Nathalie Georges – Comment naît le désir du psychanalyste au XXIème siècle ?
Depuis dix ans que nous avons enterré le XXème siècle, il me semble que la pertinence de l’École pour la psychanalyse s’éprouve toujours plus : caisse de résonance ou champ magnétique, l’école est devenue un, sinon le laboratoire où s’expérimente la radicalité des réponses obligées à une question qui se fait à la fois de plus en plus saugrenue et insistante : Comment peut-on être parlant ? L’École est là pour nous rappeler que si on peut, on doit, et aussitôt le cahier des charges de l’auditeur potentiel tombe sur les frêles épaules de celle ou celui que la parole assiège (de l’intérieur, qu’il n’y pas). Il va falloir énoncer en sachant qu’on ne sait pas ce qu’on dit et qu’on est responsable de l’entendu, sans compter les effets boomerang ; énoncer quoi ? rien, for sa propre réponse à la question “Comment naît le désir de l’analyste au XXIème siècle ?”, et ce dans une langue claire et distincte, selon un plan articulé, comportant une démonstration susceptible d’être transmise et surtout d’intéresser l’auditeur honnête et bienveillant, sans doute, mais pas moins exigeant, attendant du nouveau et possiblement voisin de sa propre méchanceté. Indifférents s’abstenir.
Ce désir, comment l’attraper quand il naît, une fois, la première ? Renaît-il, ensuite, à chaque fois qu’un nouveau candidat se présente à l’analyse? Est-ce l’index du point de réel de la rencontre, manquée dans son principe et néanmoins opérante, pour peu (et quel peu…) que l’analyste supposé soit capable de diriger une cure, c’est-à-dire qu’il sache qu’alors il se doit (en qualité d’analyste candidat, lui aussi) d’en repérer précisément les coordonnées ?
L’ayant dit ainsi, je souscris à cette thèse. Oui, le désir de l’analyste renaît à chaque fois que le transfert, qui était au commencement, avant que, soudain, il s’actualise, oblige l’analyste à reprendre avec lui ce qui a nom psychanalyse, soit la sienne propre, mais pas sans l’autre, celle de la civilisation, en refondant ce commencement même, sous le regard des deux Freud, des quatre Lacan et des quelques autres vivants qui l’écoutent et misent avec lui sur le renouveau de ce qu’il faut bien appeler une discipline.
Simon, passé la trentaine, venu en proie à une douleur qui le submergeait consulter sans rien savoir, dit-il, de la psychanalyse, ni supposer qu’une part ignorée de lui-même se repaît de cette torture, a commencé à rêver d’abondance depuis qu’il est allongé. Il me reproche aussitôt de ne pas lui délivrer l’interprétation qui lui manque à l’horizon du miroir où il s’est perdu. Dans l’espace/temps continu qui unit et sépare chacune de ses séances de toutes les autres, le désir singulier de savoir comment m’y prendre pour saisir dans les rets de sa parole les signifiants qui le lestent, ceux qui le paralysent tressant le pont suspendu au dessus du vide qui n’est qu’à lui et qu’il va aussi falloir qu’ils fassent semblant de sédimenter, comblant avec « ma personne », un temps, ce temps qu’il faut, ce désir me surprend : combien de temps me faudra-t-il pour savoir si oui ou non, l’analyse, la vraie, l’aura, si elle ne l’a déjà, mordu ?
Je conclus, provisoirement, avec cette citation des Autres écrits (page 338) dont Monique Amirault a fait argument, le 20 novembre dernier, en envoyant sa proposition d’intervention pour Rennes : “Il [l’analyste] a à s’égaler à la structure qui le détermine, non pas dans sa forme mentale hélas ! c’est bien là qu’est l’impasse, mais dans sa position de sujet en tant qu’inscrite dans le réel”.
(à suivre)