Portraits de femmes
Animées par Daniela Fernandez, Damien Guyonnet,
Bénédicte Jullien, Omaïra Meseguer et Camilo Ramirez1ère soirée le vendredi 3 décembre
à 20h30
Ecole de la Cause freudienne
1 rue Huysmans – Paris 6e
Cinéma et psychanalyse : Portraits de femmes
Interview de Daniela Fernandez
Cette année, place est faite au septième art à l’Ecole de la Cause freudienne. Projection, exposés, débat. Qu’est-ce que le cinéma sait que la psychanalyse enseigne ?
La Lettre mensuelle : Une soirée cinéma à l’École, c’est une première ! Pourquoi le cinéma ?
Daniela Fernandez : En premier lieu parce que nous aimons le cinéma et que nous souhaitons partager ce goût avec nos collègues et ceux qui souhaitent nous accompagner dans cette nouvelle aventure.
Et puis, le thème du prochain congrès de l’AMP nous a inspirés : c’est avec le septième art que nous voudrions explorer les changements opérés dans l’ordre symbolique, ainsi que les conséquences de ces changements. Le cinéma permet de traverser le temps et les continents, et de mettre en tension différentes époques.
À l’époque de l’envahissement des images, le cinéma y articule un texte. Le regard, la voix et l’écriture sont au rendez-vous… Récemment, j’ai trouvé dans le Séminaire sur le transfert, une très belle définition du cinéma : « […] ces rayons dansants qui viennent sur l’écran manifester tous nos sentiments à l’état d’ombres »(1). Lacan y note que « Platon serait comblé par cette invention »… Il faut dire que Platon n’est pas le seul ! C’est pour cela qu’au début de chaque soirée, nous projetterons un film.
L. M. : Vous avez choisi le cinéma américain, mais pas n’importe lequel…
D. F. : Nous nous intéressons à ce qu’on appelle le « cinéma d’auteur » américain. Il me semble qu’un point commun chez les réalisateurs que nous avons choisis, c’est leur effort d’écriture. Au niveau du scénario, ou dans leur façon de créer leurs films qui peuvent être lus comme des textes. Nous avons choisi des très grands scénaristes, tels qu’Ernst Lubitsch ou Billy Wilder. Mais aussi des réalisateurs comme Lodge Kerrigan, dont le film est structuré comme un texte, autour d’un trou. Enfin, des réalisateurs pris, ou moins pris, dans l’industrie du cinéma, mais qui, dans tous les cas, nous rappellent avec leur « caméra-stylo » que le cinéma déborde largement le visuel.
Et justement, lorsqu’il s’agit d’aborder la féminité dans l’enseignement de Lacan, le recours à l’écriture devient nécessaire…
L. M. : Un réalisateur très classique comme Lubitsch, en même temps qu’un représentant du cinéma indépendant de l’avant-garde new-yorkaise, comme Kerrigan… quel saut !
D. F. : Tout à fait. Lors de nos soirées nous alternerons films classiques et films contemporains, afin de cerner les changements opérés dans l’ordre symbolique, depuis la deuxième guerre mondiale jusqu’à nos jours. Nous avons choisi deux époques bien précises du cinéma américain.
Le rêve américain a depuis longtemps été battu en brèche par le cinéma. Mais les réalisateurs des années 40-60 croyaient encore à une certaine idée de progrès. Pour examiner cette première époque, nous nous penchons sur des réalisateurs tels qu’E. Lubitsch, Joseph Mankiewicz, ou B. Wilder.
Cinquante ans après (1990-2010), le cinéma indépendant américain est celui qui réussit le mieux à repérer les changements qui ont eu lieu dans la société dite postmoderne. Nous nous intéressons aux réalisateurs comme Amos Kollek, L. Kerrigan, Noah Baumbach, ainsi que des autres plus populaires comme Steven Soderbergh.
L. M. : Vous avez intitulé vos soirées « Portraits de femmes », comme le titre d’un roman de
Henry James. La féminité est donc le fil conducteur de votre enseignement ?
D. F. : Effectivement. Au regard des films de ces deux époques, nous voudrions faire résonner la fameuse question freudienne, que veut la femme ?
À la lumière de ce que la psychanalyse enseigne à propos de la féminité, nous réfléchirons aux portraits de femmes dans le temps. Au fils des soirées, une diversité de figures féminines visiteront l’écran de cinéma de l’ECF : la femme égarée, la bourgeoise, la sauvage, la perdante, l’intrépide, la mère, la rebelle, la prostituée et tant d’autres.
Jacques Lacan écrit le manque de signifiant qui vient dire ce qu’est une femme. Chaque film sera l’occasion d’interroger les différentes solutions à la position féminine, dépeintes par ces réalisateurs. Quelles solutions du côté de l’avoir ? Quelles solutions du côté de l’être ? Quelles différences pouvons-nous constater entre les films des deux époques choisies ? Quelles formes adoptent, dans ces deux périodes, les masques qui viennent voiler le rien ?
L. M. : C’est en suivant ce fil que vous allez interroger le cinéma… ?
D. F. : Là, vous touchez à une question incontournable pour nous, celle de l’articulation entre psychanalyse et cinéma. Il ne s’agit pas pour nous de créer un espace de psychanalyse appliquée au cinéma… Quel ennui ! Nous souhaitons plutôt nous laisser guider par l’indication de J. Lacan qui écrivait en 1965 : « … se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où l’artiste lui fraie la voie. C’est précisément ce que je reconnais dans Le ravissement de Lol V Stein, où Marguerite Duras s’avère savoir sans moi ce que j’enseigne »(2) .
À partir de cette précision, nous pouvons nous demander : que savent les réalisateurs choisis de ce que la psychanalyse enseigne ?
L. M. : Et pour vous y mettre, vous avez constitué un cartel ?
D. F. : Oui, l’enseignement sera animé par un cartel composé par Bénédicte Jullien, Omaïra Meseguer, Damien Guyonnet, Camilo Ramirez et moi-même. Nous avons commencé à lire des textes de Freud et de Lacan sur la féminité, afin de bien poser le cadre de nos soirées. Le cartel constitue un dispositif de lecture très riche, qui favorise la discussion et l’esprit de débat. C’est une expérience très salutaire. Le travail en cartel est un excellent partenaire de l’enseignement de la psychanalyse, différent de l’enseignement universitaire.
L. M. : Est-ce que je peux vous demander quel sera le premier film de votre enseignement ?
D. F. : C’est un secret… ! Mais s’agissant de la Lettre mensuelle…Vous gardez ça pour vous… ! Nous allons commencer par un film de Steven Soderbergh, de l’année dernière, Girlfriend experience. Nous ferons connaissance avec Chelsea, une call-girl new-yorkaise de haute volée. C’est l’automne 2008, Wall Street dévisse vers l’abîme, Obama va peut-être bien être élu…
Cet enseignement aura lieu au local de l’ECF, le vendredi de 20h30 à 23h30. Vous pouvez déjà noter les dates : 3 décembre 2010, 21 janvier, 25 mars, 13 mai, et 24 juin 2011.
(1) Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, Paris, Seuil, 2001, p. 46.
(2) Lacan J., « Hommage fait à M. Duras, du ravissement de Lol V. Stein », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 192-193.