Un lien inédit avec la diversité
Véronique Servais-Poblome – Le Courtil
Le feuilleton préparatoire aux Journées des 23-24 janvier attend vos textes aux adresses
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Voici un témoignage surprenant de la part de ce jeune adulte pour qui le symbolique est réel.
De parents sdf – un père qui a fait de la prison et une mère qu’il ne voit plus –, Christian est traversé par le langage. Récemment convoqué par le tribunal pour une affaire de « mœurs », il me dit : « J’ai été au tribunal pour une affaire de mor. Ma mère est morte… Quelqu’un a tué ma mère… J’ai tué ma mère. » Ce jour-là, j’ai pu transmettre ses propos à l’équipe ; je leur ai dit aussi que j’avais suffisamment travaillé pour aujourd’hui et suis rentrée chez moi. En fait, son témoignage m’a profondément touchée.
Ce jeune, qui n’a pour seul horizon la prison ou la rue – c’est ce qu’il dit lui-même –, a trouvé à se loger dans un lieu autre, un lieu d’abri et de traitement, comme le Courtil. Une institution spéciale, d’orientation analytique, dans laquelle les intervenants sont perpétuellement en formation : ne sachant pas, nous cherchons, nous ratons, nous trouvons parfois, pour un temps.
Hors-discours, hors lien social, il apparaît qu’au Courtil, Christian se bricole un lien inédit avec la diversité qu’offre le travail à plusieurs. Le réel est là, toujours : hallucinations, exigences, injures, intrusion dans le bureau, blocage de la porte du bureau, matériel cassé, ravage oral (nourriture, cigarettes, crachats), ravage de l’objet (argent ou appropriation de ce qui n’est pas à lui). Cependant, ce réel est devenu moins massif, plus diffracté, occasionnel.
Christian est agressé, comme il le dit. Agressé par une présence, un regard ou un mot qui sont faits de jouissance. Il n’y comprend rien. Sauf si nous nous en tenons à un minimum de réglage de l’Autre que nous incarnons : lever à telle heure, douche, repas à telle heure, activités choisies du centre de jour (recopiage de recette, Monopoly, Badminton), cigarette distribuée aux fumeurs quatre fois par jour, week-ends en famille d’accueil, semaine au Courtil. Moins nous nous décalons de ce réglage qu’il a fallu, au cours du travail avec lui, épurer, et qu’il faut sans cesse continuer à épurer, moins l’appel se fait pressant. Je me souviens d’une fois, il n’y a pas si longtemps, où j’ai dû m’y opposer de manière décidée, en acceptant les injures, ce qui lui a permis après de s’effondrer, car délesté d’un trop : il a pu alors se mettre à pleurer comme un petit enfant.
L’appel se faisant moins pressant, il parvient maintenant de lui-même à s’éloigner du brouhaha ambiant : il passe une porte pour se retrouver de longs moments dans une salle d’attente, un lieu de passage entre le lieu de vie et l’extérieur, près des bureaux du secrétariat et de consultation. Il y prend son repas, sans le gros tube de mayonnaise, mais avec une petite pyramide de mayo sur un coin de l’assiette, une serviette. Quand je le croise, l’échange, s’il y a, est bref, juste un « bonjour », ou une date faite de chiffres.
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