Le JJ reprend sa parution demain mercrediJOURNAL DES JOURNÉESSecond Scoople mardi 29 septembre 2009
*******CommuniquéLe mathématicien Jacques Stern“le père de la cryptologie française”chez les lacaniens
Le mathématicien Jacques Stern, médaille d’or du CNRS 2006, vient d’accepter de participer aux Journées de Novembre.
Dans un mail adressé à Catherine Lazarus-Matet, il écrit : “Je serai ravi d’intervenir sur la cryptologie lors du Congrès national de l’Ecole de la Cause freudienne qui se tiendra à Paris le dimanche 8 novembre 2009. Merci de revenir vers moi avec les détails logistiques (lieu, heure), ou si vous souhaitez que nous précisions un peu plus le format de mon intervention.
Notre collègue, qui le connaissait pour l’avoir croisé dans des occasions sociales, l’avait sollicité en notre nom par un mail dont j’extrais le passage suivant : “Jacques-Alain Miller aimerait vous inviter à participer à notre Congrès national dont il est l’organisateur. Ce Congrès se tiendra à Paris le dimanche 8 novembre 2009, et réunira entre 1500 et 2000 personnes. Pourquoi cette invitation ? Dans l’espoir de vous entendre nous donner une leçon de cryptologie. à nous qui avons affaire à un crypteur, l’inconscient, dont nous tentons de décrypter les productions. Mais nous qui ne pouvons pas mathématiser nos opérations, nous serions ravis que vous puissiez nous expliquer ce qu’est la cryptologie, ses méthodes, ses mécanismes, ses systèmes. Cela pourrait se faire sous la forme d’une conférence de trois quarts d’heure ou une heure, suivie d’un temps pour un échange avec J.-A. Miller et moi-même, autour de quelques questions.”
Nous reproduisons ci-dessous un article du journal Le Monde, en date du 07 octobre 2006. Avec sa voix douce et son air affable, Jacques Stern cache bien son jeu. Le récipiendaire de la médaille d’or du CNRS 2006, professeur à l’Ecole normale supérieure – dont il dirige le laboratoire d’informatique -, est un démolisseur. Un redoutable briseur de codes. Ce mathématicien de formation, passé tardivement à l’informatique, a fait des ravages dans une discipline longtemps régie par l’empirisme : la cryptologie. Cette « science du secret », dont il a décrit l’histoire et les principes dans un ouvrage limpide, est depuis l’Antiquité un art de la guerre. La cuirasse, c’est la cryptographie, c’est-à-dire le codage et l’écriture secrète. L’épée, c’est la cryptanalyse, qui vise à briser le code pour accéder au message caché.
Jacques Stern excelle dans les deux armes, avec peut-être une prédilection pour la seconde. « Comme un détective, il observe des phénomènes mathématiques isolés et est ensuite capable de les unifier dans une théorie », explique David Naccache, un de ses anciens étudiants passé par Gemplus, le géant de la carte à puce, aujourd’hui revenu à la recherche universitaire. L’élève se souvient avoir vu le maître trouver la brèche d’un système en quelques minutes. Ce qui l’a frappé chez Jacques Stern, c’est sa disponibilité vis-à-vis des jeunes qu’il lance dans la bataille. « Dans les autres disciplines, on se bat contre la nature. Ici, c’est contre un être humain, qui peut être retors. Il n’y a pas de règle codifiée, note encore David Naccache. Son tableau de chasse est impressionnant. »Fatalement, certains de ses confrères et amis en font les frais. « C’est de bonne guerre », convient Jean-Jacques Quisquater (université de Louvain), dont un protocole fut cassé en 1998 par Jacques Stern et un de ses élèves. Le chercheur belge ne lui en porte pas rancune. Il a accueilli dans son laboratoire l’un des fils de Jacques Stern, Julien, qui a fait une thèse en cryptologie avant de fonder avec son frère Alexandre une entreprise de conseil et sécurisation des échanges électroniques, Cryptolog. « J’ai peut-être eu le tort d’offrir un ordinateur à Julien pour ses 8 ans », sourit Jacques Stern.Lui-même n’est pas né dans une famille de scientifiques. Ses grands-parents, juifs d’Europe centrale et de Salonique, ont émigré en France à la fin du XIXe siècle. Installés à Paris, ses parents tenaient un commerce de vêtements. Son père fut prisonnier de guerre, sa mère déportée en Allemagne. « Ils ont souffert, commente le fils, mais n’ont pas perdu confiance dans le pays que leurs parents avaient choisi, ni dans l’avenir. »L’avenir, c’était lui, enfant unique né dans l’après-guerre, abonné aux prix d’excellence, qu’un prof de maths oriente vers Louis-le-Grand et sa prépa scientifique. Il y gagne le goût pour ce qu’il pressent de la recherche. Mai 68 ? « J’ai beaucoup discuté, mais je n’étais pas dans la rue. » Admis à Polytechnique, il préfère rejoindre Normale-Sup (ENS).Après sa thèse sur la théorie mathématique de l’indécidabilité et un an à Berkeley (San Francisco), marié à une juriste spécialiste de droit international, il est bombardé à la chaire de mathématiques de l’université de Caen. Le jeune prof s’épanouit au contact d’étudiants peu nombreux et motivés – un peu le contraire de ce qu’il perçoit de l’université de masse d’aujourd’hui. Mais la vie de mathématicien l’use. « On produit dans la douleur, on ne peut penser à rien d’autre », lâche cet amateur d’opéra disert, qu’on imagine mal aujourd’hui en génie torturé. A l’époque, une obsession s’impose : créer utile. Après mûre réflexion, ce sera l’informatique, « cette mécanisation de l’abstraction », et en particulier la cryptologie. En maths, sa spécialité – prouver que quelque chose est impossible – n’a « aucun intérêt pratique ». Mais en cryptologie, « si on peut garantir que l’adversaire est dans l’impossibilité d’accéder à des données, la preuve devient utile », résume-t-il.Avec la logique, sa spécialité d’origine, il contribue à l’émergence d’une discipline sortie de la clandestinité dans les années 1970, sous l’impulsion de chercheurs, essentiellement anglo-saxons, soucieux de sécuriser les échanges de données. Naissent alors de nouveaux protocoles permettant de signer les messages, de chiffrer les données et de s’assurer de leur intégrité, autant de briques nécessaires à l’édification du commerce électronique.En France, le monde académique ignore la discipline. Tout ou presque est à construire. D’abord « squatteur » à l’ENS à la fin des années 1980, Jacques Stern ne tarde pas à attirer des thésards, « brillants ». « Il a fait école, c’est le père de la cryptologie française moderne », assure David Naccache. Jacques Stern est donc aussi un bâtisseur. Il a lui-même produit des algorithmes de cryptage, qui sont utilisés dans certaines applications en ligne. L’un d’eux, dit à connaissance nulle, permet de reconnaître un secret sans le connaître. Il est aussi l’auteur, seul ou en réunion, de plusieurs schémas de chiffrement à clé publique, sur la petite dizaine existant dans le monde.Le chercheur a aussi contribué à la démocratisation des moyens de cryptologie. « On les trouve partout, dans tous les ordinateurs », note-t-il. En 1999, une loi en a libéré l’usage par les particuliers, après une longue résistance de la défense et de la police, qui voulaient conserver le monopole de cette technologie classée « arme de guerre de deuxième catégorie ». L’année précédente, le gouvernement lui avait demandé un rapport, encore secret aujourd’hui, sur le sujet. « Il avait prôné une libéralisation raisonnable et a été suivi au-delà de ses espérances », révèle le général Jean-Louis Desvignes, qui était alors responsable du Service central pour la sûreté des systèmes d’information, successeur du Service du chiffre.« Mon chef de laboratoire de cryptologie sortait de ses pattes », lâche encore le général. Dans l’industrie, la défense, l’université, la descendance de Jacques Stern est assurée. Sa renommée internationale est établie. L’homme, à l’allure encore juvénile malgré ses 57 ans, sans un cheveu blanc, n’a pourtant reçu que sur le tard, en 2005, la médaille d’argent du CNRS. Que l’organisme public lui décerne dans la foulée sa médaille d’or le rassure rétrospectivement sur son choix de carrière. Certains de ses camarades de prépa, qui avaient opté pour l’X, ne sont-ils pas devenus capitaines d’industrie, pour certains « chargés de fusions imminentes » ? « Je pensais que la recherche serait la voie la plus passionnante et difficile, mais ces défis-là ne le sont-ils pas tout autant ? », s’interroge-t-il. Drame mineur des surdoués, à qui l’excellence peut ouvrir plusieurs portes. — Hervé Morin
La Médaille d’or du CNRS(d’après Wikipedia)C’est la plus haute distinction scientifique française ; elle est décernée par le Centre national de la recherche scientifique tous les ans depuis sa création en 1954 ; elle récompense « une personnalité scientifique qui a contribué de manière exceptionnelle au dynamisme et au rayonnement de la recherche ».
- 1954 : Émile Borel (mathématiques)
- 1955 : Louis de Broglie (physique) (prix Nobel de physique 1929)
- 1956 : Jacques Hadamard (mathématiques)
- 1957 : Gaston Dupouy (physique)
- 1958 : Gaston Ramon (immunologie)
- 1959 : André Danjon (astrophysique)
- 1960 : Raoul Blanchard (géographie)
- 1961 : Pol Bouin (physiologie)
- 1962 : Marcel Delépine (chimie)
- 1963 : Robert Courrier (biologie)
- 1964 : Alfred Kastler (physique) (prix Nobel de physique 1966)
- 1965 : Louis Néel (physique) (prix Nobel de physique 1970)
- 1966 : Paul Pascal (chimie)
- 1967 : Claude Lévi-Strauss (ethnologie)
- 1968 : Boris Ephrussi (génétique)
- 1969 : Georges Chaudron (chimie)
- 1970 : Jacques Friedel (physique)
- 1971 : Bernard Halpern (immunologie)
- 1972 : Jacques Oudin (immunologie)
- 1973 : André Leroi-Gourhan (ethnologie)
- 1974 : Edgar Lederer (biochimie)
- 1975 : Raimond Castaing (physique) ; Christiane Desroches Noblecourt (égyptologie)
- 1976 : Henri Cartan (mathématiques)
- 1977 : Charles Fehrenbach (astronomie)
- 1978 : Maurice Allais (économie) (« prix Nobel d’économie » 1988) ; Pierre Jacquinot (physique)
- 1979 : Pierre Chambon (biologie)
- 1980 : Pierre-Gilles de Gennes (physique) (prix Nobel de physique 1991)
- 1981 : Jean-Marie Lehn (chimie) (prix Nobel de chimie 1987) ; Roland Martin (archéologie)
- 1982 : Pierre Joliot (biochimie)
- 1983 : Évry Schatzman (astrophysique)
- 1984 : Jean Brossel (physique) ; Jean-Pierre Vernant (histoire)
- 1985 : Piotr Slonimski (génétique)
- 1986 : Nicole Le Douarin (embryologie)
- 1987 : Georges Canguilhem (philosophie) ; Jean-Pierre Serre (mathématiques) (médaille Fields 1954)
- 1988 : Philippe Nozières (physique)
- 1989 : Michel Jouvet (biologie)
- 1990 : Marc Julia (chimie)
- 1991 : Jacques Le Goff (histoire)
- 1992 : Jean-Pierre Changeux (neurobiologie)
- 1993 : Pierre Bourdieu (sociologie)
- 1994 : Claude Allègre (géophysique)
- 1995 : Claude Hagège (linguistique)
- 1996 : Claude Cohen-Tannoudji (physique) (prix Nobel de physique 1997)
- 1997 : Jean Rouxel (chimie)
- 1998 : Pierre Potier (chimie)
- 1999 : Jean-Claude Risset (informatique musicale)
- 2000 : Michel Lazdunski (biochimie)
- 2001 : Maurice Godelier (anthropologie)
- 2002 : Claude Lorius et Jean Jouzel (climatologie)
- 2003 : Albert Fert (physique) (prix Nobel de physique 2007)
- 2004 : Alain Connes (mathématiques) (médaille Fields 1982)
- 2005 : Alain Aspect (physique quantique)
- 2006 : Jacques Stern (cryptologie)
- 2007 : Jean Tirole (économie)
- 2008 : Jean Weissenbach1 (génétique)
- 2009 : Serge Haroche (physique)