n° 55
les ateliers du ri3
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Modérateur : Jean-Robert Rabanel
« TRACE DE TRAVAIL »
Avec cette première vignette proposée par Christine Carteron, nous inaugurons
l’Atelier électronique « Trace de Travail ».
Vous connaissez déjà l’Atelier « Évaluer tue ».
À vos claviers !
Quelque chose de trop
Christine Carteron – Nonette
Allant à la rencontre d’un père raccompagnant son fils après une fin de semaine en famille, je le salue en lui tendant ma main qu’il serre pour la première fois depuis plusieurs années. J’ai froid en cette toute fin de journée ; lui me parle du temps qui s’est rafraîchi.
Le fils, portant d’un côté son sac de voyage, se bouchant l’oreille avec son autre main, se penche sur l’épaule de son père qui lui dit : « Ah ! Alors ? On se dit au-revoir ? Au-revoir Paul-Maxime ! » Le jeune homme se faufile dans l’institution à travers le portillon que je maintiens ouvert.
Seule avec ce monsieur, je lui demande des nouvelles de sa dame. Après une exclamation accompagnée d’un très léger balancement du corps vers l’arrière, il me dit qu’elle est perturbée à propos « des produits de nettoyage ». Pensant aux produits ménagers, je lui demande si c’est parce qu’elle n’en trouve pas qui soient efficaces. Il me répond : « C’est pas ça. C’est à propos des produits de toilette de Paul-Maxime. » Puis il ajoute : « C’est disproportionné. Je trouve que c’est exagéré. D’ailleurs j’ai enlevé le mot qu’elle a écrit. Je l’ai là. » Il tapote sa poche. Je lui dis alors que si sa femme a écrit un mot à notre adresse, c’est peut-être important que nous puissions en prendre acte, car c’est sûrement important pour elle aussi. Il semble hésiter un tout petit peu, reparlant de quelque chose d’excessif, évoquant le fait que s’il le fallait il donnerait bien la moitié de sa paye pour acheter ces produits.
Je lui fais remarquer que ces produits sont en lien avec le corps, et que c’est souvent un peu compliqué pour chacun d’avoir à faire à ce qui est en lien avec le corps de son enfant. Il évoque le fait que dans un autre cas de figure, il aurait peut-être eu à lui payer du whisky, ce qui eut été d’un autre coût. À ce moment-là, il a un rire douloureux. Je redis que ce que chacun rencontre est parfois complexe. Il ponctue en disant : « Il faut bien dire que c’est parfois pas facile du tout. »
Il sort le petit billet de sa poche et me le confie. Je le lis sans faire de commentaire. Adressé à ma collègue, le mot énumère les produits de toilette mis dans la trousse du jeune homme, et dit qu’il y a eu un usage dispendieux des produits de toilette la semaine précédente, et qu’il faudrait veiller à mieux encadrer son fils lors des toilettes. Je salue alors le père de Paul-Maxime et lui demande de transmettre à sa dame notre bonjour. Je rejoins ensuite Paul-Maxime qui est entré à La Villa, puis est allé dans sa chambre et a posé son bagage sur le lit. Il parle beaucoup, les oreilles bouchées. Je prends soin en sa présence de son bagage que je range.
L’heure du dîner arrive ; je le prépare. Je sers les jeunes gens présents ce dimanche soir. Paul-Maxime dîne rapidement et sort de la salle à manger en vitesse. Je le rencontre ensuite dans la salle de bain où il a trouvé refuge, se tenant debout, ses index enfoncés profonds dans ses oreilles, proférant des paroles morcelées, entrecoupées de bruits de gorge longs et sourds que le corps semble alors accompagner de tressautements. Dans cette parole particulière et confuse, je distingue « Non ! Paul-Maxime. Non ! Hummmmmm, produits de toilette. » Je l’interpelle alors en prononçant son prénom et son nom à plusieurs reprises ; il émet un long hummmmmmm, yeux fermés, oreilles bouchées, piétinant sur place. La troisième fois, je redis son prénom et son nom et je lui propose de déboucher ses oreilles. Je dis : « Nous sommes désolées. Nous avons inquiété Mireille Roux [sa mère] en lui demandant des produits de toilette. Nous allons lui téléphoner pour lui présenter nos excuses. » Il se penche alors, débouche ses oreilles et dit « Carteron ! Tu lui téléphones quand ? » Je réponds : « Dès que nous pourrons la joindre. » Il dit alors : « Je te fais une bise ! » Je soupire un « Oh », marquant que c’est de trop…
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