Barcelone 11 et 12 juillet 2009 | |
4ème Rencontre européenne du Champ freudien | |
Bulletin de préparation et d’informations à la Rencontre | |
Clinique et pragmatique de la désinsertion en psychanalyse |
Date : jeudi 2 avril 2009 Modérateur : Judith Miller Voici l’intervention, au Colloque préparatoire à Pipol IV du 31 janvier dernier à Paris, de Bernard Seynhaeve, Analyste de l’École à l’ECF et directeur du Courtil. Intitulée » Élucider ce qui pourrait sembler faire difficulté », elle met en perspective comment s’invente, à chaque fois, un équilibre, par essence instable, entre institution et singularité du cas. » Élucider ce qui pourrait sembler faire difficulté Récemment, JAM remarquait que « le sinthome, dans sa dernière acception, désigne précisément ce qu’il y a de commun entre symptôme et fantasme, à savoir le mode de jouir singulier d’un sujet, mode de jouir saisi dans son fonctionnement positif »i. La question de savoir comment on en vient à accepter la direction d’une institution pour enfants en difficulté reçut son éclairage dans l’expérience analytique. Elle continue néanmoins à se poser, mais d’une tout autre manière, à présent. Chevalier servant les plus faibles, cela me seyait bien, il y a 28 ans, soit au temps précédant mon entrée en analyse, lorsque j’acceptai cette fonction. « Chevalier servant » est un signifiant du fantasme. Ma cure démarra en trombe sur un constat. Je m’aperçus soudain qu’enfant, j’avais regretté de ne pas avoir été une fille. J’ai évidemment fait le rapprochement de cette scène infantile précoce de la vision de mon père apprenant la propreté à mes sœurs avec l’invidia décrite par Saint Augustin. Jaloux à la vue de la jouissance partagée entre le père et sa fille. Être la fille du père. C’est sur ce regret d’enfant que s’élabora l’idée de devenir un jour curé. Je pus cependant renoncer à ce projet à condition de transformer le prêtre en chevalier servant. Projet plus supportable. Cela venait à point lorsque j’acceptai la direction d’une institution pour enfants en difficulté. On s’engage dans la vie avec son fantasme. C’est bien connu mais c’est aussi à l’insu du sujet. C’est ce que l’expérience analytique pourra vous apprendre. Accepter la fonction du maître de l’institution, jouir de son fantasme de manière supportable constituait le temps préalable à celui de mon entrée dans la cure. En accédant à la fonction, j’entrais dans un discours sans m’apercevoir à quoi je consentais. Sans m’apercevoir non plus à quoi je me soumettais. Le discours du maître. En 1967- 68 Lacan précisait : « L’acte psychanalytique […] nous le supposons du moment électif où le psychanalysant passe au psychanalyste. […] Disons d’abord : l’acte (tout court) a lieu d’un dire, et dont il change le sujet »ii. Situons cette interprétation majeure de l’analyste dans ma cure. Celle à partir de laquelle la cure trouvera son point de rebroussement pulsionnel. « Vous aimez trop vos fantasmes », dit-il. Qu’est-ce qui m’ébranla ainsi ? Que m’arrivait-il ? Je n’y compris rien. L’analyste avait touché quelque chose de sensible situé au cœur du parlêtre. Je vacillai. Angoisse. Je comprendrai alors que parler était source de jouissance. Jouir du blablabla. Je n’osais plus parler. Je me tu. La parole, corrélant le sens au corps, apparaissait maintenant comme source de jouissance. Vanité du sens. A quoi l’analyste avait-il touché ? Dans le cadre de l’expérience analytique, l’analysant débobine son histoire. Le mathème de l’histoire du sujet s’écrit S1-S2. L’acte analytique majeur de la cure, en pointant l’objet, entrava fondamentalement le déroulement de la chaîne signifiante, il sépara radicalement S1 et S2, isolant l’Un. L’histoire apparut soudain comme participant à la machine à jouir. Le mythe individuel du névrosé ? Que de la parlotte. Tel avait été l’effet de cette interprétation. La défense avait été touchée. Plus rien ne vaut la peine d’être dit lorsqu’on s’en aperçoit. Silence. Solitude. Je fis l’épreuve d’une radicale solitude. Désinséré radicalement. Traversée du désert. Partageons les eaux. L’expérience de la désinsertion de l’Autre faite dans ce mouvement particulier de la cure, indispensable à son évolution vers la fin, n’a rien à voir avec la désinsertion sociale. Je dirigeais une institution au temps précédant mon entrée dans la cure analytique. Cette longue expérience trouva à se boucler. Elle me mena vers la passe. J’ai fait la passe, c’était indispensable. J’ai été nommé Analyste de l’École, et cependant je dirige toujours cette institution. Je n’ai pas rompu ce lien social singulier. Avec le gain de savoir obtenu de l’expérience analytique, avec cette expérience de la solitude de l’Un, avec la rencontre du réel, de l’immonde, je dirige maintenant l’institution dans laquelle je travaille et je me prête au jeu de mes apparats. J’ai fait cette expérience analytique et cela change de l’avoir vécue. Mais je ne suis pas psychanalyste dans cette institution. Nous n’y échappons pas : dans le monde, l’institution dans laquelle je travaille se présente nécessairement comme voulant le bien de ceux qu’elle accueille. Institut Médico-pédagogique, ainsi s’affiche-t-elle. C’est de cette manière qu’elle peut être reconnue et subsidiée par le maître social. Mais le monde a changé. Le maître du XXIe siècle se présente avec la férule du chiffre. Obligation de résultats s’inscrivant dans un rapport qualité/prix défiant la concurrence. Obligation d’effets thérapeutiques à court terme. Inscription des enfants dans un lien social. C’est ainsi que le maître social le veut. L’expérience analytique et plus précisément sa fin donne accès à la solitude de l’Un. C’est dans ce contexte là, et nulle part ailleurs que l’analysant passe à l’analyste. Pour celui qui fait cette épreuve, le monde n’est plus comme avant, le monde a changé. Le maître de l’institution qui a fait lui-même cette expérience inouïe de la désinsertion de l’Autre, tente tant bien que mal de sauvegarder dans l’institution un espace d’invention. Surtout protéger ce trou dans le savoir. Une gageure. Utiliser les semblants directoriaux pour rendre possible ce pas de côté qui ouvre la faille, l’espace d’invention dans l’institution. Cet espace obtenu par le forçage du discours du maître permet qu’il s’y passe souvent des choses étonnantes. C’est une chance pour les enfants dont la jouissance n’est pas bordée par la castrationiii et dont les solutions sont mal accueillies dans le monde. Ainsi, le maître de l’institution tente-t-il tant bien que mal de faire rempart au maître social. Le paradoxe de cette institution c’est qu’elle s’efforce de faire valoir la singularité contre l’idéal. Il s’agit de se maintenir dans un équilibre instable, fragile, entre deux pôles impossiblement conciliables, l’institution et le singulier. Tenter de subvertir le discours du « tous pareils », du maître social. Lieu qui se singularise par l’ouverture qu’il s’efforce de produire pour que chacun puisse inventer sa solution, pour que chacun puisse traiter son insupportable, pour que chacun puisse s’inscrire dans l’Autre à sa façon, pour nouer comme il peut, comme il le peut, les cercles de son univers. Inventer une institution par enfant. Inventer une institution dans laquelle on peut inventer. i Jacques-Alain MILLER, Choses de finesse en psychanalyse, Orientation lacanienne III, 11, inédit, 03/12/08. ii Jacques LACAN, « L’acte psychanalytique » [1968-1969], Autres écrits, Seuil, 2001, p.375. iii Id. RAPPEL 5e soirée préparatoire à PIPOL IV Vendredi 3 avril, à 21 h.15 Local de l’ECF, 1, rue Huysmans, 75006 Paris « Figures féminines de la désinsertion » Discutante : Esthela Solano-Suarez Danelia Fernandez : La déracinée Bénédicte Jullien : La bourse ou la vie. Soirée animée par Laura Sokolowsky