Le symptôme comme métaphore est un symptôme signifiant qui se trouve connecté à la jouissance sans pour autant se confondre avec elle. D’un autre côté, si l’on suit le développement de la théorie de J. Lacan, on va traiter le symptôme comme une fonction de la lettre, comme le signe de la distance irréductible vis-à-vis du réel. La distinction entre lettre et signifiant est, ici, fondamentale car la lettre se réfère directement à la jouissance tandis que le signifiant se réfère au jouis-sens.
Donc, nous avons d’un côté un « mémorial de jouissance » et de l’autre un « capteur de jouissance ». Quel que soit le versant considéré, nous avons dans le symptôme le signe que quelque chose ne va pas, puisqu’un réel existe qui apparaît comme un obstacle sur le chemin du sujet : il s’agit du réel de la privation, explicité par le fait que les hommes et les femmes se trouvent, depuis toujours, privés de l’élément qui pourrait rendre possible l’écriture du rapport sexuel. Cette impossibilité, qui ne cesse de s’écrire, promeut le symptôme comme la seule possibilité de faire lien. En même temps, elle rend possible une lecture, vu que le symptôme participe d’une écriture, fonction de la lettre.
À ce propos, J.- A. Miller affirme dans son cours L’Autre qui n’existe pas…(1), « que le symptôme est un mensonge sur le réel, surtout un mensonge sur ce réel qui est l’inexistence du rapport sexuel. C’est dans ce sens que Lacan peut dire que c’est bien le symptôme que nous mettons à la place de cet Autre qui n’existe pas. Voire même, c’est le symptôme que nous mettons à la place de l’autre sexe. Ainsi, le symptôme est peut être le seul Autre qui existe ».Il y a néanmoins un vide sur lequel le symptôme s’appuie et à partir duquel il construit son enveloppe formelle. Vide qui s’installe au point même où une jouissance singulière et scandaleuse fut refusée et refoulée par le sujet. (Lacan nous rappelle dans son Séminaire R.S.I (2), que « le névrosé est celui qui n’est pas arrivé à atteindre ce qui pour lui est le mirage d’où il trouverait satisfaction, à savoir une perversion. Une névrose étant alors une perversion ratée »). D’après Freud, ce qui est refoulé, c’est la pulsion, qui se présent sous son aspect intraitable, rebelle et réfractaire au lien social.
Cependant le refoulement échoue et le symptôme surgit comme une façon d’inscrire ce qui insiste, à savoir les marques de la singularité et des fixations du sujet. Le symptôme, tout comme la scène du fantasme fondamental, n’est rien d’autre qu’une enveloppe formelle de la pulsion, une modalité de son exercice, ou encore une forme par laquelle le sujet cherche à appréhender un objet, un partenaire, dans le champ de l’Autre(3). L’objet appelé par J. Lacan petit a, se définit à partir des orifices du corps en marquant le point où le sens ne se laisse pas appréhender dans les maillons du discours. Cet objet petit a circonscrit le vide autour duquel la pulsion fait son circuit, en dessinant par là une écriture qui situe la répétition du symptôme. Une scène concernant et l’acte d’écrire et un regard a défini un point de fixation de la jouissance, en déterminant ainsi un chemin et en établissant une forme symptomatique. La recherche de satisfaction passait par la conquête d’idéaux déterminés par la demande de l’Autre. Dans l’impossibilité d’y répondre, un reste se répétait dans le regard d’une femme. La marque du manque présente dans ce regard était recherchée comme le seul signe de l’existence d’un Autre qui pourrait rendre possible le rapport sexuel. Ce symptôme s’est fixé en créant tout une série de symptômes dont la résolution était indéfiniment ajournée Lacan nous dit que « l’Autre est une matrice avec deux entrées(4) ». L’objet petit a constitue l’une de ces entrées, l’autre étant l’Un du signifiant. Dissoudre la présence de cet Autre était fondamental pour que le sujet pût se libérer des contraintes qui déterminaient la fixation du circuit pulsionnel.
Le symptôme, pour comporter un effet de sens, subit l’action de l’interprétation. Puisque il y a une antinomie entre sens et valeur de jouissance, celle-ci n’est appréhendée que par l’équivoque ; de là on déduit la fonction de la lettre. La réduction du symptôme à la lettre est une façon de renouveler le statut du symbolique, en réduisant ainsi la pulsion à la fonction de trou. C’est bien pour cette raison que l’interprétation de l’analyste a pu pointer le vide et éclairer le circuit qui délimitait l’objet, ce qui se trouvait auparavant voilé par l’interprétation faite par l’inconscient de la rencontre traumatique avec l’Autre sexe.
Cet objet, dès la pétrification du sens dans la scène traumatique, s’incrustait à tous ceux qui présentaient un trait susceptible de répéter la scène fondamentale, nous indiquant ainsi un point de fixation pulsionnelle. Or, la pulsion constitue la forme réelle du fantasme en même temps qu’elle dénonce la limite du symptôme dans l’action symbolique. Le reste qui échappait, qui fuyait, revenait sous la forme de malaise et relançait le vecteur pulsionnel toujours dans la direction déterminée par l’impératif du surmoi. Défaire ce circuit en rendant à l’objet sa caractéristique d’être un objet quelconque, en mobilisant sa valeur de jouissance, est l’un des objectifs d’une analyse.
Dans ce but la stratégie dont s’est servi la psychanalyse a consisté à offrir à celui qui l’a cherchait comme solution, la possibilité que cette scène se répète sous transfert : elle a installé dans le point de non-savoir, un sujet supposé savoir quant à la signification de sa souffrance. Cette stratégie s’est basé sur le fait que l’inconscient repose sur l’inexistence du rapport sexuel et sur le fait que la sexualité ne se représente dans l’inconscient que par la pulsion.
Par le biais de l’objet petit a en tant qu’agalma, il a été possible d’avoir une entrée chez l’Autre ; la construction de la scène fondamentale a été possible à partir de la détermination même de la constante par laquelle le sujet a rapport au réel de la jouissance. Balisée par cette construction, une interprétation s’est opérée en séparant S1 du S2, et en créant un intervalle là où régnait l’opacité propre à la jouissance du symptôme. Ce moment fut celui où la production d’un signifiant a eu lieu en indexant le manque. Un nom est venu établir de nouveaux horizons en faisant ainsi disparaître les points de suspension symptomatique et en faisant intervenir la lettre comme bord au réel.
L’amour, réponse au réel du non-rapport sexuel, a soutenu le travail du transfert dans la relation à l’Autre du Savoir, et il a disparu par l’action de l’interprétation qui a défait le mystère de la différence sexuelle. Ce moment fut celui où « l’analysant a fait de l’objet a le représentant de la représentation de son analyste5 ». Par là, un nouveau rapport au savoir et le consentement à sa propre façon de jouir ont été inaugurés.
Ce passage a établi une subversion du symptôme qui, dès lors, repose sur l’aliénation, sur l’Autre barré et marqué par le silence de la pulsion, et non plus sur l’Autre du Savoir, l’Autre non barré, comme le définit Lacan. Nous pouvons dire que l’objet a, cause de désir, fut extrait de la jouissance qui soutenait le symptôme. Par conséquent, et du fait de vouloir ce qu’il désire, le sujet a assumé une responsabilité là où auparavant une garantie était attendue. Cette responsabilité constitue alors la seule position politique possible. Elle est d’ailleurs définie par J.-A. Miller de la façon suivante : « si tout était calculé nous n’aurions alors plus de responsabilité. Il y a responsabilité justement parce qu’une béance existe et qu’il faut la recouvrir par l’acte 6».
Le travail de transfert fut alors remplacé par le transfert de travail, ce qui a dénoté une alliance nouvelle avec la pulsion. Cette alliance n’a pu avoir lieu que par la revitalisation de la marque de nom propre, ce qui a instauré un savoir y faire avec le symptôme. Savoir y faire avec le symptôme constitue l’une des formules possible de la liberté. Le « y » marque la suspension d’un être qui ira nommer le savoir ou le produire…, un être qui nomme le savoir y faire comme ce qui est au-delà de son nom propre, un nom au-delà de l’image de son nom propre (…) C’est précisément du nom propre dont nous parle Lacan à partir de la formule savoir y faire avec son symptôme.
Après la production d’un nom et la rectification du circuit pulsionnel, il a été possible de dire à l’analyste que dorénavant le sujet ne s’adresserait plus à lui mais à l’Ecole, en établissant par là les paramètres d’un nouveau partenariat.
Notes:
1 Miller, J.-A. et Laurent, E., in L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique, leçon du 18/12/96, inédit.
2 Lacan, J. in Séminaire R.S.I, leçon du 18/02/75, inédit.
4 Lacan,J., RSI, leçon du 21/01/75.
6 Miller, J-A.