Urgence / USA
Michel Neycensas – ITEP Bellefonds
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Max a sept ans lorsqu’il saute par la fenêtre de sa chambre. C’est sur ce passage à l’acte que s’ouvre l’article de Mary Carmichaël, publié dans un numéro de Newsweek paru en mai 2008 et intitulé « Bienvenue dans le monde de Max ». Elle y déplie ce qu’aux États-Unis il est convenu d’appeler le trouble bipolaire.
L’histoire clinique : venu au monde avec une malformation cardiaque imposant interventions chirurgicales et hospitalisations, Max, dés les premiers mois, ne cesse de crier, de hurler, de se taper la tête contre les murs. Vers un an, il se bouchait les oreilles, mais marchait et faisait des phrases. Son état laissait médecins et pédiatres perplexes, jusqu’à ce qu’un psychiatre fasse le diagnostic : Max souffrait d’un trouble bipolaire, il était l’un des 800 000 enfants présentant un tableau associant excitation, dépression et labilité des émotions. Mais le diagnostic en est rarement effectué. Les traitements médicamenteux existent, mais on ignore leurs mécanismes d’action et leurs effets sur l’évolution du cerveau. Il n’y a pas d’études à long terme mais, non traités, les effets de la maladie sont désastreux, l’issue en étant le plus souvent le suicide. Prescription donc d’un premier régulateur de l’humeur dés l’âge de deux ans qui sera sans effets, un antipsychotique prend le relais. Quelques mois plus tard le même spécialiste « enrichit » le diagnostic : Max souffre d’un syndrome de TDHA, « c’est grave et incurable ». L’article explique que les scientifiques situent les causes des troubles bipolaires dans l’amygdale, siège des émotions, celle-ci présente une trop grande activité au contraire du cortex préfrontal, siège de la pensée rationnelle, qui, lui, présente un défaut d’activité. Conclusion logique : « Ces enfants sont tellement sous l’emprise de leurs émotions qu’ils ne peuvent penser ». La cause des troubles bipolaires ne peut « encore » être identifiée par l’IRM et « le diagnostic relève plus de l’art que de la science ». Ce que l’on sait par contre, c’est que les enfants bipolaires perçoivent le monde sur un mode dramatique et dangereux.
Devant l’échec des médicaments, Max rencontre alors une spécialiste des thérapies comportementales et cognitives, une nouvelle batterie d’examens est effectuée, il passe un IRM et de nouvelles prescriptions lui sont administrées. Cette spécialiste, nous dit-on, redonne espoir aux parents. Peu à peu cependant, l’état de Max s’aggrave, il fugue, entend des voix, pense que sa mère veut l’empoisonner.
À sept ans et demi, il avait pris tellement de médicaments que l’« on ne savait plus s’ils l’aidaient ou s’ils lui étaient néfastes ». Les médicaments sont alors stoppés, mais ce fut pire, « les récepteurs dopaminergiques étaient à nu et beaucoup trop sensibles » ! Max parle sans cesse de mort et deux mois plus tard il saute par la fenêtre, passage à l’acte qui ouvre l’article. Max a écrit une lettre pour dire à qui il confie ses jouets et dire toute sa souffrance : « J’ai toujours envie de me tuer et c’est parce que je ne peux dormir la nuit, papa me fâche pour que je dorme, mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi, je ne sais pas qu’est-ce qui contrôle mais ce n’est pas moi. J’ai vraiment besoin d’aide… » Urgence donc. Max en réchappe.
À dix ans et, comme l’a soigneusement noté sa mère, il a pris 38 médicaments différents, pris beaucoup de poids, Max est une épave, une « ruine émotionnelle », cependant l’auteur ajoute que les parents ont enfin fait la paix avec les médicaments. Au cours de ces années, Max a fréquenté des écoles dont, à chaque fois, il est exclu en raison de ses crises et de ses passages à l’acte sur ses camarades. Ses parents trouvent enfin à le faire admettre dans une école spécialisée, privée et donc payante. Il est dit que les pratiques sportives (équitation, karaté) lui apportent quelque apaisement, mais un détail précieux se glisse dans le reportage : Max a rencontré un garçon très doux et très calme qui devient son meilleur ami.
Cet article grand public montre un exemple de prise en charge des enfants psychotiques aux USA. La part réservée à la psychothérapie est très modeste : une thérapie par le jeu sera proposée, thérapie qui semble d’inspiration kleinienne et elle s’interrompra à la suite du passage à l’acte de Max sur son thérapeute. La psychiatrie médicale et scientifique domine l’offre de soins. Les diagnostics, assortis de sentences prédictives, se démultiplient en une arborescence dont la base est occupée par le trouble bipolaire. À ce feuilletage diagnostique répondent des thérapeutiques qui s’ajoutent les unes aux autres. À ces errances répondent celles des parents qui sont renvoyés à un parcours semé d’embûches et à leur propre souffrance subjective.