From L’Hebdo-blog
L’Hebdo-Blog : « Clinique de l’École », est le sous-titre de la journée. C’est équivoque n’est-ce pas ?
Laurent Dupont : « Question d’École » contient déjà cette équivoque, qui questionne qui ? Et quoi ? C’est devenu un rendez-vous incontournable pour tous ceux qui veulent savoir comment l’ECF questionne, le monde, le maître, la clinique, mais aussi comment l’École est questionnée par « la subjectivité de son époque »[1]… Pour ce questionnement nous nous appuyons sur l’enseignement de Freud, de Lacan, et sur l’orientation lacanienne dispensée par Jacques-Alain Miller. Le titre « Puissance de la parole » a une portée clinique. Les prises de parole, d’Adèle Haenel, de Vanessa Springora, de Christine Angot, beaucoup d’autres aussi, Paul B. Preciado aux J49 par exemple, montrent que la démonstration n’est plus à faire, ce sont, d’une certaine manière des enfants de la psychanalyse, ils croient en la parole, en sa puissance. Que l’on soit d’accord ou pas. D’ailleurs beaucoup de ceux qui essaient de porter cette parole ont fait une analyse. Alors, le sous-titre fait résonner la dimension d’interprétation que contient la parole, interpréter le temps présent, se faire interpréter par ces paroles qui se prennent et se lancent à dire en un témoignage. Une École aussi vivante que la nôtre ne peut laisser passer cette chance.
L’H.-B. : Le titre dit « puissance de la parole » et non « pouvoir de la parole ». Quelle nuance à votre avis ?
L.D. : « puissance de la parole » est une citation du cours de J.-A. Miller de 2011 [2], c’est une bascule. C’est le point ultime de l’effet de sens, de vérité. Parole qui a un effet « créationniste »[3] dit J.-A. Miller. Effet de transformation, il y a un avant et un après pour le sujet, c’est le côté révélation à soi-même de l’analyse freudienne, levée du refoulé. Mais cette puissance de la parole s’oppose à l’humilité devant la jouissance, cela implique pour l’analyste de « se faire humble ». Là, c’est la lecture du sinthome, le silence de la lecture. C’est le corps en tant que marqué, tracé par la rencontre initiale, traumatique avec le signifiant tout seul. Bascule donc, que devient l’interprétation à ce moment pour qu’elle puisse mener le sujet vers la reconnaissance de ce qui ne se transforme pas, de ce qui se répète sans cesse, de ce qui ne peut que se constater ? Les témoignages des AE peuvent rendre compte à la fois de ce qui a fait effet de transformation, de révélation à eux-mêmes, mais aussi de ces moments où le sens est lâché et quelque chose se dévoile, peut se ça-voir.
L’H.-B. : L’analyste ne se situe pas du côté de l’élucubration, il opère comme un « rhéteur »[4]c’est-à-dire quelqu’un qui sait y faire avec l’art oratoire. En quoi cette nuance concerne-t-elle la puissance de la parole ?
L.D. : Cela concerne au plus près l’interprétation. N’oublions jamais que l’interprétation est du côté de l’analysant, c’est lui qui, dans l’après-coup, fera entendre l’effet de vérité obtenu ou pas. La question n’est pas de se dire qu’il ne faut plus avoir recours à cet exercice de parole sur fond de silence ou de rareté. Il ne s’agit pas de dire qu’un mode d’interprétation serait supérieur aux autres, à ce titre le dernier Lacan n’annule pas les autres Lacan. Il faut souvent en passer par une longue analyse au nom du sens, de la vérité, de l’élaboration pour entrevoir ce qui est là, au-delà de l’être.
L’H.-B. : Surprise côté analysant, humilité côté analyste. Quelles distinctions opère cette répartition ?
L.D. : Il est intéressant de constater que la surprise précède l’effet de vérité. C’est un peu comme l’analyse d’un rêve, le rêve nous surprend, il arrive crypté et dans l’analyse il peut y avoir un effet de vérité. Et, en même temps ou quelques années plus tard, le même rêve livre un autre aspect dans l’interprétation que l’on en donne, il est détaché du sens mais témoigne de quelque chose de singulier, indice du réel, propose J.-A. Miller. Le mot même d’effet, celui également de surprise, laissent entendre que le corps n’est pas absent dès le départ. Ce corps que l’on amène en analyse n’est pas sans effet dès le départ, mais c’est la fin qui témoigne de ce « c’est ça » du corps.
L’H.-B. : Il y a un fil tendu entre l’analyse et le contrôle. Ce fil s’allonge, se raccourcit, voire s’enroule à différents moments, en fonction de l’éprouvé de l’indice du réel dans sa cure. Que dire de ce fil parfois très visible parfois imperceptible ?
L.D. : Le contrôle et l’analyse, ce n’est pas la même chose. Mais il peut y avoir des effets d’analyse dans le contrôle et des effets d’enseignements dans l’analyse. C’est un peu une bande de Moebius. En fait, Lacan a vraiment démontré que l’analyste n’est pas un notable de sa pratique. Toujours en devenir, dit J.-A. Miller [5]. Le plus grand danger pour la psychanalyse serait de se croire analyste, de se prendre pour un analyste. Le contrôle, l’analyse, le cartel également dans sa valeur de transformation du savoir exposé, sont autant de moyens de ne pas s’endormir. Parfois il faut une parole puissante pour nous réveiller, ce peut être aussi un cri, un silence, un bougé de l’analyste, du contrôleur, du plus-un… Il n’y a aucune équivalence entre analyse, contrôle ou cartel, le but est de nous empêcher de nous endormir, et de nous permettre d’avoir une pratique vivante.
« Question d’École » a toujours eu ce rôle également, aiguillon visant à nous maintenir toujours sur la brèche de notre désir singulier.
*Le Tableau est de John Everett Millais: Speak, Speak! 1895
[1] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
[2]Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul » enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 11 mai 2011, inédit.
[3] Ibid.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 15 novembre 1977, inédit.
[5] Cf. Miller J.-A., « Présentation du thème des Journées de l’ECF 2009 : comment on devient psychanalyste à l’orée du XXIème siècle », La Lettre mensuelle, n°279, juin 2009, p. 4.