Gérer la violence ou traiter le passage à l’acte ?
Dominique Haarscher – Le Pré-Texte, Bruxelles
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« … tant qu’une trace durera de ce que nous avons instauré, il y aura du psychanalyste à répondre à certaines urgences subjectives… » Lacan, « Du sujet enfin en question », Écrits, p.236.
Comment distinguer l’action normalisante, et parfois féroce, pour empêcher la violence d’un sujet qui n’en peut mais, en le maîtrisant manu militari ou à coup d’injonctions punitives, et l’acte preste mais calculé de celui qui est orienté par le réel ?
Quand un sujet se démolit, il faut agir dans l’urgence, il faut parfois inventer une réponse là où il n’y a pas de question, mais de l’insupportable qui surgit on ne sait d’où. C’est là que nous pouvons, par notre attention fine, repérer ce qui provoque un débordement de jouissance ravageant pour un sujet qui ne peut rien en dire, qui ne paraît même pas concerné par ce qui lui arrive. C’est en réunion clinique que l’on mettra en série les repérages de chaque intervenant et que l’on construira ainsi le cas. À partir de ce matériel, nous pourrons alors inventer des modalités d’intervention pour empêcher et anticiper l’irruption du passage à l’acte.
Ainsi, cette jeune femme1 nous a appris à tendre l’oreille et à percevoir ce qui prévient qu’elle va littéralement exploser, c’est-à-dire taper sur tous les objets autour d’elle, hurler et puis déchirer son pull, se mordre et enfin s’effondrer, épuisée. Ces crises, d’une extrême violence, se produisaient plusieurs fois par semaine. Une hypothèse émergea : il s’agit toujours de manifestations sonores produites par l’autre. C’est la forme que prend pour elle l’effraction du réel. De plus, c’est le ton de sa voix qui nous signale l’instant où il s’agit d’agir. Au point d’émergence du débordement, elle ne nous appelle pas, mais nous pouvons entendre au ton impératif et intempestif , qui n’est plus une demande, que nous devons y être à l’instant. C’est une clinique de l’urgence à intervenir. Pas question d’attendre, de la faire attendre ; il faut être là dès que le ton monte. L’instant d’après, il est trop tard et elle nous renvoie à notre impuissance face à ce déchaînement impressionnant pour tenter d’extraire l’objet. Encore faut-il y être de la bonne façon, c’est-à-dire de ne surtout pas faire consister ce qui se passe ; il n’y a rien à interpréter, par définition, dans le passage à l’acte ; le sujet n’y est pas. Il faut couper, détourner, dévier, passer à autre chose, ne donner aucun sens à ce qui arrive. Ainsi, ce sujet ne fait pratiquement plus jamais de crises parce que l’équipe a appris à y faire, à entendre et à se taire si nécessaire.
Les nombreuses propositions de formation du style « gestion de la colère pour personnes ayant une déficience intellectuelle », dans lesquelles on nous promet de pouvoir leur enseigner des habiletés d’auto-contrôle en deux jours, nous laissent pantois. C’est en 1966 que Lacan énonce ce que j’ai mis en exergue ; 44 ans plus tard, le combat continue, mais plus dur encore, parce qu’il s’agit d’abord de lutter pour qu’il y ait encore du sujet.
1. Haarscher D., « L’urgence de la coupure », Quarto n°84, 2005, p.51.
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