(ou Notes de psychanalyse, sexe et politique, première partie)*
Qu’est-ce que le phallocentrisme ? Quel est son rapport au phallus ? Et déjà est-ce que l’on serait bien d’accord sur ce qu’on appelle phallus ? Et pourquoi parle-t-on de la chute du patriarcat et du phallocentrisme si partout il y a de plus en plus de gens qui assurent leur pouvoir par la force des muscles ? Freud, est-il phallocentrique ? Lacan aussi ?
Assumons qu’une programmation, génétique ou bien culturelle, définit le possible et l’impossible de notre plaisir. Cela ne signifie pas pour autant qu’une identité de genre fixe y soit également définie. C’est précisément le point autour duquel tourne le débat sur le prétendu phallocentrisme freudien, soutenu surtout par des faits de méconnaissance. Freud a décrit de quelle façon était organisé à son époque le sexuel, soulignant le rôle du phallus à la base des identités standards de son temps. Cela revenait surtout à indiquer comment une analyse prenait ses assises justement de l’échec de cette identification et travaillait à son insu. On a compris, au contraire, que Freud en faisait l’apologie et prônait la restauration de l’identité phallique.
Je voudrais reprendre les axes du débat dans ses éléments conceptuels sous forme de propositions affirmatives. Malgré leur apparence dogmatique, prenez-les plutôt comme les points les plus saillants de la discussion. Vous verrez que la liste veut avant tout indiquer surtout que la psychanalyse ex-siste à ce débat, étant donné qu’elle poursuit son mode de traitement du réel dans un régime phallocentrique ou non.
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Le phallus est une image de complétude
Une partie du corps qui de temps en temps se raidit et fait plaisir est choisie. Ensuite on fixe cet organe en son érection. Le pénis, extrait de la nature du corps, sera ainsi placé sous cette forme dans des totems, des statues etc. Il devient le phallus. La vie qui éventuellement ébranlait cet organe sera dorénavant éternisée et totalisée. C’est le phallus du corps des dieux, éternellement érigé, imaginaire. Soyons clairs : le phallus n’a jamais été le pénis, c’est juste le pénis « à la perfection ».
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Le phallus est un opérateur négatif
Freud a souligné combien l’idée d’un phallus en érection en permanence a un effet paradoxal sur ceux qui y croient. Les organes de la réalité quotidienne, qui ne sont jamais tout le temps dans cet état, seront marqués par une faute. Freud l’a appelé castration et Lacan l’a formalisé comme une loi générale de négativité. La castration n’a rien à voir avec la mutilation, mais avec le fait qu’on n’est jamais infaillible (comme, par exemple, dans les films pornographiques). La croyance en l’existence du phallus imaginaire a un effet sur tous les corps mortels qui assument cette prémisse, laquelle devient ainsi un index négatif, signe du désir. C’est ce que Lacan développe dans son Séminaire 10 à propos de la tumescence et de la détumescence de l’organe.
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Le phallus est par nature ambigu
Toute puissance ou marque du négatif ? Phallus imaginaire ou symbolique ? Le phallus est-il pouvoir de prestance ou bien signifiant du manque, du désir ? Il est étonnant de constater que tout le monde n’a d’yeux que pour le premier aspect du phallus, mais en réalité, ils sont inséparables. Il a fallu que Freud, puis Lacan, viennent élucider ce deuxième rôle phallique, de négativisation de la jouissance (ce qui ne veut pas dire qu’ils l’ont promu comme droit chemin de la sexualité humaine).
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Le phallus est un opérateur de partage
La croyance au phallus imaginaire distribue encore cette négativité de manière binaire. Certains croiront l’avoir dans le corps, à portée de la main. Ils seront les masculins. Ce n’est pas aussi bien que ça peut en avoir l’air. Ceux-ci, plus que quiconque, sentiront que quelque chose ne tourne pas rond. Contrairement au phallus des dieux, les leurs sont généralement flasques et seulement occasionnellement debout, de sorte qu’ils seront hantés à jamais par la peur de l’échec. D’autres, de croire qu’ils ne l’ont pas, que cette petite chose qui fait leur bonheur masturbatoire enfantin était une erreur, auront besoin, pour jouir, de passer par l’entremise d’un autre corps. Cet autre mode, plus explicite, de négativité phallique dans le corps les conduira toutefois à un plaisir beaucoup moins limité, le cas échéant. Sans craindre de perdre ce qu’ils n’ont pas, ces êtres seront plus intensément « tout ou rien ». Ils seront dits femmes. Le phallus (dans son aspect symbolique et logique) est un distributeur de la négativité de manière complémentaire.
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Le falocentrisme suppose que seul le pénis peut être le phallus.
Seuls ceux qui ont un pénis peuvent être des hommes ? Seulement ils peuvent-ils être reconnus par cette combinaison d’action et de lâcheté qui caractériserait la masculinité ? Freud a dit que non. Il suffit d’être sûr que l’on a du plaisir toujours sous la main, grâce à un ensemble complexe d’identifications et d’interdictions qu’il a appelé complexes de castration et d’Œdipe, pour se vivre dans son corps à la mode masculine. Il en va de même pour les êtres qui s’identifieront comme des femmes, même s’ils ont un pénis, puisque l’orientation sexuelle n’est pas définie par rapport à l’organe, mais à la prémisse phallique. Une société se stabilise fermement par ce binarisme phallique qui, comme dit Lacan, est un modèle adaptatif pour le développement de l’espèce. Cela parce que cette distribution binaire fonctionne comme l’anecdote de l’hôtesse de l’air qui propose à un passager le diner. Il lui demande « quelles sont mes options ? » Et elle répond « oui ou non ». Cela a l’air bête, c’est vrai, mais pour cette raison même, c’est stable.
Le problème n’est pas là, mais se présente quand on prend ces deux identités comme naturelles et universelles, comme s’il ne pouvait exister d’autres possibilités de satisfaction en dehors du binarisme œdipien, sauf en termes de pathologie ou de déviation. C’est le centre de l’équation phallocentrique, la superposition du pénis et le phallus dans une seule et même entité, garantie par l’évocation d’une nature divine, de la biologie ou de la bible. Il serait dans la nature de l’homme d’avoir un accès direct au pouvoir et à la jouissance. Dans l’autre côté, il serait le propre de la femme, d’en avoir un accès indirect. Et il serait de la nature des choses qu’il n’existe que ces deux types de formes de vie sexuelle, masculine et féminine.
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La princesse – Louise Bougeois