PIPOL NEWS FLASH 13
Quelques questions posées à Théodora Pavlova, participante aux Simultanés de PIPOL 6
PIPOL NEWS* : Théodora, tu es bulgare. Tu es venue travailler au Courtil. En quoi consiste ton activité depuis ton retour en Bulgarie ?
Théodora Pavlova : Il s’agit en effet de mon deuxième retour en Bulgarie – une fois après mes études en France et, maintenant, une deuxième fois après mon travail au Courtil. Je précise ceci parce que mon choix de venir au Courtil n’est pas sans rapport avec ce que j’ai rencontré en Bulgarie pendant quelques 5 années après mon premier retour en 2007. Je pourrais décrire brièvement le contexte dans lequel je me suis retrouvée, comme un contexte d’urgence permanente – « il faut fermer les institutions pour des enfants abandonnés », « il faut changer la prise en charge de ces enfants », « il faut former le personnel », « il faut faire des projets pour intégrer les minorités », « il faut arrêter l’abandon des bébés » et, pire encore, « il faut changer le comportement de ces enfants et adolescents, il faut qu’ils arrêtent de s’automutiler, d’être agressifs, d’être délinquants parce que ce n’est que suite d’un manque d’un attachement stable », etc. Sans nier le besoin d’un changement dans le domaine médico-social, je dirais que ce discours du maître, même s’il vise le bien-être des enfants, efface le sujet (que se soit l’enfant ou l’adulte qui prend soin de lui) qui se retrouve derrière ces projets ambitieux. Dans mon travail qui consistait généralement à rencontrer les enfants, les adolescents et le personnel de ces institutions, et dans cette demande de supprimer vite la souffrance, je me suis retrouvée dans une impasse qui a motivé mon désir de venir au Courtil. Cette année au Courtil n’est pas sans conséquences pour moi, non seulement en ce qui concerne l’accompagnement du sujet psychotique, mais aussi en ce qui concerne mon positionnement face à cette urgence. A part ma pratique privée avec des enfants et des adolescents, depuis mon retour il y a quelques mois, j’ai repris certains de mes activités auprès des différentes équipes de professionnels dans différents Centres d’accueil des enfants. Ce travail s’inscrit toujours dans différents projets qui consistent à former le personnel des nouveaux services sociaux. Mais derrière cette « formation », moi et mes collègues de l’Association « Enfant et Espace », nous proposons un espace de parole où nous accueillons la souffrance tant de l’enfant que des adultes qui l’accompagnent.
PN : Quelle est la place de la psychanalyse en Bulgarie ? Elle est assez présente ou d’un recourt certain, je pense, dans les institutions pour enfants. Quelle est leur spécificité ?
Théodora : Oui, effectivement le discours psychanalytique est assez présent. Je dirai même de plus en plus présent dans les nouveaux Centres d’accueil pour des enfants en difficultés qui sont censés prendre le relais des institutions qui vont être fermées, ce qui consiste aussi à travailler dans la cité et avec les familles de ces enfants. Le nombre très important de participants de tout le pays qui viennent aux laboratoires CIEN, « L’Enfant et ses symptômes » en témoigne. Je crois que ceci est en lien avec le contexte que je viens de décrire et que la rencontre avec l’écoute analytique, si je puis dire, a un effet d’apaisement pour ces gens-là, confrontés non seulement à la souffrance des enfants mais aussi au discours du maître et aux exigences de résultats rapides. Je parle bien sûr de la situation actuelle et, sans entrer dans des détails, je voudrais préciser que ce laboratoire, qui a commencé il y a presque 15 ans sous le titre « Grandir sans parents », a suivi les mouvements dans le pays (ici, s’il le faut, je peux préciser que ça a commencé avec les psychanalystes de Bordeaux et que maintenant notre partenaire est le Courtil). Au début, ce laboratoire était le seul qui accueillait le personnel ces institutions complètement isolées, héritage du régime communiste, où on retrouve jusqu’à aujourd’hui des cas d’enfants avec un hospitalisme sévère, pire encore que celui décrit par René Spitz. La question qui se pose aujourd’hui est celle de comment les accompagner dans le changement. Cette question en convoque beaucoup d’autres – comment accompagner le sujet psychotique, ses parents et les gens qui s’occupent de lui, etc. Toutes ces questions déterminaient les titres des laboratoires cliniques – « Apprendre la langue de l’enfant », « La dignité de la différence », « Professionnel et parents – deux partenaires de l’enfant », « La psychose de l’enfant » etc.
Une des particularités en Bulgarie est que c’est grâce à ce programme que s’est constitué peu à peu le Groupe du Champ Freudien en Bulgarie qui est actuellement Société Bulgare de Psychanalyse Lacanienne, membre affilié de la NLS. Ce laboratoire représente donc la porte d’entrée pour beaucoup de gens vers la « psychanalyse pure » et le fait de commencer une analyse n’est pas sans conséquences pour leur travail clinique mais aussi pour les Centres où ils travaillent. La Société bulgare développe de plus en plus des activités, ses membres sont de plus en plus invités par différentes institutions pour en assurer sur place le contrôle et la supervision. Il y a des Centres qui orientent de plus en plus leur travail par la psychanalyse lacanienne.
PN : Y a-t-il un lien avec la question de la femme en Bulgarie ? Comment s’y présente-t-elle, selon toi ?
Théodora : C’est une question difficile ! Il me semble qu’elle s’inscrit justement dans ce contexte particulier qui est celui des soins pour les enfants et qui renvoie donc à la question de la maternité. Je partirai par le constat que dans tout le secteur éduco-médico-social, il n’y a presque pas d’hommes. On peut souvent entendre que se sont des « professions féminines ». Mais s’agit-il vraiment de féminité ? Lors d’un projet, j’ai eu la possibilité de faire des entretiens avec une grande partie du personnel d’une institution de soins médico-sociale pour des enfants de 0 à 3 ans. C’était d’ailleurs les premières institutions qui ont été crées pendant les années 50 et qui portaient le nom « Maisons mère et enfant ». J’ai entendu des histoires très intéressantes et très variées, mais il y en a une qui m’a particulièrement marqué. Comme au début ces « maisons » accueillaient, entre autres, des jeunes femmes enceintes et non mariées qui ne répondaient pas à la morale communiste, j’étais plus que surprise d’entendre l’histoire d’une jeune femme qui est restée tout au long de l’allaitement de son bébé (plusieurs mois, donc) mais qui est partie et l’a abandonné une fois qu’il était sevré pour « retourner dans la société ». « Et c’était, me dit l’infirmière, assez fréquent ». Cette femme est revenue plus tard chercher son enfant mais « il était tard » parce qu’il avait déjà déjà adopté.
C’est le « Parti-Mère » comme se désignait elle-même le parti communiste qui était « la bonne mère » et ceci dans un paradoxal culte de la maternité. La femme était donc la « bonne citoyenne » pour qui l’Etat passait avant tout – elle devait travailler, mais aussi faire une famille pour répondre à son idéal. Celui-ci de son côté pouvait assurer sa fonction de mère – ici je pense non seulement à ces institutions où les enfants se trouvaient lorsque les choses « sortaient beaucoup de la règle », mais aussi au fait qu’il existait des maternelles hebdomadaires, c’est-à-dire que depuis son très jeune âge, l’enfant était en internat pour que la mère puisse travailler ; je pourrais aussi donner des exemples de ma propre expérience, car je me souviens des visites chez moi où justement la maîtresse venait contrôler comment ça se passe à la maison, qui va dormir dans quelle chambre, etc. La bascule dans laquelle mon pays se trouve actuellement, d’un régime communiste vers un capitalisme, ne rend pas les choses plus faciles, tant sur la question de la féminité que sur la question de la maternité, tant au sein de la famille que dans le domaine social où il s’agit toujours de la recherche d’un idéal qui est celui de donner les « meilleurs soins qui assureront un bon attachement ». L’abandon est toujours très présent, mais comment l’expliquer dans ce nouveau contexte ? Comme une sorte d’acte de Médée ? Je ne sais pas ! En même temps, la clinique nous confronte de plus en plus avec des femmes pour lesquelles la maternité représente tout ou, à l’autre extrême, rien du tout – ce qui est très différent d’un « pas tout ». « Devenir femme ? Devenir mère ? Questions des filles » était d’ailleurs le thème des premières Journées de travail de la Société Bulgare de Psychanalyse Lacanienne, choisi suite à la discussion avec le public lors du dernier colloque « Jacques Lacan » en Bulgarie.
Interview réalisé par Yves Vanderveken (par mail et par Skype)
Inscriptions en ligne : www.europsychanalyse.eu <http://www.europsychanalyse.eu/
Renseignements : +32 (0)483 365 082 | [email protected]