Unheimlich dans les normes « anomaliques »
Michel Neycensas – ITEP Bellefonds
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Dans ce texte, Freud part d’une enquête linguistique et littéraire. Il extrait d’un texte de Schelling cette phrase : « On appelle unheimlich tout ce qui devrait rester secret, caché, et qui se manifeste »1. Cette phrase vaut comme définition de l’angoisse. S’appuyant sur une fiction, L’homme au sable de E.T.A. Hoffmann, Freud fait un recensement de ce « quelque chose »2 qui surgit. Avec la poupée de cire qui s’anime, avec la problématique du double, avec l’incertitude intellectuelle devant des objets privés de vie, ou trop marqués de vie, Freud décline les perturbations qui relèvent de l’unheimlich à partir de la mise en jeu de la pulsion scopique.
De ce texte, « cheville indispensable pour aborder la question de l’angoisse », Lacan rend raison dans le Séminaire x, L’angoisse. Reprenant son stade du miroir pour situer l’angoisse, il fait valoir que tout n’est pas spécularisable. Il y a un reste, non spécularisable, qui, le plus souvent, « reste » du côté du sujet. En effet, l’investissement libidinal n’est pas tout transféré sur l’objet, n’entre pas tout dans l’imaginaire. Le phénomène d’angoisse surgit alors, quand ce reste « vient, par quelque détour se manifester à la place prévue pour le manque »3, et cette place prévue pour le manque, c’est la place du phallus, du moins phi de la castration. Pour que se manifeste cet « objet étrange », qui n’est pas homologue aux objets de la réalité, il faut certaines conditions, et en particulier une stimulation pulsionnelle (Triebregung) qui vient perturber l’équilibre qu’assure le moi ou son image. C’est moins la perte de cette image qui cause l’angoisse que le surgissement de l’objet à la place même qu’elle voilait.
L’unheimlich apparaît là où il devrait y avoir moins phi : « soudain, tout d’un coup », l’objet surgit, le manque vient à manquer et l’angoisse apparaît au moment où il y a « défaut d’appui que donne le manque ». Mais l’indication que donne Lacan, à la page 53 de son Séminaire, élargit la question du surgissement de l’angoisse au-delà de la structure névrotique. Quand « vient à manquer toute norme », ce peut être aussi bien la norme phallique, soit « ce qui fait le manque »4, qu’une norme fondée sur « ce qui fait l’anomalie » : en ce point de vacillation de « sa » norme, le sujet se trouve dans un rapport non voilé à l’objet et celui-ci peut surgir de manière inattendue, en provoquant une angoisse extrême.
L’unheimlich renvoie à une théorie de l’excès, du trop, trop de libido, trop de présence du désir ou de la jouissance de l’Autre. Ce trop embarrasse le sujet et se résout dans l’urgence : par un appel ou une crise, il s’invite sur la scène, ou bien la quitte, dans un passage à l’acte, devant un danger, une menace. Dès lors, la présence de l’Autre est requise, et à ce « quelque chose » qui surgit, la réponse, à chaque fois singulière, faite d’un dire, d’un acte qui font coupure, sépare le sujet d’une jouissance intraduisible.
1. Freud S., « L’inquiétante étrangeté », Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard Idées », 1976, p.173.
2. Freud S., Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999, p.506.
3. Lacan J., Le Séminaire, Livre x, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p.53 et p.74.
4. Miller J.-A., « Introduction à la lecture du Séminaire L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne n°59, pp.95, 96, 90 et 67.
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