COMMUNIQUÉ DU MOUVEMENT UNIVERSITAIRE POUR LA PSYCHANALYSE Par un mail diffusé sur la liste « Kamel Gana », le 25 novembre 2009, M. Swendsen annonce une bonne nouvelle : la psychanalyse est maintenant soluble dans la science. Il ne conçoit aucune difficulté à la soumettre à « une évaluation scientifique rigoureuse ». Les experts de l’AERES, nommés par le Ministère, ont donc résolu le difficile problème de savoir ce qu’est une science et disposent de critères pour le mesurer. Pourquoi gardent-ils cachées de telles découvertes qui jusqu’alors résistaient aux recherches des meilleurs épistémologues ? Ils semblent aussi avoir conclu sur une autre difficulté largement débattue : la science est-elle le seul mode de connaissance possible ? Des avancées aussi considérables ne sauraient rester réservées à quelques initiés : ils doivent maintenant les porter sur la place publique. On peut espérer qu’ils auront mieux à nous proposer que le critère poppérien de falsifiabilité dont le caractère peu probant a été maintes fois démontré. Rappelons qu’aucune expérience ne peut s’avérer décisive pour réfuter une théorie. D’une part, parce que ce n’est jamais qu’un énoncé déterminé qui est comparé aux faits, et non la théorie elle-même, or l’on ne saurait évaluer tous les énoncés par rapport à l’expérience; d’autre part, plus important encore, si les faits observés ne confirment pas la théorie, la démarche initiale du savant n’est pas de l’abandonner, mais de la compléter par de nouvelles hypothèses. Les irrégularités factuelles par rapport aux thèses centrales de la théorie peuvent s’accumuler, les hypothèses ad hoc s’ajouteront tant qu’une nouvelle théorie n’aura pas été non seulement conçue mais aussi acceptée par la majorité des spécialistes. L’unification de la science sous l’égide de l’épistémologie de Popper n’offrirait d’autre promesse que celle d’une stérilisation méthodologique de certains domaines. « On ne peut guère éviter la conclusion , note le mathématicien René Thom (1984), qu’il n’y a pas de critère unique de la scientificité, chaque domaine disciplinaire élabore ses propres critères de scientificité, compte tenu des possibilités déductives qui s’y présentent. Le critère poppérien de falsifiabilité est peut-être valable pour la physique (encore que je n’en sois pas sûr). C’est de la part des physiciens un acte d’impérialisme injustifiable que de vouloir l’imposer aux autres disciplines ». Dès lors, les épistémologues les plus pertinents parviennent à un constat d’échec: » le problème de la démarcation entre ce qui est science et ce qui ne l’est pas n’est pas encore épuisé » (Paty, 1982). La science est multiple. Avant les récentes découvertes de l’AERES, il n’en existait pas de définition neutre et objective. Qui plus est, l’une des caractéristiques majeures des recherches scientifiques du XXème siècle réside dans la multiplication des démonstrations d’incomplétude. On connaît les théorèmes de Gödel qui établissent qu’il existe dans l’arithmétique des propositions à la fois vraies et indécidables. Mais il existe d’autres trous irrémédiables dans les connexions rigoureuses des lettres de la science: la réfutation de l’hypothèse du continu par Cohen, le théorème d’indécidabilité de Church, le principe d’incertitude d’Heisenberg, le théorème d’arrêt de Turing, le théorème de la vérité de Tarski, etc. Il arrive que parfois une fiction tente de recouvrir l’aporie logique, tel est le cas de la fameuse thèse astronomique du big-bang, bien qu’issue de formalisations mathématiques rigoureuses, elle ne saurait clore l’interrogation sur l’origine, ni faire taire le naïf demandant ce qui précédait l’explosion initiale. Ces trous dans les énoncés les plus rigoureux viennent rappeler que les savoirs scientifiques sont des réductions discursives du réel faites à partir d’hypothèses conçues par un sujet. Or il est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour déterminer ce qui est scientifique, c’est que ce sujet n’y apparaisse plus. Quand les résultats d’une expérience sont conditionnés par les états d’âme de celui qui la fait, comme dans l’alchimie ou le chamanisme, il y a consensus pour considérer qu’il ne s’agit pas de science. Lapsus, rêves, délires, symptômes ne peuvent trouver place dans le discours de la science : ils sont toujours singuliers et non reproductibles en laboratoires. Une spécificité de la psychanalyse, ignorée de M. Swendsen, tient à ce que son étude porte sur le sujet qui fait la science, laquelle de ce fait doit méthodiquement le rejeter : il n’y apparaît plus que par l’entremise de trous dans le savoir, ombilics de son insertion. Vouloir faire entrer la psychanalyse dans le discours de la science équivaut à méconnaître sa spécificité. Elle relève d’un autre champ épistémologique et ne peut user sans se renier des outils propres à la méthode expérimentale. Dès lors, le MUPP salue et approuve l’initiative des Professeurs du CNU 16ème section qui refusent de participer aux expertises AERES, sachant que les critères retenus opèrent de fait une pré-évaluation particulièrement inéquitable pour la psychanalyse et la psychologie clinique. Il faut rappeler que la méthode clinique n’est pas la méthode expérimentale et que rien ne justifie épistémologiquement de vouloir subordonner la première à la seconde. Le MUPP demande aux psychologues cliniciens universitaires de ne plus participer aux expertises de l’AERES – sachant que dans leur mode actuel elles ne peuvent conduire qu’ à la disparition de leurs formations. Seule la proposition de scission du CNU 16ème section proposée par le Syndicat National des Psychologues pourrait permettre de sortir d’une situation délétère qui alimente depuis des décennies des tensions entre psychologues intervenant à l’université. Pour le Mouvement Universitaire Pour la Psychanalyse Pr J.-Cl. Maleval 2010 7 février : Forum des psys 26-30 avril : Congrès de l’AMP 26 et 27 juin : Journées de la NLS 10 et 11 juillet : Journées de l’Ecole à Rennes 9 et 10 octobre : Journées de l’Ecole à Paris
NOSTALGIE… ARCHIVES UFORCA CONSEIL D’ADMINISTRATION EXTRAORDINAIRE Paris, dimanche 27 février 2005 JACQUES-ALAIN MILLER : Vous vous souvenez du projet que nous avions eu, il y a trois ans, de consacrer les réserves financières que nous accumulons à une Fondation qui aurait été la Fondation Jacques Lacan. Eh bien, j’ai pris – les choses veulent, les dieux veulent que c’était le 14 février – la décision de créer la Fondation Jacques Lacan. La création d’une telle Fondation passe par la création d’une Association pour la Fondation Jacques Lacan, selon la loi de 1901. Le 21 février, j’ai rédigé les statuts, non pas de cette Fondation, mais de l’association pour la Fondation, qui est une Association de 1901 destinée à promouvoir la création de la Fondation proprement dite. Celle-ci, en France, doit être approuvée par le ministère de l’Intérieur, le Conseil d’Etat, etc …étant donné la méfiance traditionnelle de l’Etat à l’égard de ces initiatives de la société civile. L’ensemble est à la discrétion des pouvoirs publics. Eux, pour approuver ou désapprouver, ils n’ont pas besoin de dire pourquoi. Moi étant fondateur, avec ce qui s’attache comme privilège à cette place dans la loi française, j’entends en être le premier donateur. Et je souhaiterais qu’UFORCA soit le second donateur essentiel de cette entreprise. QU’EST-CE QU’UNE ECOLE DE PSYCHANALYSE AU XXIE SIECLE ? par Agnès Aflalo La question mérite d’être posée. Lorsque Lacan en invente le concept, il a sans doute l’idée que c’est la structure qui convient le mieux pour faire exister le discours analytique au moment où il se fait excommunié de l’IPA parce que sa réinvention du discours analytique fait trembler les semblants jusque et y compris, les Noms-du-Père. L’histoire que nous vivons aujourd’hui démontre une fois encore que son orientation était juste puisque l’IPA a vendu la maison Freud en pièces détachées aux adeptes des TCC. Son concept d’École, fondée à ce moment-là, doit d’abord abriter son enseignement. Ensuite, la Proposition met au point un dispositif pour tenter de logifier la production du psychanalyste. Du vivant de Lacan, il s’en est fallu de peu que son École ne soit détournée de sa mission. Beaucoup de ses élèves se sont dressés contre lui, pour garder de ce nom d’École vidé de son contenu. Ce bruit de haine, entendu alors, est de ceux qui ne s’oublient pas. Pourtant, dans ses années-là pas d’autres ennemis du discours analytique que les psychanalystes eux-mêmes. La passe existait à l’EFP, je ne me souviens pas que les AE d’alors aient analysé le malaise et ses causes. C’est le désir de Lacan – aidé de quelques jeunes il est vrai – qui a œuvré pour que la dissolution ait lieu et qu’une autre École soit fondée aussitôt. L’ECF est venue juste après. C’est la diffusion de son enseignement qui a décidé Lacan a fait faire le voyage à Caracas. C’est la diffusion de son enseignement qui est à l’origine de la création de l’École argentine et de quelques autres. La première urgence après la Dissolution, c’était de mettre l’enseignement de Lacan à l’abri, de le rendre au moins aussi insubmersible que celui de Freud et son IPA. C’est à quoi s’est employé Jacques-Alain Miller. Grâce à son désir en acte, la rencontre avec le désir de quelques autres a eu lieu et d’autres Écoles ont été crées. Leur nombre a permis de créer l’AMP. L’enseignement de Lacan était donc à l’abri. C’est ce que nous avons cru longtemps. Pourtant, il y a à peine six ans, une loi votée à France a failli bouleverser la donne de façon irrémédiable. C’était le fameux amendement Accoyer. Ce fut l’instant de voir pour beaucoup d’entre nous que le monde avait changé sans que nous nous en soyons rendu compte. Refoulement ou défense ? sans doute les deux. On s’est alors aperçu que la psychanalyse ne jouissait plus des privilèges qui étaient les siens jusque-là. Sans l’interprétation immédiate de Jacques-Alain Miller qui fit une démonstration en acte de l’efficacité du discours analytique avec les Forums et Le Nouvel Âne, la psychanalyse lacanienne n’aurait pas seulement ridiculisé son savoir, elle aurait été rayée de la carte. Les Forums ont commencé l’analyse du malaise qui venait de cristalliser. Ils n’ont pas eu seulement lieu à Paris, ils ont aussi eu lieu en province. Chacun des membres du peuple analytique qui se sont exprimé ont tenté d’expliquer, de s’expliquer, de rendre des comptes parce que chacun a perçu que le discours analytique pouvait disparaître. Pour la première fois le discours analytique avait besoin de soutien de personnalités qui n’étaient pas de son champ. Saisir le réel en cause passait désormais aussi par d’autres semblants que ceux jusque-là connus. L’ECF a aussi jugé nécessaire de s’engager tout de suite dans le combat, aussi elle organisait Journée extraordinaire et autre Forum anti-TCC. Aucune voix n’a fait entendre que cet acte de combat était néfaste à l’École ou était étranger à la vocation d’École. Je n’ai pas le souvenir qu’un AE d’alors ou d’un peu avant se soit levé pour faire entendre des réserves. Il me semble plutôt que la mise en question des Noms – du – père de la psychanalyse ait donné l’idée à quelques-uns que la cause analytique nécessiterait toujours un désir en acte pour la défendre, mais surtout pour la faire vivre. Je ne crois pas que les membres des cartels de la passe d’alors aient manifesté une opposition voire une réserve contre les Forums ou LNA, mais leur avis sur ce point serait précieux. Prendre la mesure que le changement ne se limite pas seulement à la France demande de tirer les conséquences du savoir que nous avons commencé de construire depuis l’assassinat manqué de la psychanalyse. Elles sont nombreuses. La refondation de l’École après le succès des dernières Journées commence à peine. Les ennemis de la psychanalyse ne sont plus seulement les psychanalystes. Il y a aussi le maître moderne et ses avatars qu’il est urgent d’analyser. Alors, on peut se plaindre des Forums et décider de changer le peuple analytique ou bien, c’est l’École qui devra consentir aux changements. Ne peut-on attendre, au XXIe siècle, qu’une École d‘orientation lacanienne s’occupe d’abord d’assurer la survie du discours analytique et la politique qu’elle nécessite, soit analyser sans cesse les semblants que le réel secrète et hystoriser cette vérité menteuse. N’est-ce pas une condition nécessaire à la poursuite de l’expérience de la passe ? L’ÉCOLE ET LES FORUMS par Carole Dewambrechies-La Sagna Il est étonnant de voir à quel point la logique des choses tend à nous échapper. Mais à certains moments, au cours de certaines lectures, un élément mis en avant, un binaire sous-jacent, une opposition permet de conceptualiser, au moins en partie, quelque chose qui jusque-là s’appréhendait difficilement. Ainsi la lecture du texte de Patricia Johansson-Rosen dans le n°63 du JJ a-t-elle eu pour moi cette fonction : me faire saisir les effets d’une difficulté dans l’École. La cause signifiante de cette difficulté me paraît pouvoir se résumer dans cette affirmation, que je lis dans son texte, dite en passant : « Sa libido (de l’École) a été mise au service de grands combats qu’il fallait mener, mais qui l’ont éloignée de ce qui fonde notre communauté d’École à savoir la passe. » L’idée d’opposer la lutte politique et l’École, l’extérieur et l’intérieur, comme les mains sales du combat et la noblesse de la passe me semble une idée biaisée. En même temps, il m’apparaît que cette idée doit être là depuis longtemps (depuis le début des combats ?), sous-jacente à un certain nombre de réticences que j’ai pu entendre concernant, non le bien fondé des combats eux-mêmes auquel on condescendait volontiers, mais le sacrifice que cela comportait en termes de temps, d’énergie (de libido), de goût pour la vérité, la transcendance ou la chose en soi à quoi il faudrait renoncer. Cette opposition correspond à une topologie inexacte, mais elle a cours dans l’École, et je dois à ce texte de Patricia de me l’avoir fait comprendre aussi simplement. Je me dis aussi : heureusement que nous ne nous sommes pas laissés décourager à l’époque par ce type d’argument qui existait déjà. L’idée de « Nous avons fait… groupe uni pour, front solidaire contre, mais pas École » est une idée faite pour inhiber le combat, l’empêcher ou au moins le dévaluer, frapper du soupçon ceux qui le menaient en première ligne. Pourtant Patricia a été de ceux-là. Je me souviens de réunions à une petite terrasse de café, rue du Four, avec Agnès aussi, pour régler certains détails du prochain Forum, des discussions sur la librairie qui aurait tant de succès pendant ces manifestations. Alors pourquoi laisser passer cette idée des « grands combats » qui feraient que l’École soit négligée ? Les Forums ont été organisés par Jacques Alain Miller à partir d’un point extérieur à l’École : de ce point de vue ils ne sont pas de l’École. Mais ils ont été un formidable levier et ont donné naissance à une nouvelle génération, la « Génération Forum » qui s’est fait entendre lors des Journées-Événement de l’ECF que nous venons de vivre. Il n’y a pas de doute qu’elle forme le futur de l’École. Ces grands combats, ce n’est pas seulement qu’il « fallait les mener », comme on dit qu’il fallait bien faire quelque chose (on sous-entend que c’était déplaisant ou qu’on l’a fait à regret, on soupire ), mais bien davantage, que nous leur devons la survie de la psychanalyse car, comme le dit Lacan dans Le triomphe de la religion : « La psychanalyse ne triomphera pas, elle survivra ou pas ». Les nouvelles générations doivent savoir qu’elles auront à se battre pour cela. Encore faut-il ne pas leur enseigner que ces combats sont méprisables ou qu’avant de les mener il faut surtout bien réfléchir en termes de bénéfices/risques, comme on le fait pour les prescriptions médicamenteuses, et que les risques seraient situables au niveau de l’École. Les risques ont été et sont pour ceux qui, ces combats, les ont menés. Le blocage de la passe vient d’ailleurs que de l’économie de la libido. Il relève d’une autre logique. Il est antérieur et se repère dès 2002, soit un an avant l’affaire Accoyer. J’AI ÉTÉ PASSEUR par Catherine Lazarus-Matet Avoir été passeur a été pour moi une expérience passionnante, et riche dans sa variété, quelle qu’en soit l’issue, quel que soit le candidat. Tout au long de la procédure vibrait, pour tous les protagonistes, ou presque, cette mise en acte de ce que c’est que croire à l’inconscient pour se recruter. Sur une période courte j’ai été passeur auprès de sept passants. Deux d’entre eux furent nommés AE, deux furent nommés membres de l’École. Un témoignage, pourtant convaincant (mais le passeur est témoin, pas juge) fut pris dans la tourmente d’oppositions dans l’École, certains membres du cartel décidant plus tard de quitter l’École. Pour deux autres passants, il s’agissait de chercher une garantie quant à un parcours analytique, pour l’un encore pris dans l’ordre des significations, pour l’autre dans le désordre de trop de significations. Les deux cartels étaient bien différents. L’un très ouvert et curieux devant chaque témoignage : c’est lui qui nomma les deux AE. Est-ce seulement le fait du hasard de la répartition entre les deux cartels ? L’autre cartel était plutôt froid et sceptique, certains de ses membres allant jusqu’à dénigrer d’entrée de jeu une interprétation faite à l’un des passants par son analyste, laquelle ne permettait pourtant pas de douter de l’effet de vérité et de relance qu’elle avait eu pour le sujet. Cette position rendait la tache du passeur encore plus acérée. A la suite de ce mauvais accueil du témoignage, j’avais demandé à me représenter devant le cartel. Mais ce fut inutile, les dés étaient pipés. Il se trouve que, pour les deux passants nommés AE, et ce n’est qu’à la suite de leur nomination que ce constat fut possible, il fut plus simple de faire part oralement, sans notes, de ce qu’ils avaient pu dire. Pour l’un les notes étaient très abondantes, pour l’autre ce fut bref, le passant ayant délibérément fait d’un pan très circonscrit de son analyse l’objet de sa passe. Il avait d’ailleurs fallu faire valoir devant le cartel la vigueur de ce choix du passant. L’effet du récit de leur parcours aboutit au même résultat, les notes étaient un support devenu encombrant, quelque chose étant devenu lisible et transmissible sans l’écrit. Sans doute était-ce lié aussi à l’énonciation des passants. Et ce n’est pas toujours ainsi. Peut-on en déduire que si cela ne cesse pas de ne pas s’écrire, alors il faut écrire pour tenter d’attraper ce que l’on veut transmettre ? Et que lorsque cela cesse de ne pas s’écrire, on peut alors se passer de l’écrit. Il y a, comme l’ont noté certains, un effet étrange à se retrouver seul après avoir parlé devant le cartel. Agent indispensable de la procédure, le passeur n’est soudain plus grand-chose, privé de la réflexion qui s’ensuivra dans le cartel. Mais il garde sa place. Si la personne physique repart, légère ou alourdie, continue à penser, ou à commettre quelque lapsus ou acte manqué, la dritte Person reste. Pour ma part, je fus nommée passeur à la suite d’un énoncé essentiel qui explique sûrement pourquoi je n’ai jamais trouvé problématique que les passeurs restent sur la brèche, dans leur fonction de dritte Person, de passeur du mot d’esprit. D’autant que les cartels de la passe lui sont accessibles s’il veut, plus tard, en être. C’est un autre place. PASSEUR par Daniel Roy 1 – Il y a d’abord le moment où j’ai appris que j’étais passeur. C’est vraiment un moment spécial. Je ne m’en souviens pas, mais je sais que ça a fait comme une soudaine « aimantation ». C’est le mot qui me vient : comme la limaille de fer, les bribes éparpillées de ma cure s’en sont trouvées aimantées, vectorisées. ça a introduit un grand dynamisme, là où dominait une note dépressive à ce moment là. Ou encore : ce qui a cristallisé à ce moment-là m’a depuis servi de base d’opération à chaque fois que j’ai eu un pas à faire, qu’il soit politique, épistémique ou clinique, dans le champ qui est le nôtre. En moi, ça attendait cela. 2 – Il y a ensuite la série des passes. Ce furent des passantes. À chaque fois, l’effet de surprise fut total. Comment rendre compte de cela ? Peut-être en disant l’absolue singularité de chaque rencontre. Certaines des passantes m’étaient proches, dans le travail, voire d’amitié, certaines m’étaient connues pour leurs travaux et leur place dans l’École, d’autres m’étaient parfaitement inconnues : avec chacune pourtant, la même vérification d’efficacité du dispositif. C’était wirchlich. Trois d’entre elles furent nommées. Avant la décision du cartel, j’en avais comme la certitude. Si je m’interroge aujourd’hui sur cette « extime conviction », une chose me vient : ce furent trois passes joyeuses. Pourtant, toutes trois étaient lestées de rencontres et de déterminations lourdes. Eh bien, au cœur de ces « déterminations les plus lourdes de leur existence », chacune des passantes avait su élaborer un savoir qui suscitait cette joie, qui en devenait alors partagée. J’ai pu regretter quelquefois que dans leurs témoignages d’AE, les mêmes eussent « tamponné » cet affect, qui fut pour moi fondamental pour m’orienter dans la « présentation » au cartel. 3 – Il y a le moment de faire passer au cartel : ce n’était pas facile d’être traversé par un savoir dont je n’étais pas le dépositaire et qui se servait de moi pour démontrer comment il s’affrontait à l’insu, à l’insuccès. Diverses tentatives pour ordonner les notes et rendre compte de la rencontre. Ma conclusion : pour le passeur, tout est bon, il veut se servir de tout ce qui passe ; pour le cartel, il peut se passer de certaines choses, à condition que le passeur s’en soit servi, car c’est sa condition. Je vois toutes les bonnes raisons de dire haro sur le passeur, et je ne vois aucune raison d’en retenir. 4 – Il y a eu aussi pour moi, dans le temps suivant, ma participation à un cartel de la passe, en tant que passeur. J’ai trouvé plus difficile, à cette place, de répondre de ce qui passe et de ce qui ne se passe pas. Je trouve que c’est la zone la plus délicate du dispositif. Très vite, nous avons eu tendance à dire ce qu’il n’y avait pas en contrepoint de ce qui pass