LES QUATRE ARGUMENTS
PART. 1
PAR LAURENT DUPONT
Attentat sexuel, l’expression vient de Freud. Citons ce passage, il s’agit d’Emma : « À l’âge de huit ans, elle était entrée deux fois dans la boutique d’un épicier pour y acheter des friandises et le marchand avait porté la main, à tra- vers l’étoffe de sa robe, sur ses organes génitaux. Malgré ce premier incident, elle était retournée dans la boutique, puis cessa d’y aller. Par la suite, elle se repro- cha d’être revenue chez ce marchand, comme si elle avait voulu provoquer un nouvel attentat.1 » Freud emploie le mot d’attentat2 pour nommer la violence et la déflagration de ce qui vient s’inscrire dans le corps du sujet confronté à l’irrup- tion du sexuel comme rencontre trauma- tique. Le corps en est marqué. Dans le cas d’Emma, des années plus tard, c’est par une inhibition, trace dans le corps du sujet de l’attentat premier. L’inhibition est donc réponse de l’attentat. Mais où se situe vraiment ce qui fait attentat ? La phrase citée de Freud montre aussi qu’il y a un élément de reproche du su- jet adressé à lui-même, l’attentat n’est pas seulement attribué à l’autre, mais le sujet se situe lui-même au cœur d’un conflit psychique dont Freud va tenter d’extraire les enjeux de traumatisme. Nous avons là les prémisses de ce que Freud développera plus tard, au-delà de la théorie de la séduction, c’est le sexuel en lui-même qui est un attentat, qui est traumatique de n’être inscrit nulle part dans l’être humain comme instinct.
C’est ce que Lacan épinglera de son aphorisme qui fit scandale : Il n’y a pas de rapport sexuel, soit que la rencontre sexuelle est toujours traumatique. Lacan, dans une réponse ferme à Françoise Dolto, en donne une définition lapidaire : « le fait copulatoire de l’introduction de la sexualité est traumatisant […] La mau- vaise rencontre centrale est au niveau du sexuel.3 » Il parlera, dans Télévision, de « malédiction sur le sexe4 », que nous pouvons entendre comme « mal est dic- tion sur le sexe ». Cette non-rencontre, on ne peut que la dire mal. La conséquence de cette mal est diction, c’est qu’il n’y a pas d’articulation signifiante qui puisse dire le rapport sexuel. De ce trauma fondamental, que Lacan nommera trou- matisme, s’en déduit toute la ribambelle des trouvailles de l’inconscient d’un sujet pour tenter de faire exister ce qu’il n’y a pas et dont l’un d’eux, le fantasme, est ce qui permettra à Lacan de penser la fin de l’analyse. Le fantasme permet de faire le pari que, si de l’attentat sexuel on ne peut rien articuler, de la traversée du fantasme on peut en témoigner, en dire quelque chose.
Bien sûr qu’il y a une sexualité infan- tile, cela n’est plus à démontrer, elle est prise dans la dimension de fantasme de l’enfant. Mais la main de l’adulte se posant sur l’enfant, en brisant le tabou, vient aussi déchirer le voile du fantasme ou, pour le moins, opérer une violence du dévoilement. Ce qui se dévoile, comme pour Emma de Freud, c’est la jouissance sexuelle sans frein de l’autre qui révèle ce qui de la nôtre restait voilé. De cela, Vanessa Springora, Adèle Haenel et d’autres ont témoigné avec rigueur.
Faisons le pari que nos Journées, les 50es, quarante ans après la création de l’École de la Cause freudienne, trouveront à bien dire ce qui de la rencontre avec le sexuel fait effraction, traumatisme pour chacun, le plus souvent sous le voile du fantasme, là où, pour d’autres, c’est jus- tement dans l’arrachage du voile que la rencontre sexuelle se fait attentat.
1. Freud S., « Lettre à Fliess du 25 septembre 1895 », Naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 2002, p. 365. Les « Lettres à Wilhem Fliess » sont publiées par Marie Bonaparte, Anna Freud, Ernst Kris.
2. Freud, dans l’édition allemande, écrit : Attentate.
3. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964), édité par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 62.
4. Lacan J., Télévision, Paris, Seuil,1976, p. 50.