Une peluche entre mère et fille
par Florence Marion (ACF Aquitania)
Alice a choisi comme partenaire une peluche qu’elle nomme Coco lapin. « Coco, elle l’a toujours connu, il a toujours fait partie d’elle, de son identité », indique avec justesse sa maman. « Alice n’accrochait pas le regard, ne parlait pas, ne babillait pas, était agitée. On avait du mal à se comprendre, à se rencontrer. » Elle est entrée dans le langage en répétant des phrases entendues notamment dans les dessins animés. Ses premiers mots sont « Maman » et « Coco ». Elle se sert de sa peluche pour parler, pour dire ses émotions. « Á l’école, elle dialoguait avec elle, la faisait parler pour exprimer sa colère », dit le père.
A l’hôpital de jour, nous avons accueilli Alice et sa peluche. Grâce à l’attention de ses parents, nous avons pris la mesure de l’importance de cet objet pour elle. Alice se nomme, s’adresse à nous en prenant appui sur sa peluche. Petit à petit, en nous parlant de Coco, elle devient sujet. Sa voix est moins mécanique, plus fluide. Elle nous regarde. Une séparation s’opère entre elle et Coco. Elle invente des fictions qui témoignent d’une mise en jeu de l’imaginaire : « Coco est une fille, ma fille. Je lui ai appris à parler. Bébé, elle avait crié, je lui ai donné une petite voix quand elle était une petite fille. »
Sa maman saisit un changement encourageant : « Avant, Alice ne se reconnaissait pas dans le miroir, elle se perdait, regardait au-delà. Aujourd’hui, elle se regarde et nos regards se croisent dans le miroir. »
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L’autisme, un signifiant qui interroge
par Sébastien Dauguet, enseignant.
C’est la fin de l’année scolaire. Maintenant que je connais mieux mes élèves, je me permets de relever leur formules afin d’interroger leur énonciation. Marc, en classe de 6ème, m’indique après avoir été pris en faute : « Il faut que j’arrête de faire mon autiste. » Je ne peux faire la sourde oreille. Je l’interroge : « C’est un problème d’être autiste ? » Il me regarde et me confie : « Je ne sais pas ce que c’est que d’être autiste. » Les autres élèves entrent dans le débat. Je découvre toutes les théories que chacun a élaborées pour tenter de cerner une modalité d’existence qu’ils ne cernent pas : « Les autistes, ils ont de petits yeux », « Ma maman, elle travaille avec des autistes et elle dit qu’ils sont attachants », « Je ne veux pas être un autiste », « Les autistes, ce sont des personnes qui ne savent pas faire les choses faciles mais qui comprennent les choses compliquées. » Face à un tel déchaînement de la parole, je promets d’apporter un film d’animation qui aborde la question de l’autisme. Au cours suivant, je projette Mary et Max, d’Adam Elliot, l’histoire d’une amitié épistolaire entre une jeune australienne interrogative et un homme d’âge mûr new-yorkais atteint du syndrome d’Asperger. Les élèves rient beaucoup face à la singularité des personnages. A la fin du long-métrage, ils évoquent plusieurs thèmes que le film traite avec pudeur : l’amitié, le désir, le sexe, l’homosexualité, la mort. La référence à l’autisme est abordée mais le propos est déplacé. En effet, une fois soulevée la question de l’angoisse de Max ainsi que ses stratégies pour la contenir, les élèves s’orientent vers une autre problématique : leur propre étrangeté qu’ils tentent vainement d’enfouir. Certains élèves m’indiquent alors qu’ils n’ont pas trop aimé le film mais ils me demandent aussi la permission de pouvoir le voir de nouveau en dehors du temps de cours. Je note qu’une fenêtre s’est ouverte pour eux. Au fond, voilà une raison de plus de tenter d’entendre ce que le sujet autiste a à nous dire : il nous révèle que toute forme de singularité est une puissance qui nous transforme et qui nous ouvre la voie d’un avenir civilisé.
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