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JOURNAL DES JOURNÉES
N° 49
le vendredi 23 octobre 2009, édition de 23h 59
par Jacques-Alain Miller
Orgueil. De Amorim s’inquiète d’un mot manquant dans le texte qu’il a donné au Journal, « eurêka », en lettres grecques. « Une petite rectification est-elle possible, me demande-t–il, ou s’agit-il d’un orgueil intellectuel ? » C’est indubitablement de l’orgueil intellectuel, Fernando, mais c’est tout ce qui nous reste, n’est-ce pas ? Nous n’allons pas y renoncer comme ça. Carole. Je connaissais Carole comme mon bras droit depuis 20 ans – à Uforca, à l’AMP quand j’étais le délégué général, aux Forums des psys. Le texte que j’ai publié hier me fait découvrir la tête politique qui, si je puis dire, se cachait derrière ce bras : force, détermination, clarté, sobriété. Après tout, je peux me dire qu’elle a été à bonne école… Excepté pour la sobriété… Arizona. Bordeaux, c’est Vérone. Les Capulet et les Montaigu. Sauf que, sur les bord de la Gironde, Roméo et Juliette ne peuvent pas se souffrir. Résultat : Tomstone, Arizona. Gunfight at OK Corral. Seulement, there’s a New Sheriff in Town. L’Ecole, surtout elections’time, is to be a Weapon-free Zone. No guns allowed in the Saloon. Paraclet. A Athènes aussi, à Caracas, c’est OK Corral. Eh bien, justement, ce n’est pas OK. Chers collègues, chers amis, le vent qui souffle de France – le vent Paraclet, me disait Philippe De Georges – devrait chasser les miasmes des vieilles rancoeurs. Clara, Dora, Réginald, Ronald, je pense à vous, comme dit Baudelaire. Movida. Marta Serra rêve que le Paraclet se mette à souffler à Barcelone, à Madrid, en l’Espagne. Eh bien, chère Marta, ce n’est pas fait. Eric Laurent souque ferme, mais le courant mélancolique l’a depuis longtemps emporté, au sein de l’ELP, sur l’esprit de la movida, jadis si excitant. Comment avez-vous réussi ça, companyeros ? Pour un Aleman, pour une Vilma, pour un Pundik, pour une Anna Aromi, et tout de même quelques autres, qui sont toujours sur le pont, combien de tristounets, de Caballeros de la Triste figura ! Allons, il est temps de devenir, comme Don Quichotte, des Caballeros de los Leones ! Révolution. D’Italie, pas un cri, pas un murmure, pas un souffle. Quel Merlin l’Enchanteur, quel marchand de sable, fait dormir la Péninsule ? En fait, comme les Espagnols, les Argentins, les Brésiliens, les membres de la NEL, nos collègues italiens viendront en nombre à Paris au mois d’avril, pour le Congrès de l’AMP. C’est là que ça se jouera. Tout le monde viendra prendre le pouls, et peut-être le vent, des événements de Paris, de la nouvelle « Révolution française », celle de l’ECF. Soyons dignes de nos grands ancêtres. Amalgame. Un air de « Révolution culturelle » : le Vieux de la Montagne qui descend dans la plaine, les digues d’intimidation qui lâchent, les tabous qui montent sur la scène, les « jeunes » qui commencent à l’ouvrir. But, Youngsters, Beware Hubris ! Cette fois-ci, vous ne mettrez pas des bonnets d’âne à vos anciens. J’ai proposé à l’Ecole une politique, qui est celle de l’amalgame. Si l’ECF s’est fermée, j’en suis au premier chef le responsable. Je ne voyais vraiment pas comment l’Ecole pouvait ouvrir ses portes sur la base de ce que les membres du Conseil, ou leurs délégués, recueillaient dans leurs entretiens avec les impétrants. Surprise ! Miracle ! Quand il s’agit de bien-dire dans la perspective de ces Journées, voilà que les bouches s’ouvrent, que les plumes se délient. Nous y sommes – enfin ! Le moment est venu pour l’Ecole de s’ouvrir aux générations montantes, celles qui prendront le relais. Sweet home.« Joie, joie, pleurs de joie » à Buenos Aires : l’EOL a signé hier l’achat de son local. Je m’associe à cette émotion. Quel chemin parcouru ! Bravo ! Félicitations ! Macanudo ! Une pointe d’amertume, cependant : voilà dix ans que j’ai demandé à ces collègues si nombreux, si entreprenants, de travailler à ouvrir le Mexique à l’orientation lacanienne. Et puis rien. Au moins que je sache. S’installer à son aise chez soi, c’est bien, c’est magnifique. Mais sortir un peu, ce ne serait pas mal non plus. judithola. Chine : rien. Japon : il y avait quelque chose, il n’y a plus rien. Etats-Unis : quelques individualités de grand mérite, certes, mais pas beaucoup davantage. Allemagne : des amis à Cologne, m’a dit Susanne Hommel. Ne parlons pas des pays musulmans. Le Champ freudien dans le monde stagne, marque le pas. Or, le 21e siècle se joue là, « à l’international », comme on dit. Heureusement, des perspectives à l’Est, Pologne, Russie, les Pays Baltes, Moldavie, Roumanie, (…), Bulgarie, où depuis hier s’active judithola (le nom de Judith Miller sur Twitter). Faudra-t-il confier la conquête du monde à la fille de Lacan, avec Daniel Roy pour lieutenant, pour que nous sortions du pré carré où, si je puis dire, nous tournons en rond ? Je pose la question. Nous n’allons tout de même pas passer notre vie à hystériser les Français, égayer les Espagnols, pacifier les Italiens – sans compter les Bordelais – loger les Argentins, et danser avec les Brésiliens. Si elle veut bien mobiliser ses ressources et celles de toutes ses Ecoles, ressources financières et « ressources humaines », l’AMP de 2010 devrait tout de même pouvoir faire aussi bien que la petite ECF de 1980, laquelle, sans un kopeck, et aux mains de jeunes vraiment jeunes, analystes sans expérience, avouons-le, mais culottés, s’était lancée bille en tête dans cette « reconquête du champ freudien » que voulait Lacan. Furia francese pas morte, lettre suit (ou blog). Voilà le programme que je propose à Leonardo Gorostiza. Eric Laurent ne demande qu’à l’aider, il me l’a dit. Et moi aussi. Hommel. Les candidats au Conseil. J’ai envie de voter pour tous. Ce sont des activistes. Hommel, non, mais elle, j’ai envie de voter pour parce que c’est un monument historique : un rapport authentique à la pratique de Lacan, à la langue de Freud ; elle est restée quand tous ses amis de l’Ecole freudienne nous désertaient ; courageuse, confiante, n’imitant personne. Je me souviens, quand Lacan a sorti son hommelle, tout le monde la jalousait, la plaisantait, elle était ravie. Je viens de lui éviter d’aller à Berlin, où des socio-psychothérapeutes à la manque ont ouvert une « université », et se proposent de former les psys dont le 21e siècle aurait besoin. Ils seraient ravis, bien entendu, que quelqu’un d’autorisé leur apporte de quoi mettre Lacan au menu de leur cambuse. Ce ne sera pas Susanne, en tous les cas. Trop plein. Les autres ? Holvoet et Benichou, piliers de l’informatique de l’Ecole, solides et invariables, qui, avec Cottes, le créateur et l’animateur avisé des collectifs de psycho, sont de la génération montante. Nathalie Georges, tombée bébé, comme Obélix, dans la marmite, celle de Gallimard ; l’une des premières plumes de l’Ecole ; a dirigé la Lettre mensuelle, va diriger la Revue. Daniel Roy, bras droit de Judith – elle en a plusieurs – qui m’a si diligemment cornaqué à Saint-Petersbourg en juin dernier. Agnès, sans qui LNA n’aurait pas existé, toujours dispo, connaissant tout Paris, ma Providence, mon Ange gardien, que BHL voulait pour diriger sa revue – elle ne m’a pas lâché. Deffieux, n’en parlons pas, l’indispensable (Jean-) Pierre sur quoi repose l’édifice d’Uforca, que nous avons décidé à mettre ses talents au service de l’Ecole, on leave pour deux ans, surtout pas plus. Stavy, qui a créé un énorme service avec divers pseudopodes, où de nombreux collègues trouvent à se former, sous sa direction inspirée, à l’orientation lacanienne. Paulo Siqueira, mon cher interlocuteur, que j’aime à taquiner, et qui a fait très bien, tant à la Revue qu’à l’Envers de Paris. Jean-Daniel Matet, que j’ai connu jeune homme, devenu olympien avec l’âge, « tout à tous », comme le recommandait Ignace, le gant de velours bien en évidence, l’oreille ouverte, et une main qui n’est pas de fer, non, qui tient la rampe d’une ligne politique inflexible. Rose-Paule, l’agrégée de philo du lot, ondoyante et diverse, sachant tout faire, réussissant tout ce qu’elle fait – Napoléon voulait des généraux qui ont de la chance, elle en a. Anne Ganivet, le problem-solver n°1 de ces Journées, la femme-ressource de l’Ecole ; avec elle, c’est pour moi : « Demande, et tu seras exaucé ». Naveau, le roc, mais ambulant : il a parcouru toutes les ACF, imperturbable, courtois, pneumatique, avec le tact le plus sûr dans la sélection des travaux pour les Journées ; il était prêt à être le mentor de tout le monde. Le subtil Philippe De Georges, seul provincial rescapé d’il y a deux ans : il désire repiquer, et heureusement, car les provinciaux sont la moitié de l’Ecole, mais comme ils ne se concertent pas pour voter pour les mêmes (ce qui est louable, pas de faction dans l’Ecole), ils sont régulièrement battus aux élections (ce qui est regrettable) ; d’où solution à trouver pour qu’ils soient au moins le quart ou le tiers du Conseil, c’est à dire trois ou quatre. Là, nous en avons un, ne le perdons pas. Reste Nathalie Charraud. Ah ! Nathalie ! Elle s’est présentée, elle s’est retirée, elle revient. Il est normal qu’elle ait des difficultés à trouver sa place : Lacan disait qu’Attié serait le seul « psychanalyste poète » de l’Ecole freudienne, Nathalie est la seule « psychanalyste mathématicienne » parmi nous. Tandis que l’analyste « se vanne du rebut », disait Lacan, les mathématiciens sont « l’honneur de l’esprit humain », je n’ironise pas. La position de qui est des deux côtés, est nécessairement délicate. En tout, avec Carole, ils sont 17. Eh bien, une Ecole capable d’aligner ces 17 noms n’a pas trop de soucis à se faire pour son avenir. Décryptage. Le secret des Journées ? Oui, il y en a un. Il est bien en évidence, comme la lettre volée. Ce secret, c’est que je me suis réglé, pour concevoir ces Journées, sur la première topique. Mettre la seconde topique au pas de la première, c’est l’essence de l’enseignement de Lacan. Ronsard. J’ai promis de faire une lecture publique rue Huysmans, le jeudi 5 novembre, et une autre le vendredi 6, pour égayer la remise des badges, qui ne pourra se faire que pour un petit nombre au Palais des Congrès samedi matin. Textes du XVIe siècle. Irina lira avec moi. On jouera Rabelais, la scène tordante qui a inspiré Molière, où Panurge interroge le philosophe sur l’opportunité de se marier. Je lui confierai les textes qui m’exalteraient trop : tel discours de Blaise de Monluc ; les « Blasons du corps féminin ». Je prendrai Jean de Sponde, Malherbe, Ronsard – là, le difficile est de choisir : Les Amours de Cassandre, Les Amours de Marie, Les Sonnets à Hélène, Les Odes… ce ne sont que joyaux, et la plus belle langue du monde. Il y aura aussi cette fin des Essais où Montaigne glisse cette phrase où je vois l’essence de l’esprit français – de là sort Figaro, de là sortent Danton et Robespierre – phrase à dégonfler tous les semblants, un peu populiste peut-être, n’est-ce pas, Paulo ? : « Et au plus élevé throne du monde, si ne sommes nous assis, que sus nostre cul ». « Et pas une femme, naturellement ? », proteste une voix Mais non, deux : Louise Labé bien entendu, et Marguerite de Navarre. Forum. J’en ai donné la primeur sur Twitter ce matin : un Forum est dans les tuyaux. Accueil favorable de la twitter-meute. J’en ai informé BHL, justement en train de corriger le recueil de toutes ses interventions aux Forums : son enthousiasme m’a décidé. Cet après-midi même, le Conseil d’administration d’Uforca a cédé au Forum la salle de la Mutualité réservée par Carole pour la Conversation clinique de l’année. Dans l’élan, nous avons décidé de faire souffler sur les Sections cliniques notre vent Paraclet, ainsi nommé par De Georges. Christiane Alberti s’apprête à sortir le bulletin électronique d’Uforca : « Je suis entourée, précise-t-elle, d’une équipe toute neuve de jeunes collègues à Toulouse. La formule entend ménager une surface importante interactive sur des thèmes à la fois cliniques et politiques. » Aleman. Je souhaitais hier que l’on traduise le texte de Jorge Aleman. Ce matin, je vois arriver trois traductions : l’une, marquée 4h 29, par Ariel Altman, qui me dit avoir déjà entendu Aleman lire ce texte il y a deux ans à l’EOL ; la seconde, que j’ai trouvée d’abord, d’Inma Guignard Luz, arrivée à 7h 33 ; et enfin, à 14h 23, celle d’Agnès. Les tours de force se multiplient autour des Journées. Mon dieu, moi qui écris ces éditoriaux comme cela me vient (je fais confiance à mon inconscient, ce qui est risqué), je suis responsable de tout ce travail dépensé. Eh bien, je publierai les trois, successivement. Carlacanienne. The Daily Beast est le quotidien le plus branché du Web, création, il y a eu un an le 12 octobre, de l’irrésistible Tina Brown, ancienne directrice de Vanity Fair papier. Je n’ai pas le temps de le lire ces jours-ci, mais Eric Laurent, qui partage mon goût pour la presse américaine, m’envoie l’article du jour sur le film de Gérard Miller. Eric Pape, basé à Paris, ne parle que de Carla, de ses deux pères, et de ses huit ans de « therapy ». Non, Eric Pape, Carla est en analyse, et qui plus est, son analyste est lacanien (non, ce n’est pas moi, ni personne de cette Ecole, ni d’aucune).
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UN FORUM SE PREPARE
POUR LE DIMANCHE 7 FEVRIER 2010
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LETTRES ET MESSAGES
Jean-Louis Gault : Note en marge de la correspondance Sigmund Freud/Stefan Zweig Le lecteur du JJ est tout naturellement conduit à porter son regard vers Freud, mais il n’est pas totalement fortuit non plus qu’il se laisse attirer par le nom de Zweig (Stefan, de son prénom). L’aubaine est le petit ouvrage qui réunit leur correspondance. La liberté de ton de Freud, sa vivacité dans les échanges avec son correspondant, la clarté de sa langue, l’esprit qui anime son argumentation, ont la même fraîcheur, à mon goût, que celle qui accompagne la plume de Jam dans le Journal. Dans une lettre de 32, il a cette formule savoureuse pour la Marie-Antoinette de Zweig : « née petite, (…) mais que les coups du destin ont rendu grande ». Chemin faisant, on tombe sur une progéniture royale (aucun rapport avec l’actualité récente), en la personne du Dauphin, débauché selon Zweig par sa mère la reine, et sa tante. Freud est alors conduit à indiquer que les fantasmes inconscients de séduction qui font le lit de la jouissance du sujet, prennent pour support les personnages qui, dans l’éducation du sujet, ont joué le rôle d’interdicteurs, parce que ceux-ci ont introduit le sujet à la jouissance sous la forme de l’interdit. Il ajoute encore ceci : « Il y a un manque d’étanchéité préoccupant dans la construction psychique lorsque ces fantasmes deviennent conscients sous forme d’accusations réelles ». Avis à ceux qui rêvent du retour à une éducation autoritaire, comme à ceux qui sollicitent avec trop d’empressement l’enfant pour obtenir de lui des accusations. Zweig fait hommage de ses analyses au découvreur de l’inconscient, mais ce que Freud goûte par dessus tout chez l’écrivain, c’est sa puissance de création littéraire. Il a beaucoup aimé son Balzac, et le lui écrit : « Vous avez hérité une bonne part de la pulsion de domination des deux hommes (il s’agit de Balzac et de Napoléon), et vous l’exercez à présent sur la langue ». A une autre occasion, il a cette remarque : « Ce qui m’a surtout intéressé, ce sont les procédés d’accumulation et d’intensification grâce auxquels votre phrase s’approche toujours plus près et comme à tâtons de l’être le plus intime de ce que vous décrivez ». Et plus loin, ceci : « Il faut que je vous dise un jour combien vous réussissez à obtenir, avec la langue, quelque chose qu’à ma connaissance personne d’autre ne réalise ». Une autre fois, il loue chez Zweig « la langue entièrement mûrie, libérée d’un certain enthousiasme et d’un certain pathos, ainsi que la limitation de l’évocation aux éléments les plus immédiats et les plus nécessaires ». A Londres, en juillet 38, Zweig insiste pour que Freud reçoive Dali. Ils viennent accompagnés d’un jeune écrivain, Edward James, que Zweig pousse à s’analyser avec Freud, celui-ci le prévient que l’analyse pourrait ralentir son travail littéraire. Après la visite, Zweig écrit à Freud : « Vous lui avez fait peur », à quoi celui-ci répond : « J’aime assez créer des difficultés au candidat pour juger de ce à quoi il est disposé et obtenir un plus grand esprit de sacrifice ». Viennent alors ces lignes, bien dans l’esprit du JJ : « L’analyse est comme une femme qui veut être conquise, mais qui sait qu’on aura peu d’estime pour elle si elle n’oppose pas de résistance ». Le meilleur, Freud l’a gardé pour la fin : « Si Mr. J. réfléchir trop longtemps à présent, il pourra toujours aller plus tard chez un autre, chez Jones, ou bien chez ma fille ». Cécile Prieur : Une lecture stimulante et nécessaire Psychanalyste lacanienne, membre de l’Ecole de la Cause freudienne, Agnès Aflalo retrace avec brio l’âpre bataille menée par les défenseurs de la psychanalyse, entre 2003 et 2007, contre les militants des thérapies cognotivo-comportementalistes (TCC), d’inspiration anglo-saxonne. Aux premières loges de cette lutte des psychanalystes contre le projet de réglementation des psychothérapies, dit amendement Accoyer – dont le décret n’est toujours pas finalisé six ans après –, Agnès Aflalo décrit les ressorts de « l’empire croissant du scientisme ». Faisant l’exégèse de la pensée des théories cognotivo-comportementalistes, elle dénonce la tentative d’imposition d’un « nouveau moralisme qui entend faire main basse sur les libertés des citoyens par la psychiatrisation de notre société ». Une lecture stimulante et nécessaire. Article paru dans Le Monde, daté du vendredi 23 octobre 2009 Agnès Aflalo, L’assassinat manqué de la psychanalyse, éd. Cécile Defaut, 177 p., 18 €. Marie-Hélène Issartel : Vieilles Lunes Vendredi dernier à Lyon , un colloque sur le thème « Rythmes circadiens et maladies mentales » réunissait une centaine de psychiatres dont plusieurs professeurs agrégésLe titre de la journée ne doit pas ici étonner : n’est-ce pas à Lyon que Michel Jouvet a décrit les fonctions du sommeil paradoxal, et que la luminothérapie a trouvé ses lettres de noblesse ? (Travaux du Dr Lemoine). La question au centre des débats était « La maladie mentale dérègle-t-elle les rythmes circadiens ou la perturbation des rythmes entraîne-t-elle la maladie mentale ? » (Henri Lôo). Chercheurs et psychiatres se sont donc succédés à la tribune pour répondre à l’épineuse question. « Les rythmes sont au cœur de la vie » (Paul Pévet , CNRS, Strasbourg). Une horloge biologique interne située dans les noyaux supra-chiasmatique et la glande pinéale, règle les deux rythmes majeurs auxquels l’homme est soumis : l’alternance jour/nuit, et la succession des saisons. C’est une fine mécanique, faite de sécrétions hormonales et de boucles de rétroaction dont la clé du système est le circuit rétine-hypothalamus. Des gênes horlogers portant les beaux noms de CLOCK, PER1, PER2… en détiennent le code. Sur le plan pathologique, différentes maladies organiques (tumeurs), le vieillissement et les troubles psychiatriques peuvent être responsables de son dysfonctionnement. Il fut démontré avec force diagrammes et enregistrements divers qu’il existe « un bon moment pour s’endormir », que « travailler la nuit entraîne une désynchronisation des rythmes » et que« des troubles du sommeil existent toujours dans la dépression ». C’est enfoncer des portes ouvertes ? Oui, mais pas tout à fait. Ainsi, il fut décrit des retards de phases très fréquents chez les adolescents, une disparition des rythmes circadiens et une diminution de la latence du sommeil paradoxal dans la dépression (Pr Michel Azorin). Un insomniaque a un risque 10 fois supérieur de faire des dépressions qu’un bon dormeur. Dans ce cas- là, les hypnotiques ne servent à rien. Mais un gros petit déjeuner, une exposition à la lumière 30 minutes à 2500 lux, 15 minutes d’activité physique et une douche bien chaude, tous les matins, peuvent rétablir, c’est-à-dire re-synchroniser les rythmes perturbés. Une hospitalisation de 3 semaines est préconisée pour remettre en ordre un emploi du temps trop relâché. C’est le temps nécessaire d’une remise au pas, pour marcher comme tout le monde. Le très médiatisé Dr Christophe André déplia des « échelles d’état d’âme »qui permettent d’évaluer la gravité des affects négatifs en fin de journée. Des veuves qui sourient en évoquant leur conjoint mort il y a 6 mois, seraient mieux remises 2 ans plus tard. Souriez !Et les Bipolaires ? Ce sont des sujets hypersensibles, hyperémotifs, de faible niveau d’intégration, aux rythmes irréguliers (des artistes ?) dont les événements de la vie peuvent aggraver l’état. Seul le traitement à vie associant luminothérapie, les médicaments, des mesures psycho éducatives et les TCC peuvent en venir à bout. Exit la douleur mélancolique et la position subjective du patient, exit la faille de la structure. Ne restent que des bipolaires à rééduquer. Bref « il n’est pas possible de changer la direction du vent, mais on peut apprendre à orienter les voiles » (sic). Alors, la perturbation des rythmes circadiens a-t-elle une signification étiologique ou est-elle une conséquence ? La question n’est pas tranchée. Rien de nouveau donc. Si ! désormais la normalisation du patient, (l’ancienne passion hygiéniste) t C’est tout ? Non ! : la mélatonine, sécrétée par la glande pinéale (le 3ème œil des yogi !) rétablit, synchronise les rythmes circadiens. Ses dérivés vont être prochainement mis sur le marché fructueux des antidépresseurs. Alléluia !
POLITIQUE ET PSYCHANALYSE -1’
POUR UNE GAUCHE LACANIENNE
Jorge Aleman
Traduction d’Ariel Altman
L’expression « gauche lacanienne », rassemble des termes qui n’ont pas été surgis pour être ensemble, ce qui ouvre une question sur la légitimité de leur mise en relation. Hormis les différences, c’est comme quand en Europe on dit « gauche péroniste » et aussitôt les suspicions se multiplient. Je vais essayer de déterminer en quoi consisterait ce que j’appelle gauche lacanienne. Qu’est-ce que ça veut dire, d’être de gauche au XXIème siècle ? Quelle est la valeur de cette expression et quel type d’engagement elle désigne, quand le récit historique qui l’a donné lieu s’est évanoui tant dans sa praxis théorico-politique que dans son efficacité symbolique pour donner un principe de lisibilité à ce qu’est la réalité. Si consistante et hégémonique qu’elle puisse être, nulle réalité, par exemple le capitalisme actuel, ne doit être considéré comme définitive (il est vrai que, aujourd’hui, pour ne pas considérer comme définitif le capitalisme il est nécessaire de faire un grand effort, puisque dans son amalgame avec la Technique, il a réussi à mettre tout « l’être de l’étant » a sa disposition pour le placer comme marchandise). Être de gauche suppose d’insister sur le caractère contingent de la réalité historique du capitalisme. On ne peut pas parler de « lutte anticapitaliste » parce que le discours capitaliste dont parle Lacan n’offre pas un point qui permette de localiser le lieu où la coupure pourrait être effectuée. Le discours capitaliste confère à la réalité une connexion de lieux capturés dans un mouvement circulaire par rapport auquel une lutte directe est un absurde logique, un absurde comme c’est lutter contre la technique ou contre le rhizome. En même temps, l’issue historique est irreprésentable, parce que peut-être il conviendrait de laisser pour l’instant vide le lieu qui adviendrait au-delà ou après le capitalisme. N’importe quelle définition réinscrirait ce lieu dans un sens déjà consumé historiquement. Il n’y a pas une sémantique « anticapitaliste », il y a toujours une tension vers un signifiant « nouveau » et encore à déchiffrer. D’autre part, il n’y a pas une histoire de l’humanité qui déboucherait d’une manière nécessaire sur le capitalisme. Sur ce point, on entend par capitalisme quelque chose de différent à une évolution progressive des « modes de production » ; il s’agit plutôt d’une série de bifurcations historiques contingentes qui ont tissé de manière instable la technique, la marchandise, le savoir, en ce qu’on nomme le récit moderne. Celui-ci est une catégorie narrative, plutôt qu’un ordre historique parfaitement délimité. Or, il appartient à une certaine tendance historiciste de transformer un événement, du seul fait d’avoir été possible, en quelque chose de nécessaire. Cette tendance on la reconnait quand, face au fait arrivé, on explique les antécédents qui, « inévitablement », menaient à lui. De toutes façons, même si l’issue du capitalisme ou le passage à une autre réalité ont été différés, même si ce transit n’est jamais garanti et puisse ne pas s’accomplir, même si cette autre réalité différente de celle du capitalisme ne peut plus être nommé socialisme, en tout cas être de gauche c’est ne pas considérer éternel le principe de domination capitaliste. Ce principe de domination, depuis une perspective lacanienne, est d’abord d’ordre politique, bien que dans le cas du capitalisme il est évident que l’économie joue un rôle déterminant. Mais non plus comme « détermination en dernière instance ». Il faut tenir en compte que le marché lui aussi est traversé par la fracture entre le réel et la réalité, et il peut être déboîté ; voilà pourquoi maintenant le « ce que le marché veut de nous » devient plus prégnant que jamais. Il est nécessaire aussi de souligner que la domination n’appartient pas d’une manière exclusive à l’époque du capitalisme. Il y a domination parce que le sujet, dans sa propre constitution, ne peut pas se donner à soi même sa propre représentation. La barrière symbolique qui le constitue le sépare de la pulsion, mais en même temps établit une donation d’un plus de satisfaction pulsionnelle qui s’associe à une série de « mandats », « dits premiers et oraculaires », impératifs, signifiants maîtres que, sans représenter le sujet exhaustivement, déterminent sa place. La subversion de ces signifiants maîtres ne se réalise jamais dans une prise de conscience ou dans une destruction critique d’eux. Ce précisément le problème de l’idéologie en ce qu’on pourrait appeler sa fixité fantasmatique. L’idéologie n’est pas une illusion ou une fausse conscience, elle est une articulation entre les signifiants maîtres qui surgissent hors du sens, comme désignateurs de la rencontre avec le réel, et les objets que le sujet même perd dans l’accès au symbolique. Une amalgame entre le signifiant maître et le plus-de-jouir qui produit le bouchonnement contingent de la division constitutive du sujet. L’idéologie est une articulation entre mandats ou idéaux, du côté du signifiant maître, et de refus ou « imputations à l’Autre » du côté des objets de la pulsion. Ceci est le mélange de servitude et satisfaction sadique que toute idéologie, à la limite, met en jeu. Sujet néolibéral Actuellement, on perçoit avec netteté que le totalitarisme n’a pas été le seul à essayer de produire un nouveau sujet, mais que l’ainsi appelé « néolibéralisme » c’est l’essai de constituer, sur la liquidation du sujet moderne (le critique, le freudien et le marxiste), un individu autiste et consommateur indifférent à la dimension constitutivement politique de l’existence, un individu qui se réfère uniquement à la jouissance autistique de l’objet technique qui se réalise comme marchandise subjective dans la culture de masses. Pourtant, il ne s’agit pas de critiquer ou de refuser cet individu, ni de mépriser sa massivité médiatique depuis une place de nostalgie pseudo-aristocratique ; il s’agit plutôt, à la manière freudienne, de faire comparaitre la sentence qu’on peut formuler comme ça : «Là où l’individu néolibéral de la jouissance autistique est, le sujet excentrique de l’inconscient doit advenir ». L’individu néolibéral, c’est le point de départ d’où penser quelle est la pratique opérative qui se correspond avec son temps. Si on dit point de départ, c’est parce que l’individualisme libéral, si consistant qu’il puisse apparaitre dans son autisme consommateur, ne peut pas se clore sur lui-même. Le temps de son existence établit les conditions pour que cet individu puisse être déstabilisé dans ses fondements, et là, dans ces fentes et points de fuite, c’est où la pratique politique qui inclut la psychanalyse doit intervenir. Sur ce point, il s’agit de tendre au maximum le rapport historique entre la vocation politique de gauche et la psychanalyse, depuis le seul fait historique qui peux donner de la force à l’interprétation : l’intervention freudienne aussi bien que le développement de l’enseignement de Lacan se constituent, d’emblée, comme une lecture sinthomatique de la gauche, une lecture de ses textes, pratiques et aspirations. En même temps, être de gauche c’est penser que l’exploitation de la force de travail et l’absence de justice non seulement continue à être un insulte de premier ordre à la propre constitution de la subjectivité, mais aussi que la brèche ontologique dans laquelle le sujet se constitue, la division inguérissable qui marque son existence avec une singularité irréductible peut être saisie, dans sa « différence absolue », seulement par dehors et au delà des hiérarchies et des divisions instaurées par le pouvoir du marché. C’est pourquoi l’impensable fin du capitalisme, si elle avait lieu, serait paradoxalement le commencement du voyage, le début de l’affirmation tragicomique de l’existence, le « tu es ça » d’un sujet enfin en question, sans les alibis bourgeois qui depuis longtemps le portent à être disponible à tout. La gauche marxiste peut élaborer sa fin dans le seul endroit dans lequel cette fin peut avoir une valeur différente de celle de clôture ou annulation, une fin qui n’est pas temps écoulé, mais opportunité d’un autre commencement. Cet endroit pourrait être la pensée de Jacques Lacan, seule théorie matérialiste sur le malaise dans la civilisation du XXIème siècle. Le fait que Lacan ait défini l’élaboration de son discours comme « praxis sur le réel-impossible », sur un réel auquel le discours ne peut pas accéder, mais qu’à la fois c’est à partir du discours (y comprise l’écriture) qu’on peut y accéder, cette question primordiale sur le réel est ce qui différencie sa démarche théorique de l’herméneutique, de la déconstruction et des « autres éthiques ». Je trouve que Lacan constitue le seul essai sérieux d’évaluer jusqu’où le symbolique peut et ne peut pas transformer, au moyen d’une praxis, le réel. Seulement en admettant quelles sont les conditions de constitution du sujet, et comment il expérimente la limite de ses transformations, on peut apprendre sur les conditions, supportables ou pas, d’une mutation subjective qui ne soit pas de la stupeur ou de la perplexité, et qui puisse être transmise dans sa qualité d’expérience. C’est pour ça que peut-être il n’y a pas autre discours comme le lacanien pour reconnaitre avec honnêteté ce qu’une praxis apprend dans son impuissance à modifier le réel. Et pour cela même, la pensée de Lacan peut être l’opportunité d’éclairer avec du courage intellectuel ce qui reste encore impensé à la fin : la défaite à échelle mondiale, à partir des années soixante-dix, du projet révolutionnaire de gauche. Défaite que le savoir postmoderne a escamotée à la pensée. Sur ce point, Lacan a dès le début préparé, par des lectures et ponctuations diverses, les conditions pour que la pensée marxiste puisse élaborer sa propre fin, dans le seul endroit où l’élaboration est possible : le travail de deuil qui se fait hors du foyer, du foyer philosophique. Lacan a commencé par « deshégélianiser » le matérialisme de Marx, proposant un hiatus irréductible entre la vérité et le savoir. Mais ce hiatus constituera l’occasion d’un hommage définitif à Marx ; pour Lacan, l’inventeur du symptôme comme vérité imprévisible et incalculable qui ne peut pas être apprivoisée par l’exercice d’un savoir, c’est Marx, et non pas Freud. Depuis cette première perspective générale on peut trouver chez Lacan, à partir de 1938, un démontage méticuleux de tous les motifs marxistes : l’analyse de la marchandise en incorporant la thématique de la jouissance pulsionnelle, les différentes objections à la téléologie historique et à la métaphysique de son sujet, la présentation d’une temporalité problématisée par les différentes modalités du retour, et libérée de tout fantasme utopique. Il ne s’agit pas non plus du « progressisme », parce que la temporalité du sujet qui surgit comme résultat de la brèche ontologique n’est pas rectilinéaire, c’est un « futur antérieur » qui réunit d’une manière absolument spécifique les extases temporelles du passé, du présent et du futur, dans une double conjecture : ce que « j’aurai été » pour « ce que je suis en train de devenir ». Et il ne s’agit pas d’utopie, parce que utopie suppose toujours la réconciliation finale de la société avec elle-même. Pour finir, la gauche lacanienne doit subvertir la sémantique de la révolution. Une gauche lacanienne est toujours une réécriture d’un legs et d’un héritage, un déchiffrement qu’établisse et tente sa chance avec un nouveau type d’alliance avec la pulsion de mort inscrite dans le mode dans lequel la civilisation a lieu dans le pays. Une des premières positions de Lacan a été de ne pas admettre le telos historique du matérialisme marxiste, ni les mouvements dialectiques de l’en-soi pour-soi, mais de donner toute sa valeur de vérité à la plus-value, en établissant une complexe homologie avec ce qu’il nomme « plus-de-jouir » : le vrai secret du capitalisme gît dans une économie politique de la jouissance. L’opération fantasmatique à travers laquelle le sujet conquiert sa réalité et sa consistance trouve son point de départ dans ce plus-de-jouir qui fonctionne même dans des conditions de misère extrême. Ce dont on dépouille les multitudes c’est des ressources symboliques qui permettent d’établir et d’inventer en chacun le parcours symbolique adéquat pour le circuit pulsionnel du plus-de-jouir. La misère est, dans ce sens, d’être tout seul avec la jouissance de la pulsion de mort dans l’éclipse absolu du symbolique. L’absence de « satisfaction des besoins matériels » non seulement n’éteint pas le circuit pulsionnel, mais l’accentue d’une manière mortifère. Dans ce sens, le capitalisme, de même que la pulsion, est un mouvement circulaire qui s’autopropulse autour d’un vide qui l’oblige toujours à recommencer, sans qu’aucune satisfaction ne le comble de manière définitive. Même s’il accomplit toujours un plus-de-jouir partiel et excédant toute utilité. Pour une gauche lacanienne, penser les conséquences de cette « part maudite » dans les processus de subjectivation est une exigence politique. Pour cela, s’il est vrai qu’aujourd’hui le pouvoir est devenu biopolitique, en prenant pour soi comme affaire essentiel la « vie » biologique, dans une perspective lacanienne on ajouterait que, s’agissant de la vie des corps parlants, sexués et mortels, c’est la vie du plus-de-jouir. Le corps du parlant n’est autre chose que le siège du plus-de-jouir. Séries télévisuelles de médecins, légistes, opérations télévisées, émissions de santé, dans tous les cas on essaie d’attraper, à l’époque où la science veut effacer la frontière entre l’être parlant et l’animal, le plus-de-jouir qui anime la biologie du corps. Pourra la technique tourner le plus-de-jouir une unité discernable, quantifiable, localisable ? Ce n’est pas un paradoxe mineur que la jouissance pulsionnelle soit la seule « autonomie » (non pas consciente ni réflexive) qui reste à l’existence parlante face à l’exigence technique qui veut que le monde devienne image.
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