L’évaluation de l’urgence
Jean-Pierre Rouillon – CTR de Nonette
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Dans nos sociétés qui ne connaissent plus que le présent éternel, dans lesquelles tout projet doit connaître une réalisation rapide et programmée, dans lesquelles l’efficacité est prônée au rang de valeur absolue, l’urgence semble le seul mode de traitement du malaise et du « ça ne va pas » qui convient. Lieux d’accueil de ceux qui ne pouvaient, sans exploser ou s’effondrer, soutenir ce rythme infernal, nos institutions d’accueil semblaient vouées à un autre temps, celui de se restaurer, de se retrouver, de se construire un espace et un temps qui convenait au sujet. C’est ce qui a pu nous faire croire qu’elles se situaient hors des contraintes du maître moderne, de ses calculs, de sa rentabilité, qu’une autre logique que celle de l’efficacité à moindre coût y avait cours. La mise en place de l’évaluation interne, puis de l’évaluation externe, importées des pratiques de l’industrie, est venue remettre les pendules à l’heure.
Notre temps désormais est compté, il peut se mesurer à l’aulne des actions qui doivent à présent rendre compte de la réalisation de nos bonnes intentions. Ce n’est plus seulement l’urgence des symptômes, de la souffrance, du passage à l’acte qui doit régler notre temps, en y inscrivant la hâte de l’acte. Ce n’est plus la réponse à la crise qui nous oblige à nous précipiter dans une anticipation de la certitude, afin que le sujet que nous accueillons puisse retrouver des marques, en deçà de l’en-trop qui l’a bouleversé. C’est désormais une urgence de répondre à une efficacité dont seul le chiffre pourrait donner la raison. Ce n’est plus la construction en après-coup qui doit permettre de repérer les coordonnées de l’urgence, permettant au sujet de passer de l’urgence à l’invention et à la création. C’est la réponse immédiate en termes d’arrêt, de barrage, d’empêchement, d’exclusion, réponse qui ne prend en compte que les effets et non les causes. On doit répondre à l’urgence et la faire cesser, on doit stabiliser.
Mieux que cela, l’évaluation déplace l’urgence, elle ne concerne plus le sujet, mais le dispositif d’accueil lui-même. Il doit prévoir l’urgence et savoir y répondre, avant même qu’elle se produise. Il doit s’organiser, mettre en œuvre les protocoles pour y répondre, avant même qu’elle ait eue lieu. Le must du manager contemporain, adepte des cercles vertueux de la bonne gouvernance, c’est de savoir anticiper, non pas au lieu de l’urgence, mais avant même qu’elle ne surgisse. Il ne suffit plus d’apporter des réponses quand des questions surgissent, mais savoir être performant. Une nouvelle agence vient d’ailleurs de naître, celle de la performance. En somme, il ne suffit plus de répondre au cas par cas, il faut savoir, comme nos hommes politiques, chiffrer nos performances et donner dans la statistique. Et cela devient urgent, car, sinon, nous disparaîtrons. Le maître moderne, toujours compatissant, a su nous trouver une autre urgence que celle à laquelle nous nous confrontons tous les jours, celle du réel.
Comment répondre à cette exigence de performance qui nous paraît insensée, de se situer en dehors d’un ordre de bienfait ? En ne cédant pas, justement, sur ce qui cause cette exigence d’en faire plus, d’en montrer plus : la jouissance qui est désormais au fondement de nos institutions. Ce n’est plus à partir de la charité et de la bienveillance que nous pouvons aujourd’hui faire exister un asile où accueillir l’exil du parlêtre. C’est en chiffrant la jouissance en excès, qui envahit le parlêtre, en apprenant sa lalangue singulière, en inventant, au un par un, un dialogue qui ouvre à l’invention, celle de son style propre. En somme, au moment où les semblants s’emballent, il est de plus en plus urgent de s’orienter à partir de la seule balise qui vaille : le réel.
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