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TROIS CONFÉRENCES DE JA MILLER À SAINT-PÉTERSBOURG Ou« LE GOÛT DE LA PSYCHANALYSE » Sous le titre « Trois leçons d’introduction à la psychanalyse », Jacques-Alain Miller a prononcé les 28, 29 et 30 mai une série de trois conférences à Saint-Pétersbourg, organisée par la New Lacanian School et le Champ freudien. Les jeunes collègues russes du Groupe du Champ freudien-Russie avaient assuré une large diffusion de cet événement, ainsi que les institutions partenaires de chacune des conférences: l’Institut français de Saint-Pétersbourg, le Département d’Esthétique et de Philosophie de la culture, l’Institut Smolny de Sciences politiques.Malgré cela, rien ne nous assurait de l’audience que le signifiant « psychanalyse » pouvait susciter dans une Russie, certes ouverte à tous les vents des idées et des théories, mais où les structures de transmission de la psychanalyse sont mouvantes et pas encore fixées. Et bien, le public russe a répondu présent à cette invitation par trois fois, par des salles archi-combles : dans la belle salle du musée Pouchkine, puis dans les salles de conférence des universités de philosophie et de philologie. INTENSITÉ. C’est le mot qui vient devant l’attention extrême de ce public qui découvre une façon inouie de parler, non pas de psychanalyse, comme d’un thème parmi d’autres, mais de parler la psychanalyse. Car l’intensité était d’abord celle de l’énonciation. Si les psychanalystes de l’AMP savent comment elle s’incarne lors de chaque intervention de JA Miller et dans ses cours hebdomadaires, ils ne savent peut-être plus l’effet intense de surprise qu’elle produit pour qui l’entend pour la première fois, ce qui était le cas de 97% de ce public! Je ne citerai que les propos d’une jeune psychiatre « intéressée » par la psychanalyse à qui je demandais son avis à l’issue de ces trois conférences : « JA Miller est capable de surprendre à chaque phrase, ça donne l’idée de nouveau, comme si la psychanalyse venait de s’inventer! » INVENTIONS. – Première conférence : « De Freud à Lacan : qu’est-ce que l’inconscient? »La psychanalyse est d’abord une pratique avant d’être une théorie. C’est la pratique de Freud qui découvre un fait qu’il appelle « l’inconscient » et qui invente cette pratique qui est la psychanalyse. Il en produira d’ailleurs, non pas une, mais plusieurs théories. Lacan, lui, n’a pas inventé la pratique analytique, mais une théorie de l’inconscient qui « colle » mieux à cette pratique. Une théorie qui repose sur ceci que l’inconscient est analogue à une séance analytique : là où l’inconscient chiffre, l’analyste déchiffre. À partir de cette introduction, JA Miller a entraîné son auditoire au cœur du chaudron de la séance analytique, il a fait toucher du doigt la matière signifiante, il a fait surgir les événements de discours, les images, les pensées et les actions où une vie s’est décidée. Nous avons vu alors paraître ce personnage nouveau dans l’histoire : un psychanalyste, avec lequel vous partagez vos dossiers les plus secrets. Mais à l’horizon, se profile tout autre chose : un personnage au désir étrange qui vous invite à dire ce que vous ne savez pas, ce qui n’est pas écrit dans votre dossier. Il y a un goût pour la psychanalyse : non seulement, J.A. Miller l’énonce comme tel, mais il le transmet dans sa conférence. Sa conclusion en sera la conséquence logique, jamais énoncée comme telle : « on peut inviter le public à essayer la psychanalyse ». Si quelqu’un veut se servir d’un analyste, pourquoi le lui refuser? La rencontre avec un analyste peut avoir des effets extraordinaires très rapidement. Quand cela dure, c’est une autre histoire … – Deuxième conférence : « De l’homme à la femme : qu’est-ce que la jouissance? »Quand on enlève tout ce qui pèse sur vos paroles, tout le poids des conformismes, on constate que, en analyse, vous parlez d’amour et de désir : c’est un fait.À partir de ce fait, JA Miller va montrer comment le sexe, pour les hommes et les femmes, est laissé à l’invention, dans la mesure où n’existe pas de programme complet qui dit quoi faire comme homme ou comme femme. Si pour chacun, le rapport sexuel est à inventer, on constate pourtant une différence : l’identité sexuelle masculine paraît plus assurée que celle des femmes. Sur ce fait, c’est développé un discours universel de diffamation des femmes. Face à cela, la psychanalyse oppose un tout autre discours, qui isole le rapport au corps et désigne sous le nom de « jouissance » ce qui affecte le corps.Comme lors de la première conférence, les questions – nombreuses- montrent combien est grande la surprise de ne pas entendre de grands préceptes qui prédiquent sur les concepts « lacaniens » : on cherche des S1 et des S2, des objets a et du transfert. Ils sont tous là pourtant, à leur place, et avec leurs effets, palpables, sur ceux-là mêmes qui posent la question … – Troisième conférence : « De l’individu à la société : qu’est-ce que le pouvoir? »L’auditoire est introduit à ces mathèmes et ce sont ce jour-là surtout les professeurs qui posent les questions. Une certaine inquiétude peut-être … Car le pouvoir est interrogé à partir d’une perspective affirmée dès l’entrée : La psychanalyse nous apprend l’essence du pouvoir. La présence d’un « uniforme » psychique, celui des soumis qui portent la marque du maître, au nom de l’amour. Il y faudra qu’ils lui sacrifient leur jouissance. Ces signifiants-maîtres, comme Lacan les nommera, sont d’autant plus efficaces qu’ils sont absurdes, insensés.Ce personnage singulier, le psychanalyste, précise ses contours : il devrait être un saint ; il veut que le patient se libère de ses signifiants-maîtres, sans qu’il soit marqué par ceux de l’analyste ; il poursuit une ascèse, un « exercice spirituel », celui qui convient à notre civilisation, assez proche de la science pour être crédible, sans céder sur l’éthique qui consiste à ne pas user du pouvoir que donne l’amour de transfert.Concernant les « penseurs » actuels de la théorie politique, convoqués à plusieurs reprises dans les questions, J.A. Miller donnera une indication : « j’ai l’impression qu’il ne payent pas assez cher pour accréditer leurs théories politiques, et que les gens qui font une analyse payent plus cher ». On dit Saint-Pétersbourg « ville européenne ». Certes, mais celles et ceux qui participaient à ces trois conférences, sont russes, russes de Saint-Pétersbourg, de Moscou, de Novossibirsk, partout où le Champ freudien, autour de Judith Miller, poursuit son action depuis maintenant plusieurs années. Pour la plupart des auditeurs, mis à part nos collègues qui s’orientent déjà des Écoles de l’AMP, la psychanalyse était jusqu’alors « chose européenne », intéressante comme telle, comme l’une de ces nombreuses théories qui sont sur le marché et pour lesquelles on n’hésitera pas à construire une « version russe », éventuellement plus adaptée …Mais aujourd’hui, ils ont découvert qu’elle était, à chaque fois, une invention, dans la langue du sujet et qu’elle portait en elle une force de subversion capable de faire vaciller toutes fixités identitaires.La venue de J.A. Miller à Saint-Pétersbourg a manifesté ainsi en acte l’ouverture à tous les lecteurs, nombreux, de Lacan en Russie et le souci de la formation des psychanalystes en Russie. Nous l’en remercions. Daniel Roy, délégué de la NLS, président du Groupe du Champ freudien-Russie
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