Écouter les soupirs de l’énonciation Danièle Rouillon – CTR de Nonette
www.ri3.be C’est un autre témoignage. Intense et incisif. Notre collègue Danièle Rouillon s’approche au plus près, par l’écriture, de ce point évoqué dans Le feuilleton n°26, et ici décliné dans son asymptote : comment occuper la place de l’effet de rejet d’un hors-discours ? Eh bien, c’est en ce point que peuvent surgir des « effets de rebroussements » et que « ils » et « elles » peuvent faire une timide entrée dans « la cité des discours ». Ce qui suit vaut démonstration. DR Dans ce tourbillon de brefs entretiens avec l’un puis l’autre, un masque s’installe sur mon visage. Que suis-je devenue à travailler dans leur monde où les objets de la pulsion sont des réels à manipuler avec délicatesse ? Pour résister contre ce siphon, je répète des phrases dans ma tête : « il y a sûrement quelque chose à leur dire, ne pas trop s’en occuper, ni les regarder ». Je suis de plus en plus concentrée : je suis toute en rétention, ma voix prend un voile, je retiens ma respiration, je n’ai plus faim. Je suis sur le qui vive, à chaque instant il peut se passer quelque chose dans ce calme apparent. Mon visage ne peut plus masquer la fatigue, le stress. Je suis tel le chirurgien dans la salle d’opération, prise par mille gestes, dires pour opérer dans le symbolique, dans le réel. Ceux avec qui le transfert s’est mis en place me parlent. Cela me fait penser que tout ce travail n’a pas été vain même si je dois interrompre le dialogue avant que les voix ne deviennent insupportables. Ils me soutiennent. Un matin où je n’ai que le désir de repartir de cet asile qu’est Nonette, Lecredo m’accueille « ha, ça fait du bien de venir à Nonette ». Sa parole me délasse, chasse mon égoïsme. Je le remercie ainsi que la clinique ironique qui a humanisé ce sujet. Dans sa lalangue, il traite l’anal qui faisait symptôme d’automutilation : « analytique, psychanalytique, psychotique, symbolique, Réel, imaginaire ». Aurore, visage ébouriffée sur un corps massif vient vers moi. Je lui propose ma main, elle s’y appuie comme Zazie dont elle reprend gestes et sons. Aurore trouve à exister en étant une autre. Les épisodes à 13h 30 heures se répètent dans le même scénario quand les images des éducateurs du matin vont partir et celles de l’après-midi vont arriver à 14 Heures. Même le grillage ne fait plus limite, elle creuse la terre, ondule et passe dessous. Elle part, égarée. Je vais la chercher dans les chemins, je la retrouve assise à une intersection. Dans la voiture, je donne à entendre la mélodie de la voix de Jacques-Alain Miller qui parle d’histoires de psychanalyse. Je fais mine de ne pas voir Aurore. Je me gare à distance, j’attends qu’elle vienne vers moi. Parfois c’est moi qui entame le dialogue « vous êtes perdue ». Elle fait l’effort d’entrer dans ma voiture avec délicatesse. Et avec J.-A. Miller, nous revenons au CTR attendre l’arrivée des collègues. Je maintiens le lien à distance, je suis très occupée à écouter les soupirs d’énonciation de JAM. À cause de la neige son analyste n’est pas venu depuis deux semaines. Hier par deux fois je l’ai cherché sur la route et l’ai raccompagnée. La troisième fois, je suis revenue seule, ne voulant pas laisser trop longtemps ma collègue seule avec les autres jeunes. Un appel téléphonique nous informe inexactement qu’elle est près d’un pont. Je n’ai plus d’essence. J’explique la direction à ma collègue. Je ne comprends pas car ce n’est pas l’itinéraire habituel d’Aurore. Toute la matinée, j’avais tenté qu’elle s’accroche à mon image, à mes mots. Elle sera retrouvée dans le sens opposé du pont. Dans la neige, dans le transfert à l’analyste, elle a suivi le trajet de la route pour le rejoindre. Ma proposition de lui écrire ne l’a pas satisfaite. Ce dont je n’ai pas été capable, c’est d’informer son analyste. Avec ces sujets, je suis souvent impuissante à entendre la petite voix silencieuse qui leur parle et les fait agir. Pendant que ma collègue la cherchait. Inquiète pour Aurore, je devais accompagner les 11 autres jeunes pour le repas.
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