n° 78
Une erreur s’etant glissée dans le precedent envoi,
nous avons le plaisir de vous adresser de nouveau le compte-rendu de
la xviiie Journée de l’association bellefonds
qui s’est tenue le samedi 15 septembre dernier.
Elaborations et inventions en institution
Michel Neycensas
La 18e journée de l’association Bellefonds prend sa source et son élan d’une pratique orientée par la psychanalyse de Freud et de Lacan. Sous le titre Elaborations et inventions en institution, elle succédait à la journée de l’an dernier qui posait la question du sujet dans la psychose. Une centaine de personnes suivirent attentivement les différents travaux dont les discussions furent animées avec clarté et précision par Laure Naveau et Philippe Lacadée.
Anne Dubois accueillit invités et participants sur le fil de sa nouvelle prise de fonction. Directrice de l’institution depuis quinze jours à peine, elle sut trouver les mots et le ton pour dire à chacun l’enthousiasme qui était le sien de retrouver l’institution dans laquelle elle avait fait ses premiers pas de professionnelle pour, à présent, présider à ses destinées. Elle nous fit partager le détour nécessaire à sa formation de directrice, ce qui lui permit de montrer à quels impératifs sont soumis ceux qui décident de s’engager dans cette voie. Avec cette intervention, le ton de la journée était donné : vif et alerte.
Dans son introduction, Marie-Agnès Macaire distingua les deux termes d’élaboration et d’invention en les articulant à la jouissance en jeu pour le sujet psychotique. Aux prises avec celle-ci, Jacques-Alain Miller souligne en quoi « les sujets psychotiques et autistes ne cessent d’opérer cette perte ». En effet, si c’est parfois dans le réel du corps qu’elle s’effectue, ce sont aussi des trouvailles, des inventions langagières qui témoignent de cette perte et d’un travail sur la jouissance.
Molière et sa langue s’invitèrent à la première séquence : bonheur des rencontres. En effet, à surjouer sur la diction et le texte de Molière – « Fi donc monsieur, que me dîtes vous là ! » –, Véronique Valls, psychologue à l’hôpital de jour de Podensac, s’est branchée sur le jeu de Rodrigue. Important dans l’institution des vers de Tartuffe, prélevés sur les déclamations fraternelles, il fut surpris par l’interlocution de celle qui, en cet instant, se faisait partenaire de la langue de Molière revisitée par Rodrigue. Celui qui jusque-là n’était que voix et regard, d’avoir rencontré un Autre docile à son énonciation, put dire : « Délivrez-moi de la criaillerie », nomination et demande adressée à sa partenaire signant une ouverture subjective confirmée par un rêve mettant en scène une sorcière qui voulait sa peau. La discussion souligna en quoi cette intervention permit de « dématernaliser » (Laure Naveau) la langue maternelle, de contourner le trop de jouissance incluse dans celle-ci et de permettre à Rodrigue une appropriation de sa langue.
Si Rodrigue était en quête d’auteur, Ludwig, présenté par Marianne Bourineau (professeur de lettres dans un lycée bordelais et membre du cien), était, quant à lui, en quête de personnages. Cet adolescent autiste, accueilli en seconde dans un lycée d’enseignement général, avait conquis ses camarades par sa diction bien particulière des tirades de L’école des femmes : il interprétait le rôle d’Arnolphe avec une telle expressivité qu’il les mettait en joie. S’inscrivant alors au club théâtre du lycée, il y participa avec assiduité jusqu’à s’acheter un cahier pour écrire une pièce avec le souhait de la faire interpréter par ses camarades de classe. Avec Ludwig, M. Bourineau nous donnait le témoignage saisissant de l’effet produit par un désir orienté par la psychanalyse et s’appuyant sur l’usage des grands auteurs. Elle nous fit découvrir comment inventer une pratique d’enseignant au moment où la figure du maître s’efface, quand le blabla et la parlotte ont pris le pas sur la parole. Comment dès lors trouer ce bruit de fond ; comment, en analysante civilisée, faire usage de son corps et de sa présence où regard et voix participent de cette adresse en privilégiant le un par un. L’élégance de cette approche, le tact nécessaire pour déranger de la bonne manière cette jouissance collective, retint particulièrement l’assistance.
Jean-Pierre Rouillon, dans la deuxième séquence de la matinée, nous proposa, sous le titre Non savoir et élaboration, une intervention dont l’empan embrassait, d’une part, la situation actuelle avec l’autisme comme grande cause nationale, les attaques répétées contre la psychanalyse, la réponse de celle-ci avec les Journée de l’ecf des 6 et 7 octobre, et, d’autre part, la logique du travail engagé depuis trois décennies dans l’institution qu’il dirige, le ctr de Nonette. C’est à se centrer sur le tout dernier enseignement de Lacan et les conséquences tirées du Un tout seul que J.-P. Rouillon nous éclaira sur la clinique qui s’élabore. Un cas en montra la richesse et les ressources. Il mit en valeur le fait qu’un savoir existe qui ne relève pas seulement de l’articulation signifiante. Ce savoir peut être supposé à partir de la réitération de l’Un. Une élaboration est ainsi possible au niveau même de lalangue, mettant en jeu la jouissance, dès lors que le sujet rencontre en acte, dans l’institution, des partenaires dignes de confiance. Cette position est à soutenir jusqu’au point où le réel surgit. C’est alors avec le signifiant tout seul que le sujet traite ce à quoi il a à faire. Démonstration fut faite qu’un savoir opère, à l’insu du sujet, et qui marque le corps. Corporisation du signifiant, comme l’indique J.-A. Miller dans Biologie lacanienne. Pour J.-P. Rouillon, « il s’agit de prendre acte que le sujet se défend de la jouissance et que cette défense elle-même peut s’opérer à partir d’un savoir, qu’il soit articulé ou non ». C’est ce que le cas présenté a démontré de manière spécialement convaincante.
L’après-midi s’ouvrit sur une séquence clinique avec les interventions d’Audrey Popille, psychologue intervenante au Courtil, et Paul Gil, psychomotricien à l’itep de Bellefonds. La première a témoigné des effets de sa rencontre avec Fabrice. L’accompagnant en voiture pour qu’il retire sa carte bancaire, Audrey, à peine arrivée au Courtil, s’est perdue, ou plus précisément son gps l’a égarée. Désirant se rendre à Baisieux en Belgique, elle s’est retrouvée à Baisieux mais en France ! Au cours de ce périple, Fabrice, non sans ironie, lui proposa un titre pour le récit qu’il pourrait en faire : Calvaire à Baisieux. Fabrice posa alors sa question : « Quelle est ta date de naissance ? » Comme le proposa Ph. Lacadée, c’est au moment où ils sont tous les deux au bord du trou que Fabrice en appelle au symbolique et à cette inscription minimale, la date de naissance. Et A. Popille de conclure : « Décomplétée dans cette aventure, sans doute Francis a-t-il entrevu en moi un partenaire possible, non menaçant. » Cette rencontre sous le signe du ratage participera au travail au long cours des intervenants du Courtil et à la constitution d’un « petit bagage » (M.-A. Macaire) avec lequel Fabrice pourra quitter l’institution.
Paul Gil montra ensuite comment un discours s’appuyant sur le web et les jeux en ligne permit à Alain de se constituer un corps. P. Gil s’est fait le destinataire et le secrétaire d’une amorce de discours pour cet enfant au lien social difficile et dont corps était livré à son destin de pièce détachée. De s’appareiller en s’apparolant au langage, il devient dès lors, avec un camarade, « co-propriétaire » du site. Mais ceci n’eut pas été possible sans le style de son secrétaire avec lequel il vérifiait chaque jour « un retour d’audience ».
Lors de la deuxième séquence, Ph. Lacadée nous fit partager son expérience au centre de jour La demi-lune. Sous le titre de Inter-invention, il a montré avec quelques vignettes cliniques issues de son dernier ouvrage intitulé Vie éprise de parole, comment l’invention du sujet ne va pas sans l’Autre ; elle est en effet « inter-invention » du partenaire avec lalangue du sujet. Avec un enfant, il s’agit de trouver, à chaque fois de manière singulière, une solution inventive qui localise, borde une jouissance en excès et cerner en quoi le rapport à la langue le soutient. Comment, à partir du S1, trouver un bord ? Comment dire oui, pour ensuite pouvoir dire non ? A suivre ce travail pas à pas, chacun ne put être que saisi par l’inventivité de chaque enfant dont il surgit quelque chose de joyeux et de gai.
Dans sa conclusion, Laure Naveau reprit une citation de Freud : « La société ne peut voir d’un bon œil que nous mettions à nu sans égards ses défauts et les dommages qu’elle cause. Parce que nous détruisons ses illusions, on nous accuse de mettre en péril ses idéaux. » Elle montra l’actualité de cette formule et en quoi, sur les trois plans clinique, épistémique et politique, nous sommes en guerre : en guerre pour permettre que chacun ait le choix d’assumer la part de responsabilité et la mise qui lui est propre dans ce qui lui arrive, en guerre contre le formatage d’une société solidaire du capitalisme mondialisé, en guerre contre les nouveaux spectres du dsm et les nouveaux marchés qu’il offre ainsi à l’industrie pharmaceutique qui prend, de ce fait, le pouvoir sur la santé mentale, et par là même sur les patients et leurs différentes associations. Ce combat que Lacan comparait à celui des Lumières relève de chacun : de son désir et de sa mise. Au terme de cette belle journée, L. Naveau nous donnait rendez-vous pour celle de l’an prochain, non sans nous convier à participer à aux Journées de l’ecf sur Autisme et psychanalyse.
Toutes les informations concernant le RI3 sont sur le site
Cordialement,
Jean-Robert Rabanel