n° 7
Le cristal de l’urgence Daniel Roy
Le feuilleton préparatoire aux Journées du 23-24 janvier s’interrompt jusqu’au 4 janvier, date à laquelle il reprendra de plus belle, en particulier grâce à vos textes envoyés aux adresses [email protected] [email protected] Nous avons choisi pour faire annonce des prochaines Journées une œuvre de Jean Sabrier, artiste bordelais, présentée en 1996 au Musée Bonnat de Bayonne. Jean Sabrier a tenu à composer lui-même l’affiche et le bulletin d’inscription, sur lesquelles un énigmatique cristal liquide pèse de toute sa présence au milieu d’œuvres picturales du XVe siècle espagnol et du quattrocento italien. Voici comment il le présente : « La pièce Cristal liquide se compose d’un compresseur, d’un détendeur et d’un évaporateur qui refroidissent une châsse transparente. Un mazzocchio, fait de 192 facettes d’eau gelée collées entre elles par de l’eau, est en suspension dans le volume transparent de la châsse. Ce mazzocchio est absorbé par l’évaporateur du système réfrigérant qui le maintient à une température proche du point triple (température où l’eau est à la fois solide, liquide et gazeuse). Sublimé devant St Martin partageant son manteau du Maître du Musée Bonnat (Aragon, XVe siècle), le mazzocchio disparaît sans fondre. Au troisième plan : Tête de Christ mort école venitienne XVe siècle et Vierge à l’Enfant tenant une grenade de l’école de Sandro Botticelli. » Il nous a intéressé que ce cristal soit si intimement lié à sa machine qu’il ne puisse subsister sans elle et que sa subsistance soit une limite entre trois états de la matière, cristallisation, liquéfaction, évaporation. Il nous a intéressé aussi que ce cristal « sublimé » soit plongé au cœur des représentations les plus exquises de l’amour maternel, de l’aide samaritaine et de la marque pathétique de la mort sur le corps. Ces trois représentations ont en effet longtemps été au cœur du lien social tissé dans nos sociétés occidentales et en particulier en ce qui concerne les soins apportés aux malades. Toujours efficaces à leur place d’idéaux, ces représentations sont celles que nous devons traverser pour n’en être pas encombrés dans l’exercice de notre fonction auprès des enfants et adolescents que nous rencontrons en institution. Avec le commentaire de l’apologue de St Martin et de son manteau, publié dans la revue Mental n°7, Jacques-Alain Miller revisite « la réponse de la bienveillance » que Lacan a déjà explorée dans son séminaire L’éthique de la psychanalyse. Nous suivrons ici le commentaire de J.-A. Miller, qui nous enseigne sur les champs qui s’ouvrent selon nos modes de réponse à l’urgence. Il rappelle en premier lieu que Lacan met d’abord en valeur le caractère duel, imaginaire, de l’altruisme tel qu’il est illustré par cet apologue, et le fait que « mon égoïsme se satisfait fort bien d’un certain altruisme, de celui qui se place au niveau de l’utile » (Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, p.220). Mais « le pivot de l’apologue tel que Lacan le commente », c’est que Saint Martin interprète la demande silencieuse du mendiant qui est nu au niveau du besoin. Mais J.-A. Miller ajoute qu’un espace infini s’ouvre si l’on ne prend pas la demande au niveau du besoin, et si on implique « une Autre satisfaction ». C’est ce que Lacan fait surgir : « Peut-être au-delà du besoin de se vêtir, le mendiant mendie-t-il autre chose, que Saint Martin le tue ou le baise ». Et J.-A. Miller précise que l’on trouve cette idée de pouvoir interpréter au niveau d’une Autre satisfaction dans le principe de certains mots d’esprit relevés par Freud (en particulier le fameux « saumon à la mayonnaise »). Pour nous, nous avons dans cette indication une précieuse boussole pour notre mode de réponse aux « cas d’urgence » : il y a des mots qui permettent des déplacements. « On pourrait avec l’apologue de St Martin faire des histoires drôles, inventer quelque usage divertissant de l’étoffe… » (Mental, p.19). Mais nous sommes souvent confrontés à des moments où ce qui se présentifie est situé au-delà de ces déplacements, et c’est là où Lacan amène la question de la jouissance. C’est précisément cette question que la réponse de la bienfaisance empêche de poser
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