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Nº 3/09 “Le Rapport Couty pour la sante mentale et la psychiatrie : surveillance, depistage, chaine des soins et prise en charge « secure »”
Michel Normand (*) S’il faut reconnaître quelques qualités au Rapport établi par M. Edouard COUTY, Conseiller Maître à la cour des Comptes et ancien Directeur des Hôpitaux, « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie »[1], ce sont celles de volonté, de persévérance, voire d’obstination à poursuivre et à mener à son terme, avec la Direction Générale de la Santé, la logique des rapports précédents qui se sont succédés depuis maintenant huit ans[2]. Soulignons cependant que cette tâche s’en trouve d’autant facilitée que le dit rapport, d’une cinquantaine de pages (hors les annexes), se contente ici de conclure cette vaste entreprise de démembrement. En effet, il boucle la boucle en proposant une réorganisation du cadre institutionnel de la santé mentale, ainsi qu’une refonte des formations et des missions de ses acteurs, qui permettent l’application des orientations développées dans ces rapports antérieurs. Ce travail est rendu encore plus facile non seulement par la continuité de l’administration de la santé, mais également par celle de ses experts patentés sollicités à nouveau, où l’on retrouve, entre autres, les Dr Roelandt, Clery-Melin, et Massé[3]. 1- De la compulsion de répétition Le dernier rapport en date, le Plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 est d’ailleurs la référence explicite de la lettre de mission de Madame Roselyne BACHELOT-NARQUIN, Ministre de la santé et des sports. Dans cette ligne elle prône une « réponse globale » qui fusionne le champ de la santé et celui de la pathologie mentale, même si, comme ses prédécesseurs, le rapport Couty tente laborieusement d’échapper à cette confusion en prétendant maintenir une distinction entre un premier un second niveau. Pour mémoire, rappelons que les quatre axes du dernier Plan concernaient l’état de morbidité de la population française et ses pathologies mentales majeures ; les modalités de dépistages et de traitements, leur prévention associée au recensement de prétendus « besoins de santé mentale » auprès de populations – cibles ; la formation des professionnels et à leur adaptation à cette conjoncture qui nécessitait de nouvelles compétences. Le rapport Couty s’articule autour de ces trois thèmes, annoncés à nouveau dans la lettre de mission : les missions de la psychiatrie et de la santé mentale ; l’évolution des métiers et les collaborations professionnelles ; la politique de la santé mentale (prévention, repérage des troubles à différents âges de la vie). Sur un même fond de chiffres et de statistiques alarmistes invérifiables délivrés par l’OMS, le rapport Couty reprend à son compte ces orientations et trouve là sa justification. Sous la catégorie des « maladies mentales », se trouvent mêlés schizophrénie, troubles bipolaires, troubles obsessionnels compulsionnels, dépression, addiction, mais également des catégories de « troubles psychiatriques» qui, en France, seraient la cause de suicides ou celles d’accidents, ou encore la cause de consommation d’alcool, de tabac, de drogue. Elles sont amalgamées à d’autres catégories qui concernent des préoccupations de santé publique, celles qui sont regroupées sous la notion ambiguë de santé mentale, telle que la définit l’OMS et le programme européen « Pacte européen pour la santé mentale »[4]. 2- La conception néo-hygiéniste encore L’idée maîtresse de ce rapport est celle que l’on connaît depuis plusieurs années : l’élargissement du domaine de la maladie mentale propre à la psychiatrie, à celui de la santé mentale et son extension à l’ensemble de la société. Sont donc concernés le champ sanitaire au sens strict, le champ médico-social, le champ social, mais également l’éducation, le travail et l’emploi ainsi que la justice. En dépit de l’intérêt affiché pour une dimension sociétale (les malades et leur famille, la lutte contre la stigmatisation et la discrimination), le modèle médical demeure la référence ultime. Les maladies mentales sont à traiter sur le même mode que les maladies somatiques, selon « la conception québécoise, néo-hygiéniste et autoritaire » que Jacques-Alain Miller avait épinglée en son temps[5]. La santé mentale devient une « politique de santé publique » (lettre de mission). Comme telle, elle implique une organisation qui doit permettre la prévention, le « repérage des troubles » à tous les âges de la vie, ainsi qu’un système de « surveillance » (sic), de veille et d’alerte dans ce domaine. Ajoutons que, dans sa lettre de mission, le Ministre de la santé et des sports assigne un objectif particulier à cette politique : celui des modalités à envisager pour appliquer « l’obligation de soins ». Le rapport Couty non seulement s’inscrit précisément dans cette logique autoritaire et sécuritaire, mais va bien au-delà en recommandant que cette politique de santé mentale et de psychiatrie fasse l’objet d’une loi. Elle s’appuie sur la définition de la santé mentale de l’OMS qui, depuis plusieurs années remplace celle de la maladie mentale. La santé mentale ne se réduit pas à l’absence de la maladie mais à un « état complet de bien-être physique, mental et social ». Elle est sous-tendue par « le modèle bio-psycho-social » qui définit la psychiatrie contemporaine et qui trouve son fondement dans la théorie neuro-cognitivo-comportementale (cf. les notions de réhabilitation et d’éducation conçues comme interaction entre un organisme et son milieu). Le rôle du secteur est repensé pour mettre en œuvre cette politique. Désormais ses missions sont calquées sur celles de la loi Hôpital, Patient, Santé, Territoire (HPST) La psychiatrie et la santé mentale sont traitées sur le même mode que la médecine somatique (Médecine, Chirurgie, Obstétrique). Comme les malades, les blessés et les femmes enceintes, les pathologies mentales ou les questions de santé mentale font l’objet d’une vigilance destinée à garantir la sécurité sanitaire. Celle-ci inclut une mission de repérage précoce, de prévention, de prise en charge, de suivi, de réinsertion des patients et d’accompagnement des familles, dans le cadre d’une action extra hospitalière en partenariat avec tous les autres acteurs des secteurs sociaux et médico-sociaux, ainsi qu’une mission de soins en hospitalisation. Les maîtres mots du secteur ainsi rénové sont : « Prévention, repérage, et diagnostic précoce, soins psychiatriques et somatiques, réinsertion et suivi sanitaire et social, logement, réhabilitation psychosociale »[6]. Leur corollaire est la « Surveillance et Veille dans le champ de la santé mentale »[7]. La conséquence de cette médicalisation de la psychiatrie et de la santé mentale est, d’une part, la mise en œuvre, au titre de la recherche, d’indicateurs sociaux pertinents et de « déterminants »[8] pour la santé mentale. Sont ainsi mentionnés : pauvreté, précarité, intégration sociale, intégration civique, capital social, conditions de travail. D’autre part, certaines populations, dites « populations d’intérêt »[9], sont particulièrement surveillées. Ce sont les enfants, les adolescents (école, collège et lycée), les jeunes (université), les pauvres, les détenus. Le paradoxe, ou plutôt le lapsus, est qu’au nom de lutte contre la discrimination et la stigmatisation du malade et de la maladie mentale, c’est l’ensemble du champ social qui devient l’objet de la santé mentale, via l’information, le dépistage, le traitement, le « suivi » et la mise en place d’une « chaîne des soins » dont fait partie l’obligation de soin. Tout au long de ces « chaînes des prises en charge », cliniques et sociales, le rapport prévoit la mise en place de protocoles qui seront comparés et évalués. Cette production d’un type nouveau n’est pas sans faire penser à l’idéologie néolibérale, à son modèle du marché et à sa logique de la concurrence appliqués aux services depuis ces dix dernières années. Ainsi les « besoins de soin » en santé mentale devront être planifiés et le « système de soins » divisé en système de première ligne et de deuxième ligne. Le premier appelant l’intervention du médecin généraliste, du psychologue ou du psychothérapeute ; le second nécessitant celle du spécialiste, le psychiatre[10]. 3- La dissolution du secteur dans le GLCSM : Outre ce modèle productiviste appliqué à la santé mentale, et toujours au nom de la modernisation du système de soins en santé mentale, l’innovation majeure du rapport est de bouleverser radicalement l’organisation actuelle de la psychiatrie de secteur au profit d’un cadre institutionnel soit disant rénové : le Groupement Local de Coopération pour la Santé Mentale (GLCSM ), à la tête duquel un directeur est nommé par l’ARS, et le Conseil Local pour la Santé Mentale (CLSM). Le GLCSM devra regrouper « l’ensemble des opérateurs qui, à un titre ou à un autre-, assurent soins, mais aussi prévention, accompagnement médico-social, opérateurs sociaux dans différents domaines (logement, emploi, réinsertion) –, et qui doivent intervenir dans la chaîne des prises en charge »[11], ainsi que tous ceux qui ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre d’une politique de santé mentale. Cette chaîne intègre la totalité des acteurs du territoire de la compétence du GLCSM, tel qu’il devra être découpé par l’ARS. Elle comprend une énumération non exhaustive et, au final, couvre l’ensemble du champ sanitaire, social, médico-social, mais également le domaine politique. Sont donc concernés les établissements de santé, publics et privés, les « opérateurs » sociaux (logement, emploi, réinsertion, accompagnateurs médico-sociaux), les CCAS et les collectivités locales, ainsi que « les associations d’usagers et de familles de malades ». Au GLCSM reviennent les missions de « prévention, repérage et diagnostic précoce, soins psychiatriques et somatiques ambulatoires, réinsertion et suivi sanitaire et social, logement ou hébergement transitoire, et de réhabilitation psychosociale. »[12] C’est lui également qui organise « l’ensemble des modalités de prise en charge » des soins ambulatoires (1° niveau). Il structure également les « liens nécessaires avec la médecine scolaire et la médecine du travail ». En cas d’urgence ou de nécessité de soins, il adresse le patient aux établissements offrant une hospitalisation complète (2°niveau). Enfin, objectifs et moyens des GLCSM seront définis dans un contrat signé avec l’ARS et les collectivités locales. En se substituant ainsi au secteur de santé mental, non seulement cette nouvelle organisation en change la nature, mais modifie profondément la pratique des équipes soignantes. Elle heurte de plein fouet leur éthique tout autant que les droits du patient (ou du futur patient), au premier chef celui de la confidentialité et du respect de l’intime. La trame relationnelle que tissaient avec chacun des patients, les équipes extrahospitalières des CMP, des Hôpitaux de Jour et celles de l’Hôpital temps complet est détruite, remplacée qu’elle est par une structure surdimensionnée, anonyme et bureaucratique qui seule détermine la mise en œuvre de « chaîne des soins ». Dans une telle organisation les CMP ne sont plus le lieu auquel le sujet vient librement adresser sa demande et son symptôme. Il devient un maillon de cette chaîne de dont le but se réduit au repérage, au dépistage, au diagnostic et au traitement protocolisé des troubles. Mais plus encore, sous le couvert de la modernisation du secteur et de l’amélioration de la prise en charge du patient, fondus dans le GLCSM, la psychiatrie de secteur, les CMP, deviennent à la fois un élément du dispositif de surveillance et de la « prise en charge sécure» (sic) [13] . Ces prises en charges « sécures », non pas pour le patient mais pour la population, constituent en définitive l’ « impératif » (sic) qui sous-tend l’ensemble du rapport. S’il fallait s’en convaincre, la commission Couty réitère à plusieurs reprises la nécessité d’un texte législatif qui « devrait intégrer les différentes facettes de l’accompagnement et des prises en charge des usagers en santé mentale, des familles et des proches des malades : le repérage et le diagnostic précoce, l’accès aux soins rapide et adapté, le suivi personnalisé et continu, la réhabilitation sociale, la prévention des risques, la recherche autour des déterminants de la santé mentale, l’organisation rénovée des dispositifs nécessaires aux hospitalisations sans consentement comme les soins aux détenus. »[14] Au nom de la prévention, au nom de la sécurité sanitaire appliquée au domaine psychique, au nom de besoins de santé mentale le patient, qu’il soit psychotique ou non, le sujet à tous les âges de la vie[21] devient un individu à éduquer, surveille et soigner, fut-ce sous la contrainte. Pour les mêmes motifs, les professionnels de santé sont appelés à se ranger dans cette chaîne de prises en charge « sécures », à exécuter la tâche que leur indique leur position dans cette chaîne, telle qu’elle sera prévue dans des protocoles. C’est dans cette perspective Orwellienne qu’il faut situer la part apparemment importante que la commission accorde à la recherche en santé mentale, en particulier celle consacrée à l’évaluation des protocoles de prise en charge clinique et sociale et des « stratégies thérapeutiques »[22]. 5- Une direction unique de recherche, celle du bio-psycho-social Bien que la commission affiche la volonté de rééquilibrer la place des sciences humaines et sociales dans la recherche en psychiatrie où les neurosciences sont hégémoniques, force est de constater, là encore, que le texte même du rapport révèle sa propre contradiction. Il rappelle fort à propos, les quatre axes qui ont acquis une « visibilité internationale ». Ce sont : « la génétique des psychoses et des troubles de l’humeur et des addictions ; la neuropsychologie cognitive des psychoses ; la neurobiologie des addictions et les études pharmacologiques sur les psychotropes »[23]. Il nous apprend également que, maintenant, la psychiatrie relève de la commission des neurosciences et est partie intégrante de l’Institut des neurosciences[24]. Á partir du moment où, pour comprendre l’être humain, la référence ultime demeure le modèle bio-psycho-social, l’appel à une réelle pluridisciplinarité est trompeur. L’exemple de la formation pluridisciplinaire que la commission appelle de ses vœux se passe de commentaires : « psychiatrie et psychologie cognitive, psychiatrie et génétique, psychiatrie et épidémiologie »[25]. Les équipes universitaires des recherches fondamentales sont mono référées à cette même psychiatrie biologique et comportementale (imagerie cérébrale, génomique, expérimentation animale), ignorant les recherches cliniques menées dans les UFR de psychologie, et passant sous silence tout référence à la psychopathologie psychanalytique ainsi qu’à la recherche menée également dans les Ecoles de psychanalyse. L’objectif principal fixé à cette recherche demeure encore l’évaluation dans sa conception utilitariste. Il s’agit de comparer les protocoles des prises en charge, thérapeutiques, clinique et sociale et déterminer et de rationaliser « les procédures optimales »[26]. Cette évaluation et cette rationalisation visent les thérapeutiques pharmacologiques, psychothérapiques, comportementales et sociales. L’Inserm et son évaluation des psychothérapies sont citées en exemple, sans qu’il soit fait mention de la critique et de la contestation « mutltidisciplinaires » dont elles ont été l’objet[27]. Rappelons que dans cette évaluation, seules les thérapies cognitivo-comportementales étaient considérées comme les plus efficaces, à l’exclusion de la plupart des autres, en particulier les psychothérapies psychanalytiques. Un autre objectif assigné est d’ordre strictement pharmacologique. Afin de favoriser le développement de nouvelles thérapeutiques, le rapport Couty encourage les études sur l’efficacité des médicaments psychotropes concernant, notons le, « toutes les tranches d’âge, incluant l’enfant et l’adolescent, ainsi que les personnes âgées »[28]. Il faut souligner que c’est dans ce contexte de la médicalisation du psychisme que les psychologues sont invités à se joindre aux équipes de recherche comme à participer à des structures innovantes. En effet, le but est toujours d’améliorer « les soins médicaux en psychiatrie: protocolisation des traitements, audits cliniques, inclusion dans des programmes de recherche, suivi longitudinal de cohortes de patients, L’expérimentation devrait dépasser la seule pratique médicale et faire une place importante à la pratique d’équipe en formalisant dans les protocoles le rôle respectif du médecin, du psychologue et des soignants.»[29] 6- La disparition annoncée des psychologues et de la clinique freudienne Comme nous l’avons vu, une partie du rapport vient répondre à la lettre de mission qui mettait au « cœur de la réflexion » la question des collaborations professionnelles et l’évolution des métiers, en particulier ceux de la santé. Même si ce volet se contente de tracer quelques pistes qui renvoient prudemment à la concertation, à l’expérimentation ou à d’obscurs groupes de réflexion, nous savons qu’il est question des fixer de nouveaux rôles et de nouvelles tâches. Comme les infirmiers et les médecins, les psychologues cliniciens sont visés par ce bouleversement. Alors que, faut-il le rappeler, jusqu’ici la plupart ont reçu un enseignement de psychopathologie et de psychanalyse dans les universités des sciences humaines, les ouvrant à des formations personnelles au sein des écoles psychanalytiques. Ils n’étaient pas inclus dans ces professions de santé jusqu’à présent, tout au moins avant que n’apparaisse opportunément une nouvelle fiche métier de la Fonction Publique Hospitalière qui modifie en profondeur les missions qui étaient les leurs. De la même façon que toute référence à la psychanalyse est ignorée dans le rapport Couty, toute mention de psychothérapie a disparu de cette fiche. Elle a été remplacée par la notion de « soins spécifiques », donc par une notion rapportée au champ médical. On voit comment se prépare « une nouvelle répartition des tâches » entre les psychiatres et les psychologues. La recommandation d’expérimentation[30] cache mal la volonté d’un certain lobby médical et administratif, que l’on retrouve ici à l’œuvre, qui est de mettre fin à cette fonction particulière et à l’éthique qui sont celles des psychologues cliniciens: celle de préserver cette part du sujet qui échappe au savoir, fut-il celui de la médecine. Sous les apparences de la collaboration et de la reconnaissance de ses « compétences », qui ici, sont déléguées par le médecin psychiatre, il s’agit ni plus ni moins d’en faire des auxiliaires médicaux. Dès lors leurs pratiques, plutôt leurs actes, seront assimilés à des actes paramédicaux. Comme tels, après leur « habilitation », ils seront intégrés dans les protocoles, les contrôles et les évaluations des chaînes des soins. Enfin, outre le fait que, dans sa recommandation n°17[31] le rapport semble ignorer à la fois les conditions de la formation des psychologues cliniciens qui requièrent déjà l’obligation de stages clinique, et celles de leur recrutement dans les établissements publics, cette volonté de para-médicalisation passe donc par une nouvelle définition de leur rôle et de leurs missions qui devront prendre place dans un « statut de professionnels de santé »[32]. Ne nous y trompons pas, c’est évidemment à ces psychologues de la santé que le rapport propose d’ouvrir les équipes de recherche épidémiologique et en santé publique, formés pour éduquer, surveiller, dépister, réhabiliter et adapter. S’il fallait se convaincre de cette volonté d’éradiquer les psychologues cliniciens il n’est que de se reporter à la note rédigée par le groupe de travail animé par M. Jouvin, directeur d’hôpital[33] , qui fait notable, ne comporte aucun psychologue. Cette note superficielle d’une vingtaine de pages, bien qu’elle présente une suite d’approximations et d’opinions générales, n’a pas été sans inspirer le rapport Couty. On pourrait même la considérer comme son envers, sa doublure, révélant brutalement la face cachée d’un rapport fort policé et nuancé. Par exemple, avec l’idéologie néo-libérale et celle du management, on y trouve quelques idées forces reprises par la commission Couty telles: l’organisation territoriale et « la chaîne des soins », l’évaluation et la démarche qualité, la certification (la note Jouvin évoque à ce sujet la notion de pratiques exigibles prioritaires ou P.E.P, avec des indicateurs qui concerneraient la psychiatrie, la santé mentale, comme « le maillage socio-sanitaire territorial), le « case management » et les itinéraires cliniques standardisés, le « case manager » ou « professionnel référent» ( « volontariste capable d’imposer une réponse tierce »), la dimension aussi autoritaire du soin ainsi que la notion de réhabilitation, et enfin l’évolution des métiers et des formations répondant à ces nouvelles exigences. Concernant les psychologues, la Note Jouvin affiche cette fois explicitement la volonté de modifier leur formation et leur statut, pour en faire des auxiliaires paramédicaux. Là encore, dans le droit fil des rapports Piel et Roelandt, Cléry-Melin, Massé, il leur conteste le libre choix de leur orientation théorique et pratique. Il leur dénie leur haut niveau de formation qui, appuyé sur leur code déontologie, justifie l’autonomie et la responsabilité professionnelles que les « usagers » sont en droit d’attendre d’eux. Celles que leur a reconnues depuis 1985, M. De Kervasdoué, alors Directeur des Hôpitaux, qui, dans la circulaire signée par lui, insiste sur la nécessité de respecter leurs méthodes spécifiques comme la répartition de leur temps de service qui inclut un temps de clinique directe, une clinique institutionnelle portant sur « l’approche globale de la personne », et enfin une fonction de formation, d’information et de recherche. ConclusionCe sont ces psychologues soi-disant trop « monoréférencés », selon le terme du rapport Cléry-Melin, qui, au long des rapports successifs, sont l’objet d’une pulsion destructrice qui, en définitive, vise la psychanalyse freudienne appliquée dans le champ de la clinique et de la psychopathologie. Sous le prétexte d’arguments invoquant la sécurité sanitaire, ou la modernisation de l’organisation de la santé, il s’agit de médicaliser non seulement leurs formations et leurs pratiques, mais encore de les instrumentaliser au service d’une psychiatrisation qui s’étend à l’ensemble du champ social. Ceci selon des méthodologies modernes qui se veulent objectives, rationnelles, et efficaces. Elles ne sont en fait que le retour, sous des formes nouvelles, du scientisme. Celui qui forclôt le sujet parlant. Une fois incluses dans le domaine exclusivement médical, leurs pratiques cliniques et psychothérapeutiques, seront ravalées à des actes de soins standardisés, au même titre que n’importe quel traitement. Ainsi, en tant que toute «thérapie » ferait l’objet d’une prescription médicale, comme le suggère le rapport Couty et comme le recommande explicitement la note Jouvin, la psychothérapie deviendrait autoritaire. Au-delà de la nécessaire autonomie professionnelle du psychologue, garante de la responsabilité de son action, ce qui est en cause est sa pratique clinique ou institutionnelle et son éthique. Celle qui, depuis Freud, trouve son fondement dans la rencontre et l’écoute du sujet, de ce qui parle et qui fait sens, sous le masque de son symptôme. Ce qui est gravement menacé aujourd’hui est cette pratique clinique orientée par la psychanalyse, en tant qu’elle opère à partir d’une demande qui ne peut être que singulière. Autrement dit, c’est cette clinique du sujet sous transfert basée sur la relation de parole qui est en danger de disparaître. Celle qui, respectant l’intime, en dehors de tout projet de normalisation sociale, met à l’œuvre le rapport que le sujet entretient avec ses ratages et ses failles, avec son passé et les déterminants de son histoire, avec ses conflits inconscients et son désir dans ce qu’il a de plus particulier. C’est ainsi que, selon la formule de Lacan, « Freud a pris la responsabilité (…) de nous montrer qu’il y a des maladies qui parlent et de nous faire entendre la vérité de ce qu’elles disent »[34]. À l’opposé, comment ne pas voir dans le rapport Couty comme dans la note Jouvin, la résurgence d’une « fureur sanitaire» et sécuritaire, le retour à une forme de « contrôle social et moral ininterrompu »[35] qui vise à les faire taire. Le tout étant codifié par une loi. (*) Michel Normand, Psychologue clinicien, Docteur en psychopathologie, membre de l’Association des psychologues Freudiens et de l’Association Intercopsychos Ce texte est la reprise de l’article paru dans : http://www.psychologuesfreudiens.org/ (rubrique Nos travaux} http://www.intercopsychos.org/ [Instantanés n° 294, lundi 23 mars 2008] NOTES [1] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000037/ [2] Normand M., « Big Brother au Ministère de la Santé », Le Nouvel Ane,n°3, janvier 2004 p. 6-7 [3] Rapport Piel et Roelandt (2001) « De la psychiatrie vers la santé mentale » ; Rapport Cléry-Melin, Kovess (2003) « Plans d’action pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale » ; Rapport Dr. Massé (1993):promoteur de l’intégration de la psychiatrie dans le système général de la santé et l’ « evidence based medecine », (1997), expert de la Mission Nationale d’Appui en Santé mentale. [4] http://ec.europa.eu/health/ph_determinants/life_style/mental/docs/pact_en.pdf [5]Agence Lacanienne de Presse, Bulletin spécial « La guerre des palotins » n° 4 ,Paris, lundi 12 janvier 2004 |