le mardi 8 décembre 2009, édition de 18h 05 N° 68
FLORY KRUGER-JA MILLER extrait d’une correspondance
de flory, 29 novembre, 13 : 15 Il ne fait pas de doute qu’ouvrir le Congrès de 2010 à Paris aux non-membres représente un changement radical. Comment pourrais-je ne pas me souvenir de la Rencontre internationale de l’an 2000 à Buenos Aires, à l’hôtel Sheraton ? C’était moi la responsable de l’organisation, et en quelques heures, nous dûmes trouver comment élever une paroi de séparation le jour du Congrès : dedans, les membres ; derrière le mur, le Sheraton, où ça chauffait… À seulement l’évoquer, j’en suis encore émue. Chacun s’en fut avec une clef symbolisant l’entrée dans l’École Une, pendant qu’un chœur interprétait Nabucco. Tu t’en souviens ? Pour moi, cela reste un événement inoubliable. Aujourd’hui, c’est le contraire. Nous assistons à la chute du mur, du nôtre, de celui de l’AMP. Les temps ont changé, et c’est toi, dans ta solitude, qui enregistre les changements, et donne l’orientation à suivre. Nous t’accompagnons, élevant des murs quand c’est nécessaire, les détruisant quand il le faut, parce que depuis près de 20 ans, les faits nous ont démontré que c’est la meilleure façon de défendre la psychanalyse dans le monde, et que là est l’enjeu le plus important
de jacques-alain, 30 novembre, 22 : 09 En 2000, il était urgent de donner à l’AMP son identité propre après vingt ans de Rencontres internationales. C’est au feu de ces Rencontres que s’était forgée l’EOL, et, de plus, l’AMP et l’EBP. Mais cette période, à se prolonger indûment, aurait conduit à la confusion g : il fallait couper. Depuis dix ans, nous sommes entre nous dans l’AMP. Nous avons conquis notre identité. Désormais, elle nous emprisonne, nous. On croirait que l’AMP est devenue un syndicat de co-propriétaires. Donc, nouveau renversement didactique : ouvrir, non pas totalement, mais assez pour donner une perspective aux jeunes, et aussi pour rénover le style et les manières de nos échanges, qui ont pris dernièrement un sérieux coup de vieux. Diriger demande de prendre en compte le facteur temporel. Aucun règlement n’est valable pour toujours. Il produit d’abord les effets positifs qui ont motivé sa promulgation ; puis, après un temps Tx, viennent les effets négatifs. L’ouverture devient chaos, la rigueur se fait mortifère. Donc, il ne faut pas penser que « Miller change d’opinion comme de chemise, un jour il ferme, un jour il ouvre ». Les chers collègues qui disent ça oublient que le temps, je veux dire la durée, modifie l’effet des procédures. Quand les responsables y sont attentifs, ils peuvent faire évoluer les choses en douceur. S’ils ne s’en soucient pas, et laissent filer les choses, les changements interviennent tout de même, mais brusquement. À mon avis, il convient de donner au Congrès 2010 la valeur d’une refondation. Traduit de l’espagnol par JAM ; publié avec l’accord de F. Kruger
VARIA SUR LA PASSE (2) Michel Dewarde, Je suis rentré dans mon trou Sonia Chiriaco, La passe. Des après-coup, encore Elisabeth Leclerc-Razavet, Passeur/passant Marie-Claude Sureau, Le passeur et le contrôle Marie-Agnès Macaire-Ochoa, Petit témoignage de passeur Françoise Labridy, Ceci n’est pas un AE, cela est un passant Valentine Dechambre, Vitalité Caroline Pauthe-Leduc, Ce qui ne cesse pas de ne pas Dominique Miller, La passe : de la solennité à la simplicité * LETTRES ET MESSAGES Monique Liart, Réponse à Jacques-Alain Miller Jacques-Alain Miller, Persévérer dans l’échec * COURRIER DE RENNES
JE SUIS RENTRÉ DANS MON TROU par Michel Dewarde
Je suis rentré dans mon trou. Lorsque j’ai fait la passe, après avoir été admis à entrer dans l’École, j’ai demandé à rencontrer le plus-un du cartel de la passe. Une question m’est venu : pourquoi pas AE ? La réponse a été immédiate : « Mais on ne vous connaît pas. » Quelques jours plus tard, j’envoie un texte sur disquette : c’était mon témoignage sur la passe. Je n’ai jamais eu de réponse, ni d’accusé de réception. Je suis resté dans mon trou, cela avait eu un effet de fermeture. Il y avait les Maîtres, et il y avait les autres. Les Journées d’Automne ont permis, me semble-t-il, de débusquer ces autres. C’est le côté formidable de ces Journées.
LA PASSE. DES APRÈS-COUP, ENCORE par Sonia Chiriaco
Les Journées de Novembre m’ont interprétée. D’abord par le couple signifiant, « AE invisible », dont Jacques-Alain Miller m’avait affublée quelques jours plus tôt. Invisible, c’est cela que j’avais décidé de ne plus être en faisant la passe, il y a bientôt six ans. La réponse du Cartel avait alors sonné comme un « retourne dans ta cachette ». Après mon exposé aux Journées de Novembre, des collègues m’ont demandé pourquoi je ne m’étais pas battue à l’époque, seconde interprétation. La réponse du Cartel m’avait coupé les ailes. Elles ont pris du temps pour repousser. C’est fait.
PASSEUR/PASSANT par Elisabeth Leclerc-Razavet
J’ai été frappée de lire de façon répétée, chez les passeurs, combien cette désignation avait pu avoir d’effets pour eux. C’est bien la première fois qu’on entend parler de cela, avec cette mise en série. La façon dont Philippe La Sagna décline si précisément les signifiants introduits par Lacan dans son texte sur la passe, dans le JJ n°64, me fait intervenir dans le débat actuel. Il parle, et du passeur, et du passant, en faisant une mise en perspective très intéressante. Car au fond, pour qu’il y ait rencontre, il est nécessaire que chacun soit à sa place : le passeur « est » la passe (« moment originel qu’il incarne », dit PLS, actif mais clos), ce qui signifie qu’il n’a rien à en dire car il ne peut rien en dire. C’est uniquement à cette condition qu’il peut « recevoir » le témoignage du passant, qui, lui, a quelque chose à en dire. « Le passeur est celui en qui est présent le désêtre qui a frappé l’analyste dans la cure » (PLS). Ça veut dire quoi ? (Beaucoup de passeurs dans le JJ parlent de désorientation.) Cette formulation mérite vraiment qu’on s’y arrête. Le passant, lui, est censé être au-delà. Il a fait un franchissement : il a choisi d’endosser lui-même la fonction du désêtre (passage à l’analyste). De ce franchissement, quelque chose le pousse à transmettre. Est-ce que les Cartels de la Passe recueillent de tels témoignages ? Voici maintenant quelques réflexions, en tant qu’ex passante et analyste, à partir du texte de Ph. La Sagna : – Si le passeur est passeur trop longtemps, il y a tous les risques qu’il soit « au-delà » d’être la passe… et qu’il ait, lui aussi, envie de témoigner (peut-être même « mieux » – imaginairement – que le passant qu’il écoute). – Concernant l’analysant, ce qui est en jeu, c’est le moment où il va s’engager dans le dispositif. Est-ce toujours si simple de dégager le franchissement, juste avant le franchissement, trop près du franchissement… et j’en passe. « Désêtre », « destitution », « surcroît d’être », sont des signifiants que Lacan nous donne pour nous repérer. Car la question qui reste bien énigmatique, c’est : qu’est-ce qui pousse un analysant à faire la passe, c’est-à-dire à aller témoigner, au-dehors de la cure ? Ma question porte sur le « pousse ». « Être la passe » ne protège pas forcément du « pousse à témoigner ». Le passeur, quand il est désigné, est « protégé » de cette démarche d’aller, trop tôt, comme passant dans le dispositif (certes, il n’est pas à l’abri de ce qui va lui tomber dessus ! cf. les JJ). Alors, les analystes (des passeurs et des passants) dans cette affaire ? Ce serait bien de les entendre aussi : – Sur leur témoignage du repérage clinique, dans la cure, entre le temps du passeur et le moment où le passant s’engage dans la procédure. – L’analyste doit-il toujours rester silencieux quand un analysant lui dit qu’il veut faire la passe ? – Visiblement une désignation comme passeur a des effets dans une cure (elle circonscrit ce temps « d’être la passe »). Ne pourrait-elle pas pondérer une précipitation dans le dispositif ?
LE PASSEUR ET LE CONTRÔLE OU LE CONTRÔLE DU PASSEUR par Marie-Claude Sureau
Le passeur est un analysant, j’ai fais état dans le texte proposé pour les Journées d’automne du moment de désignation comme passeur et de l’effet dans mon analyse : Suite à un rêve déterminant pour la cure la désignation comme passeur a été un moment de voir sur ma problématique fantasmatique. Si le passeur est un analysant c’est qu’il va parler de ce qui lui importe à son analyste, et donc l’expérience qu’il fait avec les passants peut venir dans les séances du passeur. Je voudrai ajouter que le passeur peut aussi faire un contrôle sur sa pratique de passeur avant d’aller porter le témoignage du passant devant le cartel de la passe. C’est en tous cas ce qu’il m’est arrivé de faire pour certains témoignages, souvent parce qu’ils me laissaient dans l’embarras, je ne m’y repérais pas très bien. J’ai alors en présentant ce qui m’avait été transmis du me détacher de mes notes pour aller à l’essentiel, et souvent m’apercevoir que je n’avais pas posé certaines questions au passant, qu’il restait certaines imprécisions aussi et le contrôle m’a alors permis de continuer dans les entretiens avec les passants et d’aller plus avant dans les questions, d’oser certaines questions, de demander des précisions, de relire autrement mes notes. Cela m’a toujours permis de mieux ordonner la transmission. Je m’aperçois que je n’ai pas fait de contrôle pour les deux passants que j’ai écouté et qui ont été nommés AE, leur témoignage était précis et le travail du passeur relativement facile car structuré par le passant lui-même. Cela peut ne pas intéresser de savoir comment le passeur fait sa sauce, comment il se débrouille avec ses notes, comment il s’organise. Il me semble au fond que le contrôle est dans notre champ un outil au plus près de l’acte analytique et qu’on peut s’en servir au plus intime du travail de la passe de cette façon, je ne pense qu’il soit à imposer ni conseiller mais en tous cas il est possible, et la responsabilité du passeur dans le dispositif est telle que contrôler la position du passeur c’est-à-dire ce qu’il a entendu du témoignage, donne chance au passant d’une acuité plus grande dans la transmission faite au cartel de la passe, c’est plus qu’une répétition générale avant la présentation de la transmission du passant, c’est une façon de viser à saisir et bien dire l’os de la transmission.
PETIT TÉMOIGNAGE DE PASSEUR par Marie-Agnès Macaire-Ochoa
Je fus passeur en 1999-2002, années qui ont suivi le Congrès de Barcelone et la scission de l’ECF. J’ai entendu 5 passants, et témoigné auprès des cartels pour 4, l’un d’eux n’ayant pas été au bout du témoignage. Il me semblait à l’époque que la fonction de passeur était essentiellement celle d’une transmission. Mais de quelle transmission s’agissait-il ? Je venais de faire la passe et était entrée à l’École par la passe. Je ne savais pas ce qu’avaient transmis mes passeurs, mais je savais quel était le point d’impasse que le cartel avait relevé et qu’il m’avait indiqué par l’intermédiaire du plus-un. Transmettre au plus près des signifiants du passant est devenu ma mission. J’ai vécu ce que relève Esthela Solano dans son texte des JJ n°60, c’est-à-dire d’être « habitée par l’anxiété de devoir faire passer en peu de temps une quantité considérable de rêves, de dates, du roman familial, de la complexité des parcours » etc. Il fallait choisir, il fallait tirer un fil, il fallait trouver une logique, avec le risque énorme me semblait-il de me tromper, de ne pas faire consister ce qui convenait. Dans le fond, je voulais être une chambre d’enregistrement, et cela me paraissait totalement impossible. Il y avait un écart entre la chambre d’enregistrement et les mots que j’allais prononcer devant le cartel. Ces mots me faisaient peur, car ici plus qu’ailleurs ils devenaient « malentendus ». Jamais le langage ne m’est apparu autant truffé de malentendu. Pour rester au plus juste de la transmission, mon obsession fut d’utiliser les signifiants et seulement les signifiants du passant. Ceux-ci cependant gardaient leur charge de malentendu, ne serait-ce que, si par advertance, j’utilisais une tournure de phrase qui soit la mienne. Face à cela, une solitude totale. C’était l’expérience de « l’Autre qui manque ». J’ai eu envie de faire partager à mon analyste le travail, de lui demander des conseils. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas. Une séance d’analyse n’est pas un lieu de transmission d’une passe. Impossible de dire dans une séance d’analyse ce que le passant avait déposé. Je ne connaissais personne qui ait été nommé passeur et à qui parler. La question du secret me taraudait aussi. Ne fallait-il pas garder tout cela secret ? Il s’agissait de l’intimité d’une cure, et une grande discrétion à cet égard s’imposait. D’ailleurs, elle s’impose toujours. « L’Autre manque », ce texte de Lacan en 1980, débute par : « Je suis dans le travail de l’inconscient. » Dans ce texte que j’ai découvert bien après, Lacan indique qu’il n’y a pas de tout, pas de vérité, pas de signifiant qui fonde l’unité du réel. La transmission intégrale n’existe pas. Elle se fera par la voie de l’oreille du passeur. J’ai été très surprise la première fois que le cartel de la passe m’a demandé de donner mon avis. Évidemment, avec l’idée que je ne devais être qu’un instrument de passage, une plaque sensible, je ne pouvais avoir d’avis. Je n’ai pas donné d’avis sur le moment, mais j’ai demandé de revoir le cartel pour affiner mon témoignage, ce qui fut fait par lettre. Que veut dire « le passant est la passe » ? Lacan ajoute : un autre qui l’est encore. Encore, c’est-à-dire qui l’a été et qui peut par la suite ne plus l’être. Lacan spécifie cet autre en parlant de désêtre, de deuil, et de position dépressive. C’est, me semble-t-il, ce qui peut caractériser un moment de passe. Sorte de temps bref où l’Autre manque. Pour ma part, ce n’est pas ce qui m’avait poussé vers la passe ; par contre, c’est ce qui m’est arrivé à chaque témoignage de passe. L’Autre devenait un vide, et je devais agir seule. Pour Esthela Solano, si le passeur est la passe, il est supposé être habité par la passion de l’ignorance, une passion de l’ignorance qui fonctionne comme un tremplin pour en savoir plus. C’est se mettre en position de ne rien savoir pour laisser place à un nouveau savoir. L’ignorance, n’est donc pas ne rien vouloir savoir, comme on pourrait l’imaginer. Il me semble vraiment bienvenu de mettre toutes ces questions à l’ordre du jour, un peu plus à ciel ouvert, pour « désimaginariser » encore la passe et la fonction du passeur. CECI N’EST PAS UN AE, CELA EST UN PASSANT Faire école, à travers des désirs orientés par le réel par Françoise Labridy
Tirer un fil et devenir le funambule de son propre fil, en le tirant en permanence devant soi, tel est le chemin de l’après passe. Exercice instable, expérience curieuse, de laisser se déposer la parole des autres, dans le creux tracé par l’expérience de sa propre analyse. Elle origine un mouvement sans finalités autre que la cause à creuser pour celui qui en vous adressant sa parole, parle à un lieu en lui qu’il aura à ouvrir, repérer, cerner, puis desserrer pour lâcher ce par quoi il le comblait pour étouffer le plus intime de sa souffrance. Pourquoi est-ce sur l’enseignement de l’AE qu’on fixe sa fonction ? L’art se transmet, ne s’enseigne pas. Quelle est la différence ? Il se transmet dans un lien de maître à apprenti, il n’y a pas de savoir artistique séparable de l’acte de transmission par lequel le métier s’acquiert. Transmettre ce qui fait que ça se transmette par sa geste, son acte. Dans la psychanalyse, c’est l’acte d’un désir qui est à transmettre, constamment, incessamment, c’est le transfert à un inconnu, à une inconnue, avoir à se causer d’un désir contre la jouissance qui resurgit toujours et le recouvre. Le passant, c’est celui qui dans son ou ses expériences successives d’analyse s’est inventé un savoir-faire, qui a bricolé une solution, qui a trouvé quelques maniements spécifiques lui permettant de s’éloigner de la jouissance qui le contraint et qui en a trouvé apaisement, voire enjouement et enthousiasme : j’y arrive. Dans Leçons sur Tchouang-Tseu (p. 21-25), Jean-François Billeter relate l’expérience du Charon Pien qui possède « un tour que nous ne pouvons pas exprimer par des mots. Le langage peut jouer dans l’apprentissage pour l’aider à comprendre ses erreurs et en tirer des leçons… Je n’ai rien pu faire pour le transmettre à mes enfants parce qu’ils n’ont pas voulu faire le geste par eux-mêmes. C’est pourquoi, je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge. Il n’a ni successeur, ni maître, il n’est ni l’inventeur de ses outils, ni de sa technique, mais il a lui-même mis au point son geste : “entre force et douceur, la main trouve, l’esprit répond”. ». « J’y arrive », joie du geste efficace. Décider d’entrer dans la procédure de la passe, c’est choisir de ne pas rester seule dans cette subversion de la satisfaction, c’est la faire partager pour qu’un enseignement pour la psychanalyse et sa formation en soit tiré. C’est vouloir inscrire cette mutation subjective au compte de l’École, comme résultat. Cet écart désir/jouissance par le transfert à la langue, d’où chutera l’objet, reste à réitérer, grâce à ce que l’analysant a apprivoisé de ses formations de l’inconscient et dont il peut se servir comme d’une boite à outils, ou comme d’une palette de couleurs. Pour que le psychanalyste reste moderne, plutôt en prise sur ce que vivent ses contemporains, et que la psychanalyse témoigne de sa pertinence, il y a à saisir « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ». Qu’est-ce qu’il y a à nommer pour celui qui fait la passe, ne serait-ce pas la pertinence du passage, soit le repérage de la percée du désir en acte dans le retour de la jouissance, pour pouvoir s’en éloigner chaque fois qu’il se reproduira et ouvrir à ce nouvel écart par« la geste » ?
forums des psys L’ÉVALUATION, CULTURE DE MORT dimanche 7 février SUR LA JUSTICE dimanche 11 avril
VITALITÉ par Valentine Dechambre
Mon début dans l’analyse en 1995 fut marqué par la rencontre avec des AE, lors d’une journée Intercartels au Musée d’art contemporain de Saint-Étienne. Les témoignages de passe m’avaient enthousiasmée par leur dimension d’énonciation qui l’emportait sur la valeur de démonstration. Les AE faisaient part chacun dans un style incomparable d’une expérience bouleversante : une naissance, l’advenue par l’analyse d’un nouveau sujet. Le rapport à la lettre en rendait compte. Lettre vive, matérialité de l’écriture, l’analyse comme expérience de corps résonnait dans les textes d’AE. Portée par la petite flamme des témoignages d’AE, je me présentai une première fois à la passe après un rêve où je quittais la désolation, les limbes d’un deuil infini avec l’objet oral. Un analyste de l’École m’accueillit au secrétariat de la passe avec cette parole : «Ce que vous dites est convaincant. Il faudrait toutefois pour pouvoir entrer dans le dispositif vous présenter avec un DESS de psychologie.» Surprise. Je ne m’attendais pas à des conditions de cet ordre-là auxquelles j’avais bien du mal à me résoudre. Alors, la psycho, ce serait non. Je repris le chemin de la cure avec des rêves qui indiquaient que je n’en avais pas fini avec la chose crue, la tyrannie de l’objet. Quelques temps plus tard, c’était en 2003, je m’adressais de nouveau au cartel de la passe avec un witz, une interprétation de l’analyste qui faisait résonner le chant, l’importance de l’usage poétique de la langue. La rencontre avec l’analyste au secrétariat de la passe fut joyeuse, un souffle passait dans l’entretien. Pas d’exigence de diplôme de psychologue requis. Je rencontrais deux passeuses, deux dames soutenantes chez qui s’entendait le désir de transmettre ce que je présentais comme witz conclusif. Deux styles différents : une parlait peu, m’accueillit à son cabinet avec un cahier et s’appliqua à prendre en notes ce que je disais. J’avais un peu l’impression à certains moments d’un examen clinique qui avait tendance à prendre le pas sur la lettre et son tracé dans l’analyse. Je rencontrais l’autre dame dans un café parisien dont les surréalistes ont fait la réputation. Pas de cahier, mais un petit carnet où la passeuse notait une formule, un witz, un rêve, une formation de l’inconscient, ponctuant une conversation plutôt gaie d’où se dégageait in vivo une trame, une logique. Deux dames, deux styles, un écart. Quand je demandais au plus-un du cartel de la passe pourquoi je n’avais pas été nommée malgré le rapport positif du cartel, il me répondit, sans explication, avec un geste de la main : « un écart ». Un écart bien dur à avaler ! Le divan fut l’îlot nécessaire pour ne pas lâcher sur mon désir d’École, maintenir la petite flamme vive du début. Un rêve me permit de réduire «l’écart» que j’avais situé du côté des passeuses et que j’appréhendais à présent du côté d’un serrage insuffisant de l’S1qui commandait l’expérience analytique. J’ai retrouvé aux 38èmes Journées de l’École ce qui avait décidé mon orientation pour l’ECF au tout début de l’analyse : l’authenticité de témoignages au plus près de la langue de chacun. Ces journées furent aussi la scène singulière d’une interprétation de l’analyste, un coup de dés lancé en public qui fit résonner une autre dimension dans mon transfert à l’École, une dimension politique, négligée dans ma passe, me permettant de lire encore autrement « l’écart » indiqué par le cartel de la passe. De cela, et du reste, il est probable que je témoignerai dans le dispositif de… la passe. Alors, la passe, oui. Plutôt trois fois qu’une ! La dimension de la rencontre y reste essentielle : au secrétariat, avec les passeurs, enfin avec le plus-un du cartel. Au Congrès de la Grande Motte, en 1973, voilà ce que disait Lacan sur les effets de la passe sur les passants : « des effets qui sont peut-être des dégâts, après tout, pourquoi pas ? Mais des dégâts chacun sait que, tels que nous sommes foutus, nous autres de l’espèce humaine, c’est ce qui peut nous arriver de mieux (…) Je savais d’avance que ça allait provoquer des catastrophes, des catastrophes comme toutes les catastrophes, des catastrophes dont on se relève. Moi, vous savez, les catastrophes, ça ne m’impressionne pas. Mais à quoi bon faire tout d’un coup cette accumulation d’électricité ? » A ce que ça cause ! L’important pour Lacan à ce Congrès, est le regain de vitalité produit par sa “Proposition”, l’effet de la passe sur l’École : « Ce matin, j’ai pu aller dans une salle dite de groupe et voir que tout le monde y apportait son expérience, n’hésitait pas à dire ce qu’il en résultait. (…) ce Congrès me comble ». Ce « regain de vitalité » est actuellement dans l’École, insufflé par l’authenticité des témoignages entendus aux Journées. Une invitation à passer !
CE QUI NE CESSE PAS DE NE PAS par Caroline Pauthe-Leduc
Le débat sur la passe a pris bien des départs depuis ces dernières semaines. Je me propose de m’y introduire par le point le plus chaud, à vue de nez : ce qu’on peut attendre du témoignage d’une fin de cure ; ce que cette attente produit de stérilité. N’en déplaise à Abel, certains sujets à fond hystérique peuvent aussi rester sceptiques face à l’idéologie du franchissement. Quand je lis par exemple que dans la passe, ce dont il s’agit c’est de « témoigner d’une séparation avec l’objet », ça a tendance à m’énerver car si la névrose est bien une structure, l’opération de séparation est en fonction quoiqu’il en soit, début de cure, hors de cure et tutti quanti. C’est plutôt une question de temps dans les tours de la pulsion. Je ne suis pas loin de penser qu’il en va de même pour S de A barré. Pas sans douleur, pas sans embrouilles très considérables, peut-être – mais pas toujours : qui ne connaît un névrosé jamais allongé sur un divan, voire franchement rétif, et qui se débrouille très bien pour que la vie, une femme, une mort, une discussion dans un café, l’interprètent, lui et son symptôme par-dessus le marché ? Ou alors il faudrait dire en quoi cette séparation d’avec l’objet, cet usage de S de A barré sont spécifiques pour chacun à une fin de cure comme telle. Ça tend à m’énerver car s’y fait entendre pour moi le signal que ça fait formule, au sens prétentieux et patapouf – là où nous devons rester sur le qui-vive, orientés par le réel sans loi (je me permets, ce n’est pas encore tout à fait une formule). L’exigence est d’inventer de nouvelles façons de dire car ça s’use les formules, surtout quand on croit les avoir comprises… Ne sont-ils pas plus convaincants, du côté d’une certitude de la jouissance, ces moments de répétition qui montrent qu’on a cru se séparer de l’objet lors du tour précédent, et qu’il revient pourtant, inlassablement là – désespérément là, sauf quand on finit par s’y faire… et que ça en devient drôle ! « Le matou revient », connaissez-vous la chanson ? On a plus de chance d’atteindre ce point de fin de cure qui troue le langage avec le sinthome qu’avec le fantasme et sa supposée « traversée » qui ont rendu les armes il y a déjà quinze-vingt ans, ou encore les fameuses « chutes des identifications », car je ne sais pas pour vous, mais moi le sinthome, je n’y comprends rien – tandis que les identifications, le fantasme, je commence à en avoir une petite idée. C’est bien là où le bât blesse ! Pour autant, ce n’est pas parce qu’il y a de l’impossible à dire qu’il y faut renoncer, bien au contraire, n’est-ce pas, Abel ? L’effort doit porter non sur la formule mais bien sur la formulation. S’agit-il dans ce débat de trouver un moyen, des moyens, par lesquels la procédure de la passe renouvelle sa façon de tenir compte de ces deux exigences : la dead line, celle par laquelle on joue son va-tout, et les ratages qui re-sillonnent ce qui tend toujours à devenir discours courant ? C’est le même effort à mettre en œuvre pour faire la part, sans cesse à redistribuer, de la clinique continuiste et de la clinique discontinuiste. Un peu mathématicien, un peu poète – mais pas toujours aux mêmes moments. Idées en vrac à partir de ces prémisses : – Rendre publiques les décisions des cartels de la passe : l’obligation d’inventer est aussi du côté du cartel qui doit certes tenir compte du fait qu’il est en place de proférer une interprétation, mais aussi qu’il se laisse interpréter par chaque témoignage. Il tend à entendre le ratage nouveau qui seul a chance de produire les avancées épistémiques, cliniques et politiques qui font notre miel. Par ailleurs, c’est bien le moins exigible quand les passants y mettent autant d’eux-mêmes ! Cure finie, ou pas. Névrose du passant, ou pas. – En deçà de ce point, les cartels de la passe ont à se faire responsables, dans leurs choix, de l’anticipation de l’hétérogénéité des témoignages – une accentuation sur le style. Cela suppose une mise en série, et donc effectivement de respecter le temps pour comprendre nécessaire à constituer une série. Il ne s’agit donc pas forcément d’accélérer la procédure, mais par contre peut-être d’en découper dans le temps des « moments », fonctions de ce que le cartel aura repéré lui-même de sa propre question vis-à-vis de l’École. Pas de métalangage : le cartel est lui aussi pris dans le symptôme de l’École. Il faut trouver le moyen de rendre éclatant la part qu’il prend à l’acte de nommer. Il faut donc qu’il sorte (au moins par intermittence) de l’ombre, et engage publiquement une énonciation. – Les passeurs pourraient être nommés par d’autres que les seuls ame. Le problème, c’est sûrement le risque de bouchon, le chapeau trop rempli de noms. Mais ça c’est l’organisation, ça n’a rien de fondé. Qu’est-ce qui empêcherait un analysant chez un ap voire même un analyste au bord de l’École et pas dedans, d’être au point de sa cure où il peut atteindre au statut de plaque sensible pour transmettre pour un autre quelque chose du désir de l’analyste ? C’est accorder trop de poids à la façon dont l’École pense garantir le recrutement de ces analystes ame : est-on si naïf que nous ne voulions pas savoir que c’est précisément le point chaud ? Poussons le raisonnement aussi pour les ap : on peut penser, vu l’exigence de l’École à son entrée, que ceux qui y entrent en sont ; mais ça ne prouve pas que ceux qui n’y sont pas, n’en sont pas. C’est peut-être un moment propice pour détecter dans ce versant de la procédure une Suffisance à abandonner. J’ai eu à ce propos un échange instructif sur Twitter, dont ressortait que les décisions de la commission de la garantie étaient du même ordre que l’infaillabilité du pape. Bon, soyons sérieux. C’est certainement une instance où le sens de la mesure, la prudence, le tact analytique sont plus que nécessaires, mais n’y a-t-il pas une pointe de vrai – disons, de mi-vrai – dans ce qui se dit qu’il s’agit essentiellement de la somme plus ou moins convaincante des publications ? Alors donc, l’analyste tel que désiré par l’ecf aurait nécessairement l’écriture chevillée au corps ? Qu’on attende de ses membres qu’ils s’engagent à faire progresser épistémiquement la théorie analytique paraît légitime. Cela passe pour une part par l’écriture. Si cela en passe nécessairement par elle, il faut le démontrer. Sans quoi, qu’on ne vienne pas se plaindre que, faisant retour, l’écrit encombre la procédure de la passe… – Le scandale du « profil de l’ae » qu’on doit au témoignage de Catherine Lazarus-Matet lors des Journées me fait un peu rigoler : quoi, n’est-ce pas vrai ? Qui dans le profond de son cœur ne plaint pas Bernard Seynhaeve de devoir se coltiner tout seul la question depuis des mois et des mois, sillonnant tous les week-ends la France dans tous ses azimuts… ? Plus généralement, attend-on donc des ae qu’ils foutent en l’air leur vie familiale en sacrifice à la cause ? N’est-ce pas potentiellement paradoxal compte tenu du point de satisfaction nécessaire et suffisant du symptôme rencontré pour boucler ses années de divan ? Enfin, chacun voit selon son rapport à son conjoint… Mais une certaine frilosité à tenter la passe peut s’en expliquer. N’y a–t-il pas à laisser libres les modalités d’ « interprétation de l’École » ? La seule façon de faire, ce serait donc celle-là ? Les week-ends tous pris, la sncf, les gens qu’on ne connaît pas et qui font semblant de comprendre… Et pourquoi pas : intervenir rarement mais à telle soirée témoignant d’un point d’inertie de la communauté du Champ freudien, au choix dans ses diverses manifestations et instances ; parler de tout autre chose – apparemment – que de sa cure ; organiser soi-même une soirée avec des invités spécifiques selon une visée tout aussi spécifique ; passer à la télé ; mettre en place des conversations avec d’autres AE qui illustrent en acte l’assomption de l’usage résolument non universalisable de la jouissance que produit la cure, etc. Il y a une plus grande liberté à donner à l’AE dans son mode d’intervention. LA PASSE : DE LA SOLENNITÉ À LA SIMPLICITÉ par Dominique Miller
Membre de l’ECF depuis son origine, j’ai eu la chance de participer à la procédure de la Passe dans plusieurs fonctions. La solennité de cette expérience m’a, à chaque fois, saisie. La Passe à l’ECF, c’est un monument. Je dirais, une cathédrale. C’est l’image qui me vient, avec sa hauteur, ses piliers, ses vitraux, ses recoins. Et, surtout, cette idée d’une consécration pour être à la hauteur de Jacques Lacan qui a inventé la Passe, à la hauteur de la psychanalyse elle-même. Prendre part à la Passe, c’est prendre part à l’histoire toute entière de la psychanalyse, et sauvegarder son avenir, toujours menacée. Alors, quand on y entre, quelle que soit la porte qu’on emprunte, on est sensible à l’écho, à la résonance de ses propres propos. Ceux-ci auront des répercussions au-delà de soi-même et pourront se propager jusqu’à devenir un cri répété à l’infini. C’est d’ailleurs, ce qu’on attend d’un AE. Que son témoignage devienne une clameur sur ce qu’est l’inconscient. Une clameur qui traverse les Écoles de Lacan et, si possible, s’étende au-delà, dans d’autres espaces, communautés analytiques, champs du savoir, sociétés civiles, et même dans les époques futures. Il faut que cette clameur soit vraie. C’est pourquoi, quand on entre là, on a le réflexe de chuchoter. Non seulement, parce qu’il y est question de l’intimité des passants, mais aussi parce qu’on craint de trahir la Passe. Il est arrivé que l’on ouvre les portes. Nous avons appelé cela la « Passe à l’entrée ». J’ai pu aussi y prendre part. Nous n’avons plus été très sûrs de ne faire entrer à l’École que des inconscients éclairés, comme le sont ceux des passants nommés AE. Quand on ouvre les portes d’une cathédrale, on y fait entrer une lumière certes, mais aussi de la poussière. Alors le débat actuel me semble se situer dans ce battement. Si nous voulons une Passe du 21éme. Siècle, il la faudra plus simple. Elle perdra de sa solennité. La lumière qui y entrera sera moins bien filtrée. Mais je ne crois pas que nous ayons le choix. Nos chuchotements respectueux ont été nécessaires pour installer la Passe dans un après-Lacan. Si nous voulons – et nous le voulons à l’ECF, on le voit par ce Journal comme on l’a vu avec ces Journées – que la Passe dépasse nos murs, nos murmures, et se répandent effectivement dans d’autres sphères, il faudra qu’elle ait la modernité de la simplicité. Rapidité de la procédure, inventivité du processus de passage autant de la part des passeurs que des cartels, multiplicité des constructions et des trouvailles de l’inconscient retenues, transparence des critères analytiques pour les passes réussies, et enfin brièveté –voire intermittence- du témoignage de l’AE. De la solennité à la simplicité donc. Tout du moins pour un temps. Car la modernité, c’est aussi d’admettre le caractère éphémère d’une solution.
***** LETTRES ET MESSAGES
Monique Liart : Réponse à Jacques-Alain Miller La phrase que vous citez, « Notre ton mélancolique ne plaît pas à une civilisation hypomane », est en effet une citation de Roland Gori (comme tout le texte d’ailleurs). Cette phrase n’est pas de moi. Il y avait trop peu de monde à cette conférence. Personne de l’ECF (sauf moi), quelques personnes de la FABEP, des membres de l’APF. Deux personnes ont fait des interventions de qualit : Yves Cartuyvels, juriste, doyen de la Faculté de droit de l’Université Saint-Louis, et Eric Messens, directeur de la Ligue de Santé Mentale. Roland Gori avait parlé toute la journée à Namur le jour précédent. Il semblait épuisé. Il a en effet certainement besoin de votre enthousiasme. J’ai entendu son appel au « collectif » comme étant quelque chose de bien plus large que la « nébuleuse lacanienne ». Je l’ai compris comme un appel à se grouper tous (tous les psychanalystes et tous les professionnels atteints par la gangrène de l’évaluation), afin de faire poids face au monde politique, face au Parlement européen. Il proposait de partir du malaise que nous ressentons tous dans notre profession pour poser aux Politiques la question du malaise de la société actuelle. Nous sommes en effet devant une question de choix de civilisation, question qui dépasse de loin nos petites différences d’Écoles.
Jacques-Alain Miller : Persévérer dans l’échec Si vous tenez à prôner parmi nous la politique de « l’Appel des appels », libre à vous. Sachez seulement que ce n’est pas la mienne, ni celle du Forum des psys, même si Roland Gori , à titre personnel, est le très bienvenu chez nous.
***** vers Rennes 2010 Pierre Streliski : Questions sur la naissance « Être un objet de choix » fut une trouvaille dont je pus épingler ma position analysante et ma position subjective au moment de mon analyse où paraissait le Séminaire de Lacan sur Le choix d’objet. À ce moment où dans ma vie se débattait cette question du choix d’objet, je trouvais cette réponse qui immobilisait depuis toujours mon action et immortalisait un dit pas vraiment aimable d’une de mes sœurs : « Tu es un pacha ». Un « Je suis cela » se trouvait dégagé. Né quelques minutes avant minuit le soir de l’épiphanie, pensais-je être attendu par mes parents comme un petit roi mage ? Ces quelques minutes firent en tout cas que je fus naturellement porté à me croire toujours un peu en avance. Je pus choisir enfin, et m’engager « dans la foulée », avec sans doute une indécrottable fatuité tranquille, dans la procédure de la passe. Je ne fus pas nommé bien sûr, témoignant trop d’une permanence de mon fantasme. C’est à ce moment-là qu’il commença à être battu en brèche. Je ne fus pas le seul a-t-on lu dans le Journal à me rencogner dans une déception un peu molle, quelquefois ragaillardie par les traits d’un humour qui ne me faisait pas défaut. J’étais passé en somme du statut de jeune poulain à celui moins enthousiasmant de has been, comme certains vins dont le bouquet ne tient pas les promesses du fruit. Deux illusions ou mirages symétriques d’un même fantasme d’ailleurs. Le fat et le timide. Et bien sûr les propos de Jacques-Alain Miller à Barcelone cet été sur les restes et sur la nomination (Ne pas être nommé, en titre des prochaines journées pipol) me donnèrent-ils un coup de fouet. Emboîtant le pas à cette plaisante vérité révélée, j’envoyai pour les Journées un texte dont le titre fut remarqué. « Sans titre », avais-je intitulé mon topo, dont l’imprécision du contenu me valut un nouveau renvoi à la case départ : l’objet de choix n’était pas choisi. Il n’avait qu’à continuer d’attendre. Ou arrêter d’attendre. Donc Rennes dès aujourd’hui. Discutons des titres proposés jusqu’ici : « Entre désir et volonté » ? Sûrement pas, cela me colle trop. « Dire oui à son désir » ? Certainement. Mais il faut décliner cela. Ce n’est pas seulement Yes you can !, dont on ne peut pas ne pas saisir l’ironie, qui peut être cruelle. Le beau « Tomber analyste » de Laura, de nouveau cité dans le Journal par Laure cette fois, fait écho à une autre beauté, celle-là tragique, du mot d’un patient, écrit en un temps où il n’était pas encore terrassé par un automatisme mental, pas encore tombé. « Ne suis-je pas en train de tomber fou ? Oui, tomber. La femme tombe enceinte, l’homme tombe fou ou il tombe tout court, il va en prison. Tomber est le verbe le plus dur de la langue française. Il casse, il brise, il flingue […] Il faut savoir rester en équilibre en jonglant avec les mots, ne pas en faire tomber un à terre car personne ne peut le ramasser à ma place ». À Rennes, on devrait réfléchir et parler de la différence entre les hommes analystes et les femmes analystes (qu’ils et qu’elles soient hommes ou femmes d’ailleurs). Moi aussi je rêvais et je rêve encore comme Laure de ponts qu’on traverse mais sont-ce les mêmes traversées ? Que traverse-t-on ? « On tombe analyste comme objet, comme ‘‘séparé’’, comme syntone à un désir qui se dégage et qui porte sa dimension de réel » écrit Monique Amirault. Quelle est la nature de cette séparation et de cette syntonie ? Qu’il est heureux en effet de dire oui à ce qu’on désire mais cela est-il pur ? Je me souviens du très freudien Sex, lies and video où un personnage féminin enseignait son partenaire sur ceci que « les femmes apprennent à désirer ce qu’elles aiment tandis que les hommes apprennent à aimer ce qu’ils désirent ». C’est là le « rude brisement » masculin sans doute que signale Lacan quant au « devenir » des hommes : le chemin est long du désir à l’amour et retour. Je me souviens du « Nous sommes tous des bricolés » avec lequel Alain Merlet concluait de belles Journées d’Arcachon en un temps d’orage. Cela résonne chez moi avec les remarques de Jacques-Alain Miller sur la passe dans les années 92-94. Il notait que, vu du côté du jury, il y avait des incidences de la différenciation sexuelle quant au fantasme : que côté masculin, loin que le fantasme permette une traversée, on observait plutôt une compression de celui-ci, comme les statues de César, tandis que côté identification au symptôme il existait plutôt un affect de liberté et d’accès à la contingence. Plus loin : « Faut-il reconnaître comme fin d’analyse ce type de fin dans laquelle finalement la fonction phallique demeure ? » (in La Cause freudienne, n° 36). L’idéal de la passe est au féminin. Mais des hommes aussi deviennent psychanalystes, encombrés mais gais. On voit bien comment cette querelle du phallus continue de générer des rancœurs. Elles sont imaginaires bien sûr mais elles n’en existent pas moins. « Le réel ne s’inscrit que d’une impasse de la formalisation » (Séminaire XX, p. 86). J’invente pour la circonstance un nouveau proverbe : Quand vous êtes dans une impasse, suivez-là précieusement ! Comment traverser l’inconscient-jouissance que relevait Hélène Bonnaud dans le Cours de l’année dernière ? « Le sujet est appelé à renaître pour savoir s’il veut ce qu’il désire ». Mais cette phrase a un chapeau sur la tête, ou une compression de César dans sa poche : « C’est comme objet a du désir, comme ce qu’il a été », que cette renaissance peut advenir. « Avoir été », ce n’est pas très intéressant, c’est un titre encore, du funèbre Gilbert Cesbron. Mieux vaut, puisque nous sommes à Rennes, « En avant Guinguamp », nom d’une équipe de football locale quelquefois brillante, plus amie du signe divin argentin que du masochisme français. Il vaut mieux vouloir. Vouloir être. Mais quoi ? Happé par la psychanalyse ou appelé ? AP ou AE ?
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2010 16 et 17 janvier : Conférence du Journal sur la passe (fermé) 23 et 24 janvier : Journées du RI 3 à Bordeaux 7 février : Forum des psys sur l’évaluation 11 avril : Forum des psys sur la justice 26-30 avril : Congrès de l’AMP 29 mai : Journée du Cereda 5 juin : Colloque du Cien à Nancy 26 et 27 juin : Journées de la NLS à Genève 10 et 11 juillet : Journées de l’Ecole à Rennes 9 et 10 octobre : Journées de l’Ecole à Paris
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