point qu’on peut se demander si la fiction, là aussi, n’est pas au service de la politique. Toujours est-il que l’amour et le désir ne cohabitent pas, même à l’Élysée. On trouvera dans Freud tout ce qu’il faut pour expliquer cette psychologie de la vie amoureuse des hommes. Quant à la façon dont les femmes réagissent à la tromperie de leur mari, on le sait, leurs réactions peuvent être terribles et aller bien au-delà de tout ce qu’on peut imaginer.
La littérature et la lecture des journaux nous enseignent régulièrement sur ce phénomène où le « hors de soi » féminin, fait trembler les semblants et entraîne les actes les plus destructeurs. Rappelons-nous Médée, la femme de Jason qui, pour se venger d’avoir été trompée, alla jusqu’à tuer ses propres enfants. Sans aller jusqu’à ces extrêmes, Valérie Trierweiler répand son venin sur celui qui occupe la fonction de Président, ce qui est en soi une atteinte à la personne mais aussi une atteinte à sa fonction. Il s’agit de détruire son image et de le faire déchoir de la place qu’il occupe comme chef d’État. Valérie Trierweiler se sert de la médiatisation de son livre pour atteindre l’homme d’État au delà de l’homme qu’il a été pour elle. Elle fait tomber les masques. C’est une vengeance bien féminine, qui ne rate pas sa cible.
Pourtant, il y est surtout question d’une rupture. Son livre n’est que le storytelling de sa défaite amoureuse et la révélation de petits secrets de couple. Quelques piques pour l’homme politique, comme la fameuse formule des sans dents pour se moquer des pauvres… Ah, un peu d’humour…
N’est-ce pas la qualité qu’on prête à François Hollande? L’expression est assez terrible mais si vraie, qu’elle prend valeur de Witz. D’ailleurs plus personne ne s’offusque de parler des sans-papiers, et des sans-droits. On y ajoutera dorénavant les sans-dents… ils font hélas partie du paysage social. Peut-être cela mènera t-il à une meilleure politique des soins dentaires en France, alors qu’on sait qu’en effet, ils sont coûteux et que de plus en plus de sujets ne peuvent se soigner, par manque de moyens. Les Witz peuvent aller loin dans leurs effets, Freud en a fait la démonstration…
Comment interpréter l’intérêt porté à ce récit d’une vengeance en ce début de rentrée ? Peut-on y lire la jouissance à voir les couples présidentiels se déchirer comme les autres, et mettre leur linge sale sur la place publique ? C’est une conséquence de la culture prête à tout dire qui sévit de nos jours. On dit tout, et ce qu’on n’a pas dit, on l’écrit. Selon Valérie Trierweiler, c’est thérapeutique. L’écriture a toujours eu cette fonction de soulager celui qui s’y livre. Entre s’y livrer et son livre, il n’y a que des mots dits, enfin presque, ce qui a toujours été le privilège des femmes, car leur amour de la vérité les passionne, au plus profond de leur être. « La vérité est la petite sœur de la jouissance »4, disait Lacan, si justement.
Regrettons alors que toutes ces paroles adressées au monde n’aient pas pu se dire sur un divan. L’effet aurait été moins médiatique, mais tellement plus sérieux, et tellement plus authentique …
Notes:
1-. On lira à ce sujet le dernier numéro de La Cause du désir, n°87, paru en juin 2014, « Fictions », sous la direction de Marie-Hélène Brousse.
2-. Lacan J., Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 348.
3-. Trierweiler V., Merci pour ce moment, Paris, Les arènes, 10 septembre 2014.
4-. Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 134.