n° 35
Être présents pour Ahmed Céline Escarpit, Philippe Cousty – ITEP de Morcenx
www.ri3.be En venant à l’ITEP de Morcenx, avec une demande d’internat de la part de l’institution précédente, Ahmed a laissé sa famille, son école, son ancienne institution. Plus il demande à renouer ces liens, plus les choses se dégradent. Page après page, rencontre après rencontre, il nous convoque à agir dans l’urgence, à inventer, à se relayer. Insultes, cris, coups, Ahmed est incontrôlable, collé à un autre enfant. « J’aurais aimé que l’on se parle mieux », dis-je, mais il n’entend pas. Alors, je prends Ahmed par le bras et le conduit à l’écart. Nous nous asseyons. En silence, nous échangeons des post-it . Il écrit : « Je suis en bois. » C’est vrai, il semble raide comme du bois et il y a son père qui boit, et son prochain atelier, l’atelier bois. Y a-t-il quelque chose à desserrer autour de ce mot ? Je lui écris : « On peut dire aussi dur comme du bois, ou je touche du bois. » Je lui tends, il me rend le stylo, j’écris : « C’est un boit-sans-soif » ; « Bois ta lettre. » Encore : « De quel bois je me chauffe ? » ; « Il boit comme un trou. » Puis j’arrête, j’attends. Il écrit à son tour : « J’essai de mieux parler. » Il sort apaisé. Petite accroche à l’autre, passage par l’écriture. Nous prenons note. Après cela, il confie qu’il commence à entendre des voix qui disent des choses qui vont se passer, qu’il est médium. À l’école, il est en conflit permanent avec l’enseignante, les autres enfants. Il peut dire : « Je me contrôle mais je ne vais pas me contrôler longtemps. » Mais très rapidement des mots orduriers à répétition, des insultes, des actes où il s’enferme dans les toilettes, se suspend à la porte, enferme l’AVS, conduisent l’école à demander une déscolarisation. Il sera mis en arrêt scolaire par le médecin pour un temps important. L’urgence encore… Que faire ? Nous nous asseyons avec lui. Ne pouvant parler, il écrit : « Je suis suspendu, j’ai des mots dans la tête, des images, je ne peux les arrêter. » Ou encore, parlant d’un autre enfant avec qui il s’allie à l’école, il écrit : « Je ne veux pas me détacher. » Il nous demande de l’aider, nous avons donc avec lui la charge de cela. Il rencontre le psychologue avec Bruno, le chef de service. Ces phénomènes ont pour support hallucinatoire un personnage issu d’un scénario de Stephen King. C’est un clown, il s’appelle « Ça », il hante les jours et les nuits de Ahmed qui nous dit : « J’ai une télé dans le cerveau. Quand c’est trop dur, je change de chaîne. » Il nous dit qu’il n’arrive pas à se détacher, que tout cela est arrivé quand il est venu à l’hôtel d’enfant : « J’aime pas être seul, j’aimerais être dans une chambre avec quelqu’un parce qu’il y a quelqu’un au moins. » Premières mises en mot, premier dépôt au lieu d’un Autre, premières élaborations. Nous allons donc essayer de suivre sa proposition en réaménageant sa place à l’hôtel d’enfant. Il part apaisé accepte de revenir. Nous lui proposons une rencontre avec le pédopsychiatre pour un traitement. Il accepte. C’est une solution bricolée, nous tentons de faire accroche en comptant seulement sur la présence que nous avons auprès de lui. Reviendra-t-il ? Cela servira-t-il ? Nous ne savons pas a priori. Dans l’urgence, on est poussé à l’acte, au bon sens du terme, pour faire séparation de cet en-trop, de ce « ça » à ciel ouvert.
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