Lettre urgente
Patrick Roux – ADIR, Toulon
Le feuilleton préparatoire aux Journées des 23-24 janvier attend vos textes aux adresses
[email protected]
[email protected]
Émilie va avoir 18 ans, elle est sur le départ. Elle a visité un foyer et en est revenue enchantée. Une place lui est réservée, nous dit-on. Cependant, la date d’admission est reportée de loin en loin. Au fil des mois, cette attente prend l’allure d’une promesse non honorée, ce qui n’est pas sans exaspérer l’équipe. Émilie, de son côté, va très mal. Elle multiplie les passages à l’acte : morsures, gifles, agitation, demandes irrecevables… Elle répète interminablement « Palasse », le nom du foyer visité et « promis », comme si elle l’avait immédiatement adopté. Tout le monde interprète ce mal-être comme un vécu d’impatience : il tarde à Emilie de rejoindre Palasse.
Sur la structure de jour, des lettres sont écrites et remises à Émilie, donnant consistance à cette supposée attente. Lettres que livre Émilie, dès son arrivée au Centre d’hébergement, dans une grande excitation. Il peut lui arriver de déménager – au sens propre. Le signifiant de son prénom passe alors dans le réel. Elle tire obstinément son lit hors de sa chambre en scandant « É-mi-li, Cin-di », nom de sa camarade de chambre. C’est le seul moyen – peu économique – qu’elle a trouvé pour expulser l’en-trop de jouissance. Comment répondre à cet état d’urgence ? Comment calmer cette agitation soudaine ?
La lecture d’un cas va nous aider à trouver une solution. Il y est question d’une adolescente sur le point, elle aussi, d’être orientée vers une institution et qui traite la question de la séparation. Elle le fait par le découpage de papillons en papier. Sur chacune des ailes, rapporte l’analyste, elle inscrit les lettres M et N. Il s’agit d’un traitement par la lettre – non pas par le courrier – de l’ambivalence soulevée par le départ. Nous sommes frappés par le fait qu’Aurélie, à la différence d’Émilie, dispose pour ce traitement d’un binaire : le M et le N. Émilie, en revanche, ne peut pas s’appuyer sur cette batterie minimale. Palasse est un signifiant tout seul. Palasse la concerne dans son être et le signifiant S2 vient répondre du côté de l’équipe, en recouvrant de sens cette énigme. Si Émilie est clouée sous ce signifiant, faut-il lui donner consistance ? Mettre en question cette interprétation univoque (l’impatience d’Émilie), lors d’une réunion clinique, a permis de sortir de l’état d’urgence. Voici comment : lorsque la lettre suivante nous parvient, faisant encore une longue plaidoirie pour le départ, elle est à peine regardée, puis déchirée sur le champ et mise au panier. Pierre trouve là une façon, radicale mais efficace, de se décaler du chœur de lamentations et permet ainsi à Émilie de s’en dégager. L’apaisement qui suivit a confirmé que c’était bien l’excès de sens qui encombrait Émilie. Ici, le traitement par la lettre d’Aurélie, rapporté par une intervenante de l’Hôpital de jour Bleu soleil, nous a aidé à nous orienter1.
La trouvaille d’une solution par un membre de l’équipe, ou par le sujet lui-même, vient généralement valider, après coup, la justesse de la construction faite en réunion clinique. L’objet persécuteur est, en l’occurrence, une lettre. C’est en la considérant ainsi, comme chargée d’un en-trop, asémantique, et non plus comme un objet à interpréter – ce dont un éducateur a tiré conséquence – qu’Émilie s’en trouve soulagée.
1- Merci à Pierre Brun, éducateur au Centre d’hébergement de l’ADIR.
Toutes les informations concernant les Journées sont sur le site
http://www.ri3.be/
> pour se désinscrire de la liste, envoyer un message sans objet à [[email protected]]
> pour s’inscrire, adresser un message vierge et sans objet depuis sa boite à [[email protected]]