Le titre du dernier numéro de la revue Quarto, « Difficile de ne pas être déprimé ! »*, résonne de toute sa force et de son évidence en ces jours où la débâcle sur les marchés financiers apporte son lot de catastrophes et d’angoisse. Pour autant, il n’est pas question de voir dans ce titre la simple annonce d’un destin inéluctable, mais plutôt d’y déceler la pointe d’ironie qui permet au désir de retrouver sa vitalité lorsque le surmoi se fait par trop vociférant. Il s’agit donc que la psychanalyse continue à faire entendre sa voix au milieu de la prolifération statistique des nouveaux symptômes. Cette voix n’est pas forcément celle de la raison, comme le pensait Freud, elle peut aussi être celle de l’ironie et de la joie.
Cette dernière dimension est mise en valeur dans la conversation de nos collègues de Belgique avec Jacqueline Berger autour de son livre Sortir de l’autisme, contre celle du déficit, du handicap et du malheur, pour ouvrir et reconnaître aux enfants et aux adultes autistes la voie de la création et de l’invention.
« J’ai effectivement voulu m’inscrire en faux contre le discours du déficit, nous dit J. Berger. La souffrance, elle existe. Quant on est extérieur à cette souffrance, on peut apporter de la joie et dire : « Je n’ai pas peur et on peut s’amuser ensemble. On peut créer ensemble, faire des choses ensembles. » » Ces propos résonnent singulièrement avec l’aphorisme de Lacan à la fin de son « Allocution sur les psychoses de l’enfant » : « quelle joie trouvons-nous dans ce qui fait notre travail ? »
Cette citation donne le ton de la conversation qui s’est déroulée à Bruxelles, le 20 décembre 2007 entre Jacqueline Berger, Judith Miller et plusieurs collègues belges. Il s’agit d’un échange vivant où la question de l’autisme croise celle du journalisme, où le quotidien, qui apporte son lot de souffrance, prend des couleurs inédites sous l’effet de la surprise, où l’existence s’élève à la dignité de la création de ne pas céder devant l’exigence et le devoir de transmettre.
Contre la revendication du savoir immédiat, contre la réduction à une cause unique, contre un déterminisme qui fixe chacun dans un destin inéluctable, cette conversation est une expérience en acte du gay savoir, celui qui ne recule pas devant le réel, qui sait l’affronter afin de faire advenir un espace où la création et la singularité peuvent enfin se faire entendre. Une conversation donc, à lire de toute urgence, afin de se joindre à cette polyphonie pour atteindre à une politique de l’acte.
Jean-Pierre Rouillon
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* « Difficile de ne pas être déprimé », Quarto n°93, juin 2008, revue de l’École de la Cause freudienne. éditée en Belgique.