L’attentat sexuel hante les premiers pas de la découverte de Freud. À la recherche d’une cause pouvant rendre compte des symptômes – d’abord hystériques -, ses lettres à Fliess et ses premiers écrits dressent le constat que quelque chose cloche dans la sexualité des êtres parlants : impuissance, éjaculation précoce, frigidité s’inscrivent déjà dans des portraits de patients qui lui parlent. Remontant le fil de la causalité des symptômes, Freud ne trouve, pourtant, que souvenir venant en remplacer un autre, scène se substituant à une autre scène, formant autant de chaînes signifiantes qui mènent invariablement en un domaine où sexualité et traumatisme forment un noeud tenant lieu d’un réel. Il en déduit une causalité inédite où quelque chose attente à la constitution subjective de l’être parlant qui se trouve impliqué, à son corps défendant, par l’intrusion de l’Autre, « de son savoir, de son désir et de sa jouissance1 ». Le corps, justement, en est durablement marqué d’un trop d’excitation sexuelle insensé qui exile le sujet dans une sexualité toujours symptomatique. Comment la psychanalyse opère sur cette « implication » ? Ses Trois essais sur la théorie sexuelle explorent la manière dont hommes et femmes, à égalité au regard de l’instance d’une sexualité ne relevant déjà plus de la biologie, sont le siège d’une activité sexuelle guidée par l’impératif de la pulsion, n’incluant pas l’Autre sexué. Lacan éclaire les montages baroques de la pulsion, mixe d’imaginaire et de symbolique, et la part qui y échappe, trouant la rencontre sexuelle de son aphorisme : il n’y a pas de rapport sexuel. Oui, mais il y a cette jouissance, absolue, hors-corps et qui vous harcèle : demandant ses droits, elle confine à la solitude et fait obstacle à la sexualité. L’être parlant se trouve pris entre l’insistance pulsionnelle et ce qui le pousse au oui et au non dans son rapport à l’Autre. D’où la subtile interrogation de Vanessa Springora sur la question du consentement2 qui éclaire ce non-lieu de la rencontre amoureuse où tentent de se nouer corps jouissant et langage, par les voies du désir et de l’amour. Quels sont ces nouages ? Et quand le noeud se défait, quelles en sont les conséquences ? L’attentat sexuel se loge dans cette zone où s’inventent les rencontres en lieu et place des non-rapports : non-rapport sexuel et non-rapport de parole. C’est aussi l’endroit où les femmes et les hommes sont engagés dans des liaisons inconscientes sans garantie. Le sexuel n’y est qu’un horizon, où un homme ne jouit pas du corps d’une femme, mais uniquement de son propre corps, où une femme, au nom d’un vouloir être aimée parfois ravageant, se prête à la sexualité de son partenaire, où le mot qui blesse n’est jamais loin. Les questions actuelles des mouvements féministes – #metoo compris sur les violences faites aux femmes, sur la dénonciation d’une « culture du viol » par exemple, s’adressent aux hommes et sont à explorer. Car l’orientation lacanienne peut s’en faire la destinataire. En 1969, Lacan donne une indication qui peut nous y guider : « Que toute la théorie de l’analyse, dit-on quelquefois, se développe dans une filière androcentrique, ce n’est certes pas la faute des hommes, comme on le croit. En particulier, ce n’est pas parce qu’ils dominent. C’est parce qu’ils ont perdu les pédales. À partir de ce moment-là, il n’y a plus que les femmes, et spécialement les femmes hystériques, qui y comprennent quelque chose.3 » À partir de l’expérience analytique, qu’est-ce que les femmes ont, en effet, à nous apprendre sur le sexe ; quelle est l’actualité des hommes en analyse, de leurs conditions de désir que Freud épingla en son temps comme névrotiques, et des destins de celles-ci au décours et à la fin d’une analyse ?
1. Miller J.-A., « L’enfant et le savoir », Peurs d’enfants,
Paris, Navarin, coll. La petite Girafe, 2011, p. 18-19.
2. Springora V., Le consentement, Paris, Grasset, 2020.
3. Lacan J., Le Séminaire, livre xvi, D’un Autre à l’autre,
Paris, Seuil, 2006, p. 212.