Voici Le Zappeur n°6. bonne lecture ! Bulletin de préparation de la Journée de l’Institut de l’Enfant Modérateur Daniel Roy N°6 [email protected] http://www.jie2011.blogspot.com Sommaire : Orientations : Jacques-Alain Miller / Références par Dominique Fabre-Gaudry / News par David Briard et Myriam Mitelman / Infos pratiques : Le point sur la préparation de la Journée. Honneur à la petite Sandy, cette petite fille accueillie à la Hampstead Nursery à Londres en 1942, à l’âge de sept semaines et qui déclare une phobie de chien à deux ans et cinq mois, et dont l’histoire sera relatée au séminaire d’Anna Freud, en décembre 1946 par son éducatrice Anneliese Schnurmann. Lacan fera référence à ce travail dans le chapitre IV de son Séminaire La relation d’objet, pour situer la dimension de la déficience de la mère comme facteur causal. Orientations Extrait d’un texte de J.A. Miller « Le cas Sandy selon Jacques Lacan », publié dans le Bulletin de la petite enfance n°6/7 « Il serait passionnant de comparer terme à terme la phobie de Sandy et celle du petit Hans. Dans la composition du Séminaire, ce sont les premières notes du thème de la phobie, qui occupera ensuite la moitié de l’année et du livre. Le cas Sandy est la cellule musicale de ce qui donnera ensuite l’énorme symphonie développée à propos du petit Hans. Disons quelques mots de ce que pourrait être une comparaison. Hans, c’est vraiment une phobie, elle flambe pendant quelques mois, et elle a, sur le sujet, des effets incapacitants prononcés. Sandy, c’est à peine une phobie. Comme le dit Lacan, page 100, et cela me paraît très juste, c’est une ébauche de phobie. C’est une esquisse ? Cela aurait pu être une phobie, et puis, avant de flamber, elle disparaît, elle s’éteint. Pour employer une autre métaphore, c’est une phobie qui n’a pas cristallisé. On peut se demander pourquoi. La raison n’est-elle pas à chercher dans le fait qu’elle a Anneliese, cette mère de substitution, attachée à ses pas ? Dès qu’un cauchemar la réveille et qu’elle est d’humeur à pleurer avant de se rendormir, Anneliese est là, qui commence à noter au jour le jour tous les faits.[…] Deuxièmement, Hans parle, et il parle beaucoup. Encouragé par son père, dopé par son écoute, il en rajoute – Lacan le signale -, et nous avons comme une pluie de fantasmes, des vagues fantasmatiques qui se succèdent. Ce n’est pas ce que l’on trouve dans l’esquisse de phobie chez Sandy. On a quelques paroles, quelques néologismes si l’on veut. Une fois elle fait une phrase complète et quasi-grammaticale et c’est un moment important de l’observation. Par tout un versant, le cas est finalement une observation de comportement. Chez Hans, la parole est au premier plan, chez Sandy, le comportement – mais il y a aussi des signifiants, certainement. On trouve de part et d’autre, les culottes. Vous savez la place des culottes de la mère chez Hans. Le premier mouvement de Sandy, quand elle retrouve sa mère en bonne santé, est d’aller lui soulever les jupes, de regarder ce qu’il y a dessous, et de lui poser la question, dans son langage qui n’est pas tout à fait grammatical, de savoir si elle a bien des culottes. Point trois : on a en parallèle le cheval et le chien. L’objet de la phobie est chez Hans l’animal cheval. Dans le cas de Sandy, c’est l’animal chien. Retrouver ainsi deux animaux dans la même fonction indique qu’en effet, l’animal, son statut de totem, est bien lié de structure avec la phobie. On peut comparer ces deux objets : ce qu’ils ont en commun est la morsure. Elle a une place essentielle dans le cas de Hans, et to bite, mordre, figure également à une place éminente dans la phobie de Sandy. On pourrait les opposer, par contre, en ceci – l’origine de l’objet cheval est à trouver du côté féminin, alors que, Anneliese Schnurmann le signale, pour le chien c’est plutôt le côté masculin. Dans la chronologie qu’elle établit, c’est du fait d’une identification du petit garçon et du chien que celui-ci affirme sa place dans la phobie.
Dans un cas comme dans l’autre, nous trouvons, fabriqués avec les moyens du bord, des substituts du Nom-du-Père – encore que, dans le Séminaire IV, page 396, Lacan fasse un sort à la fonction imaginaire du père, qui aurait à supporter le rôle agressif, répressif que comporte le complexe de castration. Nous sommes, avec le cheval de Hans et le chien de Sandy, dans le registre qui deviendra plus tard pour Lacan celui des Noms-du-Père, quand il fera des substituts du Nom-du-Père autant de Noms-du-Père de plein exercice, pluralisant ainsi le Nom. » Références Le cas Sandy in Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet – par Dominique Fabre-Gaudry Dans son Séminaire La relation d’objet, Lacan illustre à partir d’un texte d’Anneliese Schnurmann, « L’observation d’une phobie »1, la conception annafreudienne de la phobie centrée sur la frustration conçue comme « privation d’un objet privilégié, celui du stade où le sujet se trouve au moment de l’apparition de ladite phobie ».2 Lacan, lui, propose une structure de la relation d’objet à partir du manque de l’objet, selon trois niveaux : castration, frustration, privation. La mère, préalablement constituée comme symbolique par le couplage présence-absence, du fait qu’elle ne répond qu’à son gré, devient réelle comme puissance, tandis que l’objet, de réel, devient symbolique comme objet de don, signe d’amour. Désormais, la mère peut donner tout, y compris ce qu’elle n’a pas. Lacan introduit un troisième terme, le phallus, objet imaginaire pris dans les lois du signifiant. La mère privée du phallus est atteinte dans sa puissance ; c’est le moment-clé de la phobie, où un élément symbolique est appelé « pour maintenir la solidarité essentielle menacée par la béance qu’introduit l’apparition du phallus entre la mère et l’enfant ».3 Les fondements théoriques sont tout autres pour A. Schnurmann en qui Lacan salue « une bonne observatrice », mais note qu’« elle ne comprend rien parce que la théorie de Mme Anna Freud est fausse ».4 Sandy, deux ans cinq mois, est confiée pendant la guerre, à la Hampstead Nursery où elle reçoit les visites de sa mère dans une alternance présence-absence régulière. En décembre 1944, elle observe un petit garçon urinant debout et entre en position de rivalité. Soulevant sa robe et montrant son sexe, elle revendique un bicki, mot qu’elle utilise pour désigner toute chose désirable. Lacan remarque que « l’aphallicisme » ne suffit pas à déclencher la phobie, une autre condition est nécessaire : que la mère manque de phallus. En effet, la phobie débute en avril 1945, à la suite de deux absences de la mère de Sandy, pour une opération, dont elle revient diminuée et s’appuyant sur une canne, avant de repartir, peu après, pour sa convalescence. Sandy fait alors le cauchemar qui inaugure sa phobie : un chien l’attaque dans son lit, blessant son sexe. La phobie du chien, limitée dans un premier temps, au lit de Sandy, gagne progressivement l’espace et Sandy a peur des chiens dans la rue. La phobie disparaît au bout d’un mois. Quelques mois plus tard, la mère de Sandy se remarie et reprend sa fille et son fils dans son nouveau foyer. A. Schnurmann s’étonne que cette circonstance, qui aurait pu raviver la frustration, n’ait pas réactivé la phobie. Un autre point d’étonnement semble refléter son appréhension imaginaire de la phobie : à deux reprises, Sandy passe du chien au chat. La première fois, elle demande à A. Schnurmann de lui imiter un chat plutôt qu’un chien, et la seconde, dans la feinte, en prétendant que le chien qu’elle retire de sous les couvertures où elle l’a caché est un chat. On voit, là, le symbole se spécifier de son mode de négation, comme le rappelle Lacan : « C’est la métaphore en tant que s’y constitue l’attribution première, celle qui promulgue « le chien faire miaou, le chat faire oua-oua », par quoi l’enfant d’un seul coup, en déconnectant la chose de son cri, élève le signe à la fonction du signifiant, et la réalité à la sophistique de la signification ».5 Mais A. Schnurmann ne pouvait se permettre de penser qu’il n’y a pas « plus tigre de papier qu’une phobie ».6 1. Trois références du Séminaire IV de Jacques Lacan. Les Documents de la Bibliothèque de l’Ecole de la Cause freudienne, n°5 . 2. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p.55. 3. Ibid., p.58. 4. Ibid., p.71. 5. Lacan J., Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.805. 6. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p.323. News La peur de l’enfant à l’hôpital – par David Briard et Myriam Mitelman Des membres du Cien ont le souci de ne pas laisser hors de l’opinion éclairée le champ médical. Ils emboîtent donc le pas tant à Freud et à Lacan, en s’intéressant à ce qui s’y passe et rappellent qu’à ne pas aborder la question de la peur avec la délicatesse nécessaire, certains l’induisent quand ils visent son élimination ; d’autres, chaussant à cette fin les grossiers sabots du scientisme, fouillent le cerveau, et ne reculeraient pas à trifouiller l’amygdale cérébelleuse*, quitte à oublier que les sentiments d’un humain tiennent à son histoire et à son immersion, consentie ou pas, dans le langage… Tous les sparadraps ne sauraient être tenus pour être équivalents. Parions que l’Institut de l’enfant trouvera comment prendre langue avec les disciplines du champ médical … *Sur la fascination scientiste de l’amygdale, voir notamment le documentaire L’enfance sous contrôle de Marie Pierre Jaury. La peur des enfants à l’hôpital Bon nombre d’enfants n’ont pas peur à l’hôpital, il est un Autre bienveillant, parfois un peu trop. S’il ne l’est pas, les enfants traitent « à leur façon » le réel de l’hospitalisation ou du surgissement d’une maladie. Ces bricolages signifiants, ou pas, sont importants à respecter si on leur laisse la place pour exister et à condition de les entendre. Les peurs peuvent recouvrir d’autres formes. Mao pleure lorsque le médecin lui annonce qu’elle est guérie, elle ne pleure pas de joie, mais elle a peur et ne peut rien en dire. Elle dévoile ce que venait recouvrir pour elle une banale maladie, comme si cette affection était déjà une réponse à une peur ou lui donnait un statut. Lacan donne une indication aux médecins, lorsqu’il s’adresse à eux en 1966 à la Salpêtrière, « le malade met le médecin à l’épreuve de le sortir de sa condition de malade…», ce qui peut impliquer qu’il soit tout à fait attaché à l’idée de la conserver. Mao a quitté brutalement cet état au prix d’une peur.1 La littérature médicale scientifique a largement évalué, étudié les peurs des enfants à l’hôpital, les résultats contrastent avec le constat du quotidien : ils sont très nombreux à avoir peur. La méthodologie par questionnaire nous autorise à nous interroger : les questions qui y sont posées, incitant l’enfant à y répondre, ne sont-elles pas propices au surgissement de la peur ? N’est-ce pas que ces questionnaires réveillent l’inconscient de l’enfant, forcément peureux, que nous connaissons ? Une entreprise, qui se dit scientifique, tente d’expliquer le phénomène de la peur par une recherche de l’organe qui en est responsable (en général l’amygdale cérébelleuse) ou bien par une réponse biologique. On peut, à notre tour, avoir peur que le médicament ne soit pas bientôt utilisé pour supprimer la possibilité d’une peur. La littérature pour enfant (Franklin à l’hôpital, Max est malade), peut viser à prévenir la peur. Or n’est-ce pas le propre de la peur de ne pas se prévenir ? Lacan nous donne une indication sur la place de ces livres, dans sa conférence à Genève en 1975 « Le symptôme ». « Le fait qu’un enfant dise peut-être, pas encore, avant qu’il soit capable de vraiment construire une phrase, prouve qu’il y a en lui quelque chose, une passoire qui se traverse, par où l’eau du langage se trouve laisser quelque chose au passage, quelques détritus avec lesquels il va jouer, avec lesquels il faudra bien qu’il se débrouille. C’est ça que lui laisse toute cette activité non réfléchie – des débris, auxquels, sur le tard, parce qu’il est prématuré, s’ajouteront les problèmes de ce qui va l’effrayer. Grâce à quoi il va faire la coalescence, pour ainsi dire, de cette réalité sexuelle et du langage. »2. Il nous indique que ces livres sont ces bains de signifiants, et qu’il est tout aussi opérant pour l’enfant dans son rapport au réel de lui laisser choisir un Lili est amoureuse ou un Lili a un chagrin d’amour . Ces deux références de Lacan nous orientent dans l’abord de ces peurs. L’une avertit le médecin de la faille entre la demande et le désir du malade : celui-ci désire-t-il quitter sa peur ? L’autre indique qu’il ne faut pas raconter des histoires aux enfants, mais leur en lire. David Briard 1. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 323. 2. Lacan J., « La conférence à Genève sur le symptôme », Le bloc-notes de la psychanalyse, n° 5. Un traitement non singulier de la peur La littérature pour enfants, proposée par l’association « Sparadrap » par exemple, (association pour guider les enfants dans le monde de la santé », illustre le propos de David Briard. Cette littérature propose un traitement de la peur présentée comme expression d’un affect supposé a priori, dans la confrontation avec l’univers hospitalier entre autres choses. Cette démarche vise à inclure la peur dans un champ sémantique (« chagrin, nuage, souci… ») : un traitement s’apparentant à la suggestion donc. Que cette association se donne comme objectif de « guider l’enfant dans le monde de la santé », indique qu’elle se situe dans l’axe du discours du maître dans lequel l’enfant aurait par conséquent à s’insérer. Cette initiative militant visiblement pour le bien-être à l’hôpital objecte en réalité à tout accueil d’une parole singulière. Myriam Mitelman On trouvera une liste d’ouvrages concernant les enfants hospitalisés ou face à la maladie, réalisée par les auteurs, dans la rubrique « Bibliographie » du blog. Infos pratiques JIE PRATIQUE : La Journée a donc lieu au Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux. Il s’agit de l’ancienne « Maison du peuple » devenue ensuite Conservatoire, et désormais salle de concert et de congrès. C’est un lieu chaleureux, autour d’une grande salle de 850 places, dont la disposition nous conviendra bien. Situé tout près du terminus de la ligne 12, il est d’accès aisé. La Journée comportera quatre séquences en séances plénières. L’accueil se fera à partir de 8h30 et les travaux commenceront à 9h30 précises, pour se clore à 19h. Pour la pause déjeuner — de 13h à 14h30 — il sera judicieux de réserver à l’avance dans les restaurants qui seront indiqués sur le blog à partir du 1er mars. Des questions ? Une seule adresse : [email protected] JIE PROGRAMME : – la première séquence sera celle du RI3 : 4 situations cliniques et trois « brèves de peur » se répartissent selon deux thématiques, l’une où la présence de « l’Autre méchant » parvient à se localiser dans une nomination ou une invention singulière ; l’autre où la localisation est d’emblée effectuée sur « des voix » ou « des bruits » dont nous suivrons le devenir ; – la séquence du CEREDA présente la question des phobies à partir de deux cures d’enfant et de deux séquences cliniques brèves qui en font valoir des occurrences différentes ; « peurs de filles » et « peurs de garçons » ne s’y isolent pas dans une différence formelle, mais dans leurs modalités et leurs fonctions différentes ; – la séquence du CIEN a été alimentée par de très nombreuses propositions issues des Laboratoires ; elle présentera des interventions brèves, mises en série autour de trois axes : conversations sur la peur avec des enfants ; des adultes « concernés » face à la phobie scolaire et face aux adolescents « qui font peur » ou qui désorientent les enseignants; – dans la dernière séquence, nos invités feront des « ponctuations » entre « les bruissements de la peur » et « les noms de la peur », en résonance avec les problématiques soulevées au long de cette Journée d’étude. JIE DIFFUSION : Nous avons à coeur de faire connaître les travaux de cette première Journée de l’Institut de l’Enfant au-delà de nos cercles habituels. Déjà un gros travail de diffusion a été réalisé. Je vous rappelle que bulletins et affiches sont à votre disposition au local de l’ECF. Si vous disposez de listings de diffusion courrier, vous pouvez nous les adresser sur le mail de la Journée. Le blog s’enrichit chaque semaine d’apports nouveaux, en particulier bibliographiques, remarqués et remarquables, qui donnent un très solide aperçu de l’empan du thème dans la pratique institutionnelle, dans la clinique psychanalytique, et dans les lieux de socialité de l’enfant. Vous serez sensible en particulier au recueil d’ouvrages sur l’enfant à l’hôpital. Vous trouvez aussi sur le blog les numéros du bulletin d’information dit « Le Zappeur« , que vous pouvez diffuser largement et qui attend vos textes. L’adresse : http://www.jie2011.blogspot.com Toutes les informations concernant le RI3 sont sur le site www.ri3.be > pour se désinscrire de la liste, envoyer un message sans objet à [[email protected]] > pour s’inscrire, adresser un message vierge et sans objet depuis sa boite à [[email protected]]
Dans un cas comme dans l’autre, nous trouvons, fabriqués avec les moyens du bord, des substituts du Nom-du-Père – encore que, dans le Séminaire IV, page 396, Lacan fasse un sort à la fonction imaginaire du père, qui aurait à supporter le rôle agressif, répressif que comporte le complexe de castration. Nous sommes, avec le cheval de Hans et le chien de Sandy, dans le registre qui deviendra plus tard pour Lacan celui des Noms-du-Père, quand il fera des substituts du Nom-du-Père autant de Noms-du-Père de plein exercice, pluralisant ainsi le Nom. » Références Le cas Sandy in Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet – par Dominique Fabre-Gaudry Dans son Séminaire La relation d’objet, Lacan illustre à partir d’un texte d’Anneliese Schnurmann, « L’observation d’une phobie »1, la conception annafreudienne de la phobie centrée sur la frustration conçue comme « privation d’un objet privilégié, celui du stade où le sujet se trouve au moment de l’apparition de ladite phobie ».2 Lacan, lui, propose une structure de la relation d’objet à partir du manque de l’objet, selon trois niveaux : castration, frustration, privation. La mère, préalablement constituée comme symbolique par le couplage présence-absence, du fait qu’elle ne répond qu’à son gré, devient réelle comme puissance, tandis que l’objet, de réel, devient symbolique comme objet de don, signe d’amour. Désormais, la mère peut donner tout, y compris ce qu’elle n’a pas. Lacan introduit un troisième terme, le phallus, objet imaginaire pris dans les lois du signifiant. La mère privée du phallus est atteinte dans sa puissance ; c’est le moment-clé de la phobie, où un élément symbolique est appelé « pour maintenir la solidarité essentielle menacée par la béance qu’introduit l’apparition du phallus entre la mère et l’enfant ».3 Les fondements théoriques sont tout autres pour A. Schnurmann en qui Lacan salue « une bonne observatrice », mais note qu’« elle ne comprend rien parce que la théorie de Mme Anna Freud est fausse ».4 Sandy, deux ans cinq mois, est confiée pendant la guerre, à la Hampstead Nursery où elle reçoit les visites de sa mère dans une alternance présence-absence régulière. En décembre 1944, elle observe un petit garçon urinant debout et entre en position de rivalité. Soulevant sa robe et montrant son sexe, elle revendique un bicki, mot qu’elle utilise pour désigner toute chose désirable. Lacan remarque que « l’aphallicisme » ne suffit pas à déclencher la phobie, une autre condition est nécessaire : que la mère manque de phallus. En effet, la phobie débute en avril 1945, à la suite de deux absences de la mère de Sandy, pour une opération, dont elle revient diminuée et s’appuyant sur une canne, avant de repartir, peu après, pour sa convalescence. Sandy fait alors le cauchemar qui inaugure sa phobie : un chien l’attaque dans son lit, blessant son sexe. La phobie du chien, limitée dans un premier temps, au lit de Sandy, gagne progressivement l’espace et Sandy a peur des chiens dans la rue. La phobie disparaît au bout d’un mois. Quelques mois plus tard, la mère de Sandy se remarie et reprend sa fille et son fils dans son nouveau foyer. A. Schnurmann s’étonne que cette circonstance, qui aurait pu raviver la frustration, n’ait pas réactivé la phobie. Un autre point d’étonnement semble refléter son appréhension imaginaire de la phobie : à deux reprises, Sandy passe du chien au chat. La première fois, elle demande à A. Schnurmann de lui imiter un chat plutôt qu’un chien, et la seconde, dans la feinte, en prétendant que le chien qu’elle retire de sous les couvertures où elle l’a caché est un chat. On voit, là, le symbole se spécifier de son mode de négation, comme le rappelle Lacan : « C’est la métaphore en tant que s’y constitue l’attribution première, celle qui promulgue « le chien faire miaou, le chat faire oua-oua », par quoi l’enfant d’un seul coup, en déconnectant la chose de son cri, élève le signe à la fonction du signifiant, et la réalité à la sophistique de la signification ».5 Mais A. Schnurmann ne pouvait se permettre de penser qu’il n’y a pas « plus tigre de papier qu’une phobie ».6 1. Trois références du Séminaire IV de Jacques Lacan. Les Documents de la Bibliothèque de l’Ecole de la Cause freudienne, n°5 . 2. Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p.55. 3. Ibid., p.58. 4. Ibid., p.71. 5. Lacan J., Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.805. 6. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p.323. News La peur de l’enfant à l’hôpital – par David Briard et Myriam Mitelman Des membres du Cien ont le souci de ne pas laisser hors de l’opinion éclairée le champ médical. Ils emboîtent donc le pas tant à Freud et à Lacan, en s’intéressant à ce qui s’y passe et rappellent qu’à ne pas aborder la question de la peur avec la délicatesse nécessaire, certains l’induisent quand ils visent son élimination ; d’autres, chaussant à cette fin les grossiers sabots du scientisme, fouillent le cerveau, et ne reculeraient pas à trifouiller l’amygdale cérébelleuse*, quitte à oublier que les sentiments d’un humain tiennent à son histoire et à son immersion, consentie ou pas, dans le langage… Tous les sparadraps ne sauraient être tenus pour être équivalents. Parions que l’Institut de l’enfant trouvera comment prendre langue avec les disciplines du champ médical … *Sur la fascination scientiste de l’amygdale, voir notamment le documentaire L’enfance sous contrôle de Marie Pierre Jaury. La peur des enfants à l’hôpital Bon nombre d’enfants n’ont pas peur à l’hôpital, il est un Autre bienveillant, parfois un peu trop. S’il ne l’est pas, les enfants traitent « à leur façon » le réel de l’hospitalisation ou du surgissement d’une maladie. Ces bricolages signifiants, ou pas, sont importants à respecter si on leur laisse la place pour exister et à condition de les entendre. Les peurs peuvent recouvrir d’autres formes. Mao pleure lorsque le médecin lui annonce qu’elle est guérie, elle ne pleure pas de joie, mais elle a peur et ne peut rien en dire. Elle dévoile ce que venait recouvrir pour elle une banale maladie, comme si cette affection était déjà une réponse à une peur ou lui donnait un statut. Lacan donne une indication aux médecins, lorsqu’il s’adresse à eux en 1966 à la Salpêtrière, « le malade met le médecin à l’épreuve de le sortir de sa condition de malade…», ce qui peut impliquer qu’il soit tout à fait attaché à l’idée de la conserver. Mao a quitté brutalement cet état au prix d’une peur.1 La littérature médicale scientifique a largement évalué, étudié les peurs des enfants à l’hôpital, les résultats contrastent avec le constat du quotidien : ils sont très nombreux à avoir peur. La méthodologie par questionnaire nous autorise à nous interroger : les questions qui y sont posées, incitant l’enfant à y répondre, ne sont-elles pas propices au surgissement de la peur ? N’est-ce pas que ces questionnaires réveillent l’inconscient de l’enfant, forcément peureux, que nous connaissons ? Une entreprise, qui se dit scientifique, tente d’expliquer le phénomène de la peur par une recherche de l’organe qui en est responsable (en général l’amygdale cérébelleuse) ou bien par une réponse biologique. On peut, à notre tour, avoir peur que le médicament ne soit pas bientôt utilisé pour supprimer la possibilité d’une peur. La littérature pour enfant (Franklin à l’hôpital, Max est malade), peut viser à prévenir la peur. Or n’est-ce pas le propre de la peur de ne pas se prévenir ? Lacan nous donne une indication sur la place de ces livres, dans sa conférence à Genève en 1975 « Le symptôme ». « Le fait qu’un enfant dise peut-être, pas encore, avant qu’il soit capable de vraiment construire une phrase, prouve qu’il y a en lui quelque chose, une passoire qui se traverse, par où l’eau du langage se trouve laisser quelque chose au passage, quelques détritus avec lesquels il va jouer, avec lesquels il faudra bien qu’il se débrouille. C’est ça que lui laisse toute cette activité non réfléchie – des débris, auxquels, sur le tard, parce qu’il est prématuré, s’ajouteront les problèmes de ce qui va l’effrayer. Grâce à quoi il va faire la coalescence, pour ainsi dire, de cette réalité sexuelle et du langage. »2. Il nous indique que ces livres sont ces bains de signifiants, et qu’il est tout aussi opérant pour l’enfant dans son rapport au réel de lui laisser choisir un Lili est amoureuse ou un Lili a un chagrin d’amour . Ces deux références de Lacan nous orientent dans l’abord de ces peurs. L’une avertit le médecin de la faille entre la demande et le désir du malade : celui-ci désire-t-il quitter sa peur ? L’autre indique qu’il ne faut pas raconter des histoires aux enfants, mais leur en lire. David Briard 1. Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 323. 2. Lacan J., « La conférence à Genève sur le symptôme », Le bloc-notes de la psychanalyse, n° 5. Un traitement non singulier de la peur La littérature pour enfants, proposée par l’association « Sparadrap » par exemple, (association pour guider les enfants dans le monde de la santé », illustre le propos de David Briard. Cette littérature propose un traitement de la peur présentée comme expression d’un affect supposé a priori, dans la confrontation avec l’univers hospitalier entre autres choses. Cette démarche vise à inclure la peur dans un champ sémantique (« chagrin, nuage, souci… ») : un traitement s’apparentant à la suggestion donc. Que cette association se donne comme objectif de « guider l’enfant dans le monde de la santé », indique qu’elle se situe dans l’axe du discours du maître dans lequel l’enfant aurait par conséquent à s’insérer. Cette initiative militant visiblement pour le bien-être à l’hôpital objecte en réalité à tout accueil d’une parole singulière. Myriam Mitelman On trouvera une liste d’ouvrages concernant les enfants hospitalisés ou face à la maladie, réalisée par les auteurs, dans la rubrique « Bibliographie » du blog. Infos pratiques JIE PRATIQUE : La Journée a donc lieu au Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux. Il s’agit de l’ancienne « Maison du peuple » devenue ensuite Conservatoire, et désormais salle de concert et de congrès. C’est un lieu chaleureux, autour d’une grande salle de 850 places, dont la disposition nous conviendra bien. Situé tout près du terminus de la ligne 12, il est d’accès aisé. La Journée comportera quatre séquences en séances plénières. L’accueil se fera à partir de 8h30 et les travaux commenceront à 9h30 précises, pour se clore à 19h. Pour la pause déjeuner — de 13h à 14h30 — il sera judicieux de réserver à l’avance dans les restaurants qui seront indiqués sur le blog à partir du 1er mars. Des questions ? Une seule adresse : [email protected] JIE PROGRAMME : – la première séquence sera celle du RI3 : 4 situations cliniques et trois « brèves de peur » se répartissent selon deux thématiques, l’une où la présence de « l’Autre méchant » parvient à se localiser dans une nomination ou une invention singulière ; l’autre où la localisation est d’emblée effectuée sur « des voix » ou « des bruits » dont nous suivrons le devenir ; – la séquence du CEREDA présente la question des phobies à partir de deux cures d’enfant et de deux séquences cliniques brèves qui en font valoir des occurrences différentes ; « peurs de filles » et « peurs de garçons » ne s’y isolent pas dans une différence formelle, mais dans leurs modalités et leurs fonctions différentes ; – la séquence du CIEN a été alimentée par de très nombreuses propositions issues des Laboratoires ; elle présentera des interventions brèves, mises en série autour de trois axes : conversations sur la peur avec des enfants ; des adultes « concernés » face à la phobie scolaire et face aux adolescents « qui font peur » ou qui désorientent les enseignants; – dans la dernière séquence, nos invités feront des « ponctuations » entre « les bruissements de la peur » et « les noms de la peur », en résonance avec les problématiques soulevées au long de cette Journée d’étude. JIE DIFFUSION : Nous avons à coeur de faire connaître les travaux de cette première Journée de l’Institut de l’Enfant au-delà de nos cercles habituels. Déjà un gros travail de diffusion a été réalisé. Je vous rappelle que bulletins et affiches sont à votre disposition au local de l’ECF. Si vous disposez de listings de diffusion courrier, vous pouvez nous les adresser sur le mail de la Journée. Le blog s’enrichit chaque semaine d’apports nouveaux, en particulier bibliographiques, remarqués et remarquables, qui donnent un très solide aperçu de l’empan du thème dans la pratique institutionnelle, dans la clinique psychanalytique, et dans les lieux de socialité de l’enfant. Vous serez sensible en particulier au recueil d’ouvrages sur l’enfant à l’hôpital. Vous trouvez aussi sur le blog les numéros du bulletin d’information dit « Le Zappeur« , que vous pouvez diffuser largement et qui attend vos textes. 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