La Lettre mensuelle 282 – novembre 2009 (extrait 1)
Cas d’urgence
LM : Les 23 et 24 janvier 2010, se tiennent à Bordeaux les IXes Journées du RI3, organisées par trois institutions associées, L’Ile verte, La Demi-Lune et Podensac, sous la responsabilité de Maryse Roy, Philippe Lacadée et Daniel Roy. Nous leur avons d’abord demandé où ils en étaient de l’organisation de ces Journées.
—[i] Ces Journées font suite aux Journées de Clermont-Ferrand de 2008 sur l’autisme, qui ont rencontré un très grand succès, non seulement en termes d’audience, mais aussi du fait de la grande diversité et qualité des interventions, témoignant d’une volonté d’orientation clinique dans les institutions qui accueillent enfants et adolescents, en France et en Belgique, mais aussi en Italie et en Espagne. Alors c’est pour nous un défi à relever, d’autant plus important que ces institutions, qu’elles soient publiques ou privées, sont aux prises aujourd’hui avec l’extension des politiques d’évaluation et avec le retour d’idéologies autoritaires.
— Le RI3 a donc de plus en plus la responsabilité de soutenir, face à ces discours sans dialectique et face au malaise qu’ils génèrent, ce que Freud appelait « la voix de la raison ». La voix de la raison aujourd’hui dans les institutions dit qu’il est plus efficace, plutôt que de parler de « cadre », de « rappel à la loi », d’instaurer au cœur de ces institutions des « installations portables » qui fonctionnent comme des « lieux de réponse », des lieux où « le bavardage se révèle contenir un trésor, celui d’un sens autre qui vaut comme réponse ». On aura reconnu ici la définition donnée par Jacques-Alain Miller dans l’argument préparatoire à PIPOL 4.
Dans ce moment actuel, c’est un grand honneur pour nos trois institutions d’accueillir nos collègues. Tous les intervenants se mobilisent et nous avons associé à cette préparation nos collègues de l’institution Bellefonds, Marie-Agnès Macaire et Michel Neycensas. Les premières inscriptions arrivent, les arguments sont attendus d’ici la fin octobre, nos invités sont invités !
LM : Pourquoi avoir choisi ce thème de travail sur les « cas d’urgence » ?
— Il y a une inflation de cette dimension de l’urgence, en particulier dans son sens médical, qui diffuse dans « la sensibilité de notre temps ». On pense tout de suite au succès de la série télévisée du même titre. Cette sur-représentation d’un enjeu de vie et de mort fait surgir la figure d’un Autre avec lequel on pourrait jouer à quitte ou double, sommé de répondre quand la vie est en jeu, en dehors de tout discours. Nous interrogerons certains de nos invités sur l’émergence de cette catégorie particulière à notre époque post-moderne.
— Pour nous, nous sommes confrontés de plus en plus dans notre pratique à des moments d’urgence, qui se présentent également sous cet aspect de hors discours. Mais nous voulons témoigner de comment nous accueillons ces moments en tentant de déplacer la signification classique de l’urgence vers celle de l’urgence subjective. Notre façon de saisir comment ce que Lacan nommait ne pas reculer devant la psychose implique aussi la prise en compte de ces moments où surgit l’urgence d’une jouissance désarrimée, déréglée qui passe via le corps ou la pensée dans le réel. Il y a des moments où l’enfant, l’adolescent, que nous accueillons dans nos institutions, témoigne de quelque chose qui le déborde surgissant sur le mode de l’impossible à supporter. Mais pour qui ? Pour lui avant tout et cela s’origine dans ce que notre argument situe dans le registre de l’« en trop » — « en trop » dans ses pensées, dans son corps, dans sa rencontre avec les autres. Quelquefois même dans notre simple présence comme nous l’a appris Lacan, en disant que les autistes « n’arrivent pas à entendre ce que vous avez à leur dire en tant que vous vous en occupez »[ii]. Ce quelque chose qui a, là, surgi et qu’il lui est impossible de traduire en mots, voilà ce dont nous avons le souci clinique. En effet, cet « en trop », nous en avons aussi la charge quand, soudain, ce quelque chose se cristallise sur le mode de ce que souvent on appelle crise. Mais ce cristal, cet élément qui glace, ne contient-il pas en lui quelque chose qui soudain fait éclat, révélant même dans l’insupportable quelque chose de solide qui insiste, disposé selon des lois dont il nous importe de saisir l’organisation ?
— C’est en ce point que nous avons été guidés par la lecture par Jacques-Alain Miller du dernier texte de Lacan, paru dans les Autres écrits, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », et tout particulièrement les deux passages où Lacan propose, d’une part, d’interroger « comment quelqu’un peut se vouer à satisfaire ces cas d’urgence » et d’autre part, « signale que comme toujours les cas d’urgence m’empêtraient pendant que j’écrivais ça »[iii]. Notre titre vient de là : vous voyez que pour nous, ce titre est d’abord le lieu d’une énigme. Nous avons donc demandé à deux Analystes de l’École de bien vouloir au cours de ces Journées nous éclairer sur ces citations à partir de leur expérience.