Un braqueur braqué
Patrick Paquier – Service de psychiatrie de la Maison d’arrêt d’A…
Le feuilleton préparatoire aux Journées des 23-24 janvier attend vos textes aux adresses
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Maison d’arrêt, quartier des mineurs… Appel en urgence du surveillant chef, auprès de P., âgé de seize ans, qui vient de dévaster sa cellule. « J’ai tout cassé », me dit-il dès que je franchis la porte de la cellule. La crise a été déclenchée par le refus d’un surveillant de lui donner une cigarette. Je l’invite à me suivre dans mon bureau.
C’est le premier entretien que j’ai avec P., qui vient d’être transféré dans notre établissement. Il m’explique qu’il avait besoin de « péter les plombs ». Cela lui arrive de temps en temps. Il ne peut pas se maîtriser. Il pense que s’il faisait du judo cela irait mieux. « Au judo, il y a des règles. » J’acquiesce. Quand il est chez sa mère, il a la solution de sortir et de fumer un joint. Ici, l’enfermement ne lui laisse aucune porte de sortie.
P. a été incarcéré après avoir braqué un commerce. Son cerveau était déréglé, me dit-il. « Je réfléchissait pas. » Alors que sa mère voulait qu’il retourne au foyer où elle l’avait fait placer, il lui a répondu : « Je vais faire un braquage, comme ça j’irais en prison. » Il dit avoir fait exprès de se faire arrêter. Serait-ce un moyen de sauver la mise lors de ce premier entretien où il crâne un peu devant le psychiatre dont il se méfie un peu ? Sans doute, car les experts en psychiatrie viennent de lui signifier qu’il a des traits psychotiques et psychopathiques. Il me demande : « Narcissique, c’est quoi ? » Je ne me mets pas du côté de l’expert et ni de l’expertise, et cela le surprend. Il accepte de revenir à ma consultation, où il livre une part de son histoire et de sa position subjective.
« J’ai toujours fais ce que je voulais. Je n’allais pas à l’école si je ne voulais pas. » Ses frères et sœurs travaillent bien à l’école. Lui, il a toujours été à part. Il a toujours été défendu par sa mère. « Dès que j’étais puni par mon père, ma mère me dépunissait tout de suite. » Le divorce de ses parents à « chamboulé sa vie ». À l’âge de dix ans, il part vivre avec son père. Celui-ci utilise son fils pour passer des plaques de cannabis à la frontière. Un an plus tard, il repart vivre avec sa mère. À onze ans, il se bat avec le directeur de son collège et il est « viré ». Il sera placé en famille d’accueil quelques mois et ensuite l’éducatrice le ramènera chez son père. Il fuguera pour retourner vivre avec sa mère. À l’âge de quatorze ans, il est arrêté pour un trafic et il est de nouveau placé en famille d’accueil. Après un vol dans cette famille, il sera mis en foyer.
Depuis deux ans, il vit au jour le jour. Il se fait exclure de partout. « On dirait que je suis déjà mort. On dirait que ma vie est morte. Je ne sais pas ce que je vais faire. La vie, c’est pas facile. On dirait que je sers à rien. » Je lui réponds que je pense qu’il peut faire quelque chose. Il me répond que dès qu’il fait quelque chose, cela se termine par un échec. Il pense qu’il ne peut pas changer et que sa vie sera toujours un échec. « Je suis comme je suis. »
L’appel en urgence auprès de détenus se révèle toujours être une urgence à entendre une parole qui ne peut être dite. Cela permet bien souvent d’éviter une récidive et d’engager un travail de parole vers une historisation de la vie d’un sujet. Il s’agit de se faire le partenaire d’un sujet, afin de l’accompagner, face à une administration pénitentiaire qui ne se règle pas sur la structure psychique des sujets qu’elle enferme.
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