Jacques-Alain Miller : L’otage est une « monnaie vivante ». En règle générale, sa libération obéit à une logique maniaco-dépressive. Première phase : inflation du moi, subitement allégé du « mauvais objet » qu’il était devenu à ses propres yeux. Le curseur peut filer très loin : joie simple, jubilation, griserie, insomnie, état second, exaltation, logorrhée, hypomanie, sentiment de grandeur, fuite des idées, manie. Deuxième phase : une fois que la vie normale a repris son cours, il y a déflation, éventuellement jusqu’à la dépression sévère-la même qui s’observe parfois quand la femme enceinte, ayant accouché, se sent délestée du « bon objet » qu’elle portait.
Non. Après l’âge de 25 ans, votre personnalité est fixée. Mais si vous souffrez d’une « position mélancolique », c’est-à-dire d’une identification inconsciente au déchet, être otage la renforcera ou la rendra manifeste. En revanche, qui jouit d’une identification narcissique positive s’accroche mieux à la vie. C’est manifestement le cas d’Ingrid.
En se rendant en zone dangereuse, elle avait pris le risque d’être enlevée. Elle dit ne pas le regretter.
Au moment de sa capture, elle aspirait à être présidente de la Colombie, alors qu’elle pesait 1 % des voix. Six années de calvaire ont fait d’elle une superstar, l’égale de tous les présidents, l’idole des foules, et le pape attend sa visite. Ce qu’elle cherchait vainement, elle l’a enfin trouvé. Bingo ! Elle coïncide merveilleusement avec son « moi idéal ». D’où son extraordinaire aplomb.
La foi qu’elle affiche désormais a-t-elle été pour elle une bouée de sauvetage ?
Pourquoi pas ? Ce qui est sûr, c’est que, depuis sa libération, elle se déclare miraculée, l’objet d’une attention spéciale de la Vierge Marie.
Pouvant écouter la radio tous les jours, elle suivait la mobilisation de l’opinion. Cela a-t-il pu l’aider ?
Sans nul doute. Ses ravisseurs lui ont fait là une fleur. Elle était la pourriture de la forêt, mais aussi la femme qui manquait au monde entier.
Pourra-t-elle effacer de sa mémoire le souvenir de cette épreuve ?
Non. Mais le meilleur argument de campagne de John McCain, ce sont ses six années héroïques de captivité à Hanoi. Il en sera de même, le moment venu, pour Ingrid Betancourt
Jacques-Alain Miller: El rehén es una «moneda viviente». Por regla general, su liberación obedece a una lógica maníaco depresiva. Primera fase: inflación del yo, súbitamente aliviado del “objeto malo” en que se había convertido ante sus propios ojos. El cursor puede llegar más lejos: simple alegría, júbilo, tristeza, insomnio, estado segundo, exaltación, logorrea, hipomanía, sentimiento de grandeza, fuga de ideas, manía. Segunda fase: una vez que la vida normal retoma su curso, hay deflación, eventualmente hasta la depresión severa – la misma que se observa en ocasiones cuando la mujer embarazada, habiendo dado a luz, se siente vaciada del “objeto bueno” que llevaba.
No. Después de los 25 años, su personalidad está fijada. Pero si usted sufre de una “posición melancólica”, es decir de una identificación inconciente al desecho, ser rehén la reforzará o la volverá manifiesta. Por el contrario, el que goza de una identificación narcisista se adhiere mejor a la vida. Es manifiestamente el caso de Ingrid..
En el momento de su captura, aspiraba a ser presidente de Colombia, en ese momento tenía un 1% de intención de voto. Seis años de calvario hicieron de ella una superstar, una igual de todos los presidentes, el ídolo de las multitudes, y el papa espera su visita. Lo que buscaba vanamente, finalmente lo encontró. ¡Bingo! Coincide maravillosamente con su « yo ideal ». De allí su extraordinario aplomo.
¿Porqué no ? Lo que es seguro, es que luego de su liberación, ella se declara objeto de un milagro, el objeto de una atención especial de la Virgen María.
Sin ninguna duda. Sus captores le hicieron con ello un favor. Ella era la podredumbre del bosque, pero también la mujer que faltaba al mundo entero.
No. Pero el mejor argumento de campaña de John McCain, son sus seis años heroicos de cautiverio en Hanoi. Ocurrirá lo mismo, llegado el momento, con Ingrid Betancourt.
Traducción : Silvia Baudini
“Six years of calvary made of her a superstar”
Le Point: How to explain the apparent moral force of Ingrid after its years of captivity?
Can six years of detention into extreme conditions change the personality?
No. After age 25, personality is fixed. But if you suffer from a “melancholic position”, that is to say, from an unconscious identification to the remainder (left over), being a hostage will reinforce her or make her obvious. On the other hand, who enjoys from a narcissistic identification hangs on better to life. It is manifestly the case of Ingrid.
By going to the danger area, she had taken the risk of being kidnapped. She does not regret it.
At the time of her capture, she longed to be president of Colombia, while she weighed 1 % of votes. Six years of calvary made her a superstar, the same as all the presidents, idol of the multitudes (crowds), and the Pope waits for its visit. For what she looked vainly, she finally found it. Bingo! She coincides wonderfully with her “ideal ego”. Here her extraordinary seriousness.
The faith which she declares from this has been for her a salvation table?
Why not? What is sure, is that since her liberation, she declares herself miraculously cured, the object of a special attention from Virgin Mary.
As she could listen to the radio every day, she followed the mobilization of the opinion. Was it able to help her?
No doubt. Her kidnappers did a favor to her (made her a flower there). She was the decay of the forest, but also the woman whom the entire world missed.
Will she be able to erase of its memory the memory of this test?
No. But the best argument of John McCain´s campaign, is his six heroic years of captivity in Hanoi. It will be the same, when the time comes, with Ingrid Betancourt.
Interview by Christophe Labbé
Translation: AAdelaR