JOURNAL DES JOURNÉES
DÉBAT SUR LA PASSE
IV
N° 67 à 69
N° 67 (6 décembre 2009)
À QUOI VOULEZ-VOUS QUE CELA (ME) SERVE ?
par Catherine Lacaze-Paule
Je lis très attentivement les échanges sur le débat de la passe d’une place singulière et assez paradoxale. J’ai eu l’occasion de dire lors des Journées que j’avais choisi de faire une analyse avec un psychanalyste de l’École de la Cause freudienne. Je rajoute une précision ici. Étudiante en psychologie, j’ai, dès les premières années, repéré de façon décisive pour moi qu’à l’ECF la question de la fin de l’analyse et de la passe était une question centrale, essentielle, vitale. J’ai choisi dès le début de mon analyse que je ferai la passe un jour. Cela me paraissait clair comme le jour : Freud, Lacan, chacun a leur façon, parlaient, témoignaient sans cesse de leur rapport à l’inconscient, je considérais que c’était comme cela dans cette école de psychanalyse, pas dans les autres écoles. Cela reste vrai, et pourtant je n’ai pas fait la passe à ce jour. J’ai voulu la faire à un moment déterminant de ma cure mais mon analyste m’avait encouragée avant à trier le grain de l’ivraie. Ce tri s’est fait par le vidage, ou tout du moins la mise au rebus, pour un temps, de ce savoir acquis dans la cure. Je n’ai pas non plus été nommée passeur, je ne peux donc pas parler de la passe. Pas au sens d’en parler à partir d’un savoir issu de la passe, donc c’est du « dehors » que je m’exprime sur la passe. La passe à quoi ça sert ? Ça sert quoi ? Sert à qui ? On fait la passe pour soi ? Pour le cartel, pour les autres membres de l’ECF, pour la psychanalyse ? Pour savoir ? Ou pour transmettre ? Tout à la fois ?
Dès le début, de façon intriquée à mon symptôme quant à la question de finir, (ne pas finir), j’ai eu le pressentiment que commencer une analyse serait aisé, mais la terminer serait beaucoup plus compliqué. C’était bien vu. Un grand soulagement m’est venu d’avoir saisi que la question n’était pas de finir qui rimait avec le vœu d’en finir, en finir avec mon analyse, et aussi la psychanalyse. Volte-face donc, il n’était plus question de finir mais de conclure. C’est-à-dire d’en tirer quelques conclusions toujours provisoires, des conclusions qui débouchent sur du nouveau. Conclure pour donner chance au nouveau. Les témoignages des AE depuis quelques années ont confirmé ce changement, et soutenu ce point de vue. Pourtant, cela ne concerne-t-il que les AE nommés ? Maintenant que cela est dit, passons à du nouveau.
Il y a ce que l’analyse fait de l’analysant et ce que l’analysant fait de son analyse, mais ceci est lié dans une topologie moebienne : loin de s’opposer, il y a un nouage serré qui se tisse pour celui qui pratique l’analyse. Je crois que l’on pourrait dire la même chose de l’École. L’analyse fait de l’analysant, s’il y consent, un psychanalyste, alors que fait l’École de ce psychanalyste ? C’est dans ce sens que j’ai compris la remarque de Laure Naveau sur l’AE jetable lors de l’Assemblée. C’est une question, me semble-t-il, qui trouve sa réponse au niveau politique de l’École, c’est-à-dire qui touche à « l’intime collectif » (pour reprendre le concept de Didier Faustino à propos de l’exposition « Evento » à Bordeaux en octobre). Qu’en est-il donc de cet « intime collectif » quand l’École se met sous la tyrannie de la transparence ? Les épars dépareillés ne sont-ils pas devenus des épars éparpillés et isolés ? Seuls, oui, ils le resteront, mais isolés, c’est autre chose, ceci vaut aussi pour ceux qui ont fait la passe et dont on ne sait rien qui vaille pour la communauté, ou encore pour les passeurs que l’on commence pourtant à entendre dans le débat. N’avons-nous pas toujours à nous enseigner des ratages, de la façon dont quelqu’un rate à dire la cause, à transmettre quelque chose de ce qu’a été une analyse pour lui ? Les Journées ont produit une série dont nous n’avons actuellement qu’une connaissance parcellaire, mais nous enseignent déjà beaucoup sur les effets d’analyse, sur l’acte, l’interprétation, le symptôme, le fantasme, la répétition et l’invention, le rapport à l’inconscient des psychanalystes en devenir.
Il me semble avoir lu ou entendu que certaines demandes de passe se font dans le but de confirmer, ponctuer une trouvaille, un savoir y faire nouveau, une modalité d’être différente, un changement dans le symptôme, dans la pratique, une chute des identifications, une traversée du fantasme, ou encore une demande en vue d’orienter, dénouer une impasse, tenter de sortir d’une répétition et d’autres modalités encore. Pour autant, si ces passants ne témoignent pas d’un changement qui les engagent à témoigner des problèmes cruciaux de la psychanalyse, ils font la passe car ils ont noté une avancée, un progrès qui n’est que la moitié de ce qu’il paraît, comme l’indique Freud, en tous les cas d’un point qui concerne la psychanalyse, les psychanalystes. Quel destin ce savoir a-t-il dans l’École ? À l’égrainement des séances, une plus une et encore une, certaines demandes de passe semblent répondre à une tentative de serrer, compacter, cristalliser ce qui s’enfuit ou s’enfouit, séance après séance. Un coup de gong ! Mais si les cartels de la passe restent sans voix, si la communauté reste à l’écart, à quoi bon ? Ces passes sans issues, ne risquent-elles pas de se transformer, de muter en impasses ? Il y a ce qui est intime, mais la demande de passe est un choix, un vœu de sortir de l’entre-deux et vise par l’élaboration de savoir un au-delà, n’y a-t-il pas là un savoir qui concerne la communauté ? Cette réserve que le débat sur la passe interprète, n’est-ce pas un nom ou une forme d’un « je n’en veux rien savoir » commun ?
Que faire pour ces AE sans emplois, ces passants non connus et dont le savoir déposé dans le dispositif de la passe reste inconnu, ignoré, non employé, et que faire pour les passeurs dont l’énonciation resterait coupée de leur fonction, que faire pour ces désirs de passes restés en suspend ? Est-ce qu’il manque un lieu, qui soit un dire qui accueille dans une communauté de travail ce et ceux qui reste(nt) sans emploi. Un lieu ou un dire qui accueille ce désir de passe et ne le transmute pas en impasse mais en passage pour les uns et les autres, avec les uns et les autres comme les échanges de textes, et questions, entre AE et les autres se sont déroulés lors des Journées. Considérant que les membres de l’ECF sans emploi sont aussi des employeurs qui peuvent créer leurs emplois, la conférence du Journal sur la passe devrait être féconde. Dans l’attente…
LE PARADOXE DE L’ETHNOLOGUE
par Pauline Prost
Au détour de cette vaste méditation sur le lien social qui a nom Tristes Tropiques, Lévi-Strauss rencontre une aporie qui nous offre un miroir, agrandi aux dimensions de la culture, d’une des difficultés rencontrée dans la passe, dont se nourrit notre réflexion collective. Lévi-Strauss note, à propos de tout explorateur : « le prix qu’il attache aux sociétés exotiques… est fonction du dédain et parfois de l’hostilité que lui inspirent les coutumes en vigueur dans son milieu… On n’échappe pas au dilemme : ou bien l’ethnographe adhère aux normes de son groupe et les autres ne peuvent lui inspirer qu’une curiosité passagère dont la réprobation n’est jamais absente ; ou bien il est capable de se livrer totalement à elles et son objectivité reste viciée, du fait que le voulant ou non, pour se donner à toutes, il s’est au moins refusé à une ».
Quittant l’Europe en 1941, il est facile de voir sur quel versant du dilemme se range Lévi-Strauss, mais, hors de toute conjoncture historique, reste le paradoxe, où se reflète quelque chose du dispositif de la passe. Le témoignage du passeur se doit d’être fidèle à la lettre, autant qu’à l’esprit de celui qu’il accueille, posture de neutralité attentive qui peut aboutir, comme cela a été déploré dans le débat, à une transcription scrupuleuse des propos du passant. Le souci de respecter le vocabulaire, le style, la logique de cette démarche pourrait aboutir à la caricature d’un compte rendu in extenso, copie conforme, procès-verbal. Mais que doit apporter le passeur, quelle est la part de sa propre énonciation ? Comment se situe-t-il exactement dans l’entre-deux de sa propre analyse et de celle d’un autre ? Dégager et mettre en relief des points forts, entrer dans une histoire, mettre en scène les éléments d’un drame, c’est l’investir, se revêtir un peu de sa brillance, « enchanter » un récit en lui donnant chair, en bref créer une ponctuation, qui décide du sens.
Selon quelle alchimie, et dans quel alambic s’abordent et se combinent les deux parcours, celui du passeur et celui du passant ? Il est illusoire de croire que la rencontre puisse se limiter, même si elle la requiert, à la sympathie bienveillante et chaleureuse que suscite une histoire singulière, riche de tout ce qui s’attache à l’aventure d’un autre. Au niveau où cela se passe, celui de l’Inconscient, le parcours de mon semblable m’est aussi étrange et insolite que l’était pour Lévi-Strauss le mode de vie des Nambikwara. Admettre cette altérité radicale n’est ni un blasphème, ni une provocation, ni un constat d’échec. C’est d’ailleurs le quotidien de l’analyste : « N’essayez pas de comprendre », disait Lacan. Mais le passeur n’est pas l’analyste du passant, il parle à sa place, il est son faire-valoir, son porte-voix. Il doit le « comprendre » pour le soutenir et plaider sa cause. « S’autoriser à penser par lui-même et faire résonner ce qu’il entend », a-t-on dit. Plus précisément, Thierry Vigneron, faisant allusion au sophisme des prisonniers, ajoute : « Faire passer, mais pas sans que le passeur ne mette en jeu, n’entr’aperçoive sa propre tache ». Là est le point central, le cœur de la question : l’apercevoir et la mettre en jeu, ce n’est pas la même chose. L’apercevoir peut conduire à soustraire sa propre énonciation, se cacher derrière le texte du témoignage pour ne pas l’interpréter, pour ne pas risquer l’omission, les lacunes, les questions « à côté » qui feraient diversion et brouilleraient la piste. La mettre en jeu est plus hardi et plus ardu. C’est tenter de s’en servir
« Aucune société n’est parfaite… Toutes ont leur résidu d’iniquité » : ainsi Lévi-Strauss cherche-t-il l’issue de son dilemme. Le « résidu d’iniquité », c’est le point opaque, la tache aveugle que le passant a entrepris de cerner et de franchir. Sa demande de passe est l’acte qui fonde sa certitude d’avoir atteint un point ultime, au seuil de l’irréductible. Peut-on risquer l’idée que le « reste à comprendre » qui fait plonger le passeur dans ses notes lui indique, tel un curseur, ses propres points de butée, la zone grise vers laquelle il n’ose, ou ne peut lui-même s’avancer ?
Mais courage !… Le chapitre de Lévi-Strauss s’intitule « Un petit verre de rhum ».
RENOUVELLEMENT DE L’AE,
MODÈLE ECF3
par Jean-Pierre Klotz
Le débat sur la passe développé dans le JJ, à la suite de l’Événement de Paris (appellation réjouissante, assonant avec l’événement de corps du symptôme), m’incite à avancer mon grain de sel. Je n’aurais pas imaginé le faire il y a seulement trois mois, ne me considérant plus comme quelqu’un pouvant parler utile sur ce thème. Ce n’est pas faute d’y avoir participé dans le passé, à divers titres, ayant nommé des passeurs, fait le passant (deux fois retoqué), participé à deux cartels, intervenu ça et là. Tout cela il y a plus de dix ans. Les réponses trouvées, incluant une reprise de cure comme quasi carte forcée (même si à l’occasion d’événements personnels), n’avaient pas débouché. Certes, une sorte de coction plus ou moins confuse déboucha parfois sur un certain bonheur de parler autour du symptôme comme cadre, terrain et solution. Mais cela resta discret et périphérique. Ce n’était pas (encore) ça. Il y eut alors la fracture de ces Journées : je me suis présenté comme « sortant de mon trou » (écrit ainsi à JAM en lui proposant le titre d’une intervention), et j’y suis allé. Sans regrets depuis, je dois dire.
Je me souviens de Lacan, dans ses dernières années – je crois que c’était en clôture de Journées de l’EFP –, concluant par un appel d’allure ironique à une « petite scission » pour sortir de l’ennui pouvant suinter de ces circonstances publiques. Peu après il y eut la Dissolution.
C’est là-dessus qu’une parole de JAM m’a frappé : que cette lancée avec les JJ depuis début septembre, avec l’inattendu produit, c’était comme une scission interne, mais ne scissionnant de personne, plutôt à même de nous traverser chacun en rassemblant au plus large dans une atmosphère de carnaval aimantant diverses générations et divers styles, cassant des scléroses multiples révélées de l’après-coup. Parmi celles-ci, la passe, cette sensationnelle invention de Lacan qui ne cesse de rater et donne occasion à rebondir, pour peu qu’on saisisse le moment opportun. Il y en a un là, j’en suis certain.
Aussi valables que soient les débats sur la procédure, le passeur, le secrétariat ou le travail des cartels, là n’est pas l’essentiel. Il n’y a pas non plus à opposer la passe et la vie publique. La passe, et donc l’AE comme son produit institutionnel, sont faits pour qu’on s’en serve, pour laisser place à du nouveau. Les habitudes devenues scléroses se mettent en travers et finissent par faire obstruction. L’AE n’est pas la fine fleur, parce que la fine fleur en psychanalyse est « made in ordure » (dit par JAM dans son cours jadis), que plus elle est fine, plus elle est toujours en veine de rater. Le réflexe dès lors de la protéger revient à s’en protéger par la révérence ou la culture en serre. L’AE est « jetable » parce que l’analyste l’est, seul moyen de le ramasser. Il n’est pas forcément préposé à enseigner pendant trois ans, mais à être interrogé en toutes occasions sur la psychanalyse et ce qui la concerne plutôt que sur lui-même. Qu’il le fasse à sa manière, singulière. Sa désignation ne le prépose pas à l’accomplissement d’un programme, mais à ce qu’on lui prête l’oreille, quoi qu’il dise ou fasse. À force d’affinage, il y a disparition par inanition et fuite des candidats. Alors que des qui veulent de l’analyste, ça pullule, là où on pouvait croire ne rien voir venir, ils ont déferlé aux Journées. Reste la question du désir de l’analyste. Essayons de faire qu’on n’en finisse pas avec ça : ça ne se fera pas sous serre, mais en le serrant infiniment.
Tout ceci ne sera rien, si seulement ça. Il faut profiter de l’occasion. Il faut qu’il y ait des AE nommés, nombreux si possibles, cuits dans un jus renouvelé, au moins a priori générationnel (pour le reste, on verra). Si devenir analyste au XXIème siècle n’est plus comme au XXème, cela n’a pas moins à être le cas pour l’AE, qui devrait être pluriel, « des » AE.
Sur la passe, j’ai aimé les textes (souvenir en vrac) de Sophie Gayard, Anne-Marie Le Mercier, Hélène Bonnaud, Philippe Hellebois avec la réponse de Pierre-Gilles Guéguen, qui m’ont frappé par leur ton et une absence inédite et salutaire de ménagements, une sorte d’effraction. Veine carnavalesque dont JAM nous a bien dit qu’elle ne va pas sans la « simagrée sociale », mais étendons-la encore un peu, et sur la passe aussi ! Beaucoup va dépendre d’abord des cartels nouveaux mis en place, et surtout des nouveaux AE. Qu’il y en ait et qu’ils y aillent, sans qu’on les engonce trop ! L’ECF3 ne sera pas moins « dans le siècle » (le XXIème, cette fois-ci !) que ses précédents moments, mais elle ne doit pas moins être renouvelée, dans son atmosphère et la considération qu’on en a. Alors, peut-être, la suite, encore !…
LES AE AU DÉBUT D’ECF2
par Sophie Bialek
Alors que je m’apprêtais moi-même à faire écho au propos de Philippe Chanjou, je découvre, sous la plume de Nathalie Georges au sujet du même texte, référence à mon « faites-vous connaître des gens connus » qui, en son temps, marqua les esprits et précéda de peu, en effet, non pas tant ma nomination d’AE que mon entrée dans le dispositif de la passe.
Ce « faites-vous connaître… », dans le contexte où il fut énoncé (les prémisses de la « passe à l’entrée »), visait la réponse qui m’avait été faite, quelques temps auparavant, par un membre du Conseil auquel j’avais soumis une demande d’entrée à l’École : « Qui vous connaît, en dehors de votre analyste? », m’avait-il, en substance, demandé. Sur le coup, ma réponse avait été : personne. Réponse étrange, puisqu’à l’époque j’étais connue d’au moins deux membres de l’ECF, Guy Lérès et Geneviève Morel, qui avaient été plus-un de cartels auxquels j’avais participé. Quoiqu’il en soit, ma flèche, décochée d’une tribune organisée par Jacques-Alain Miller, eut ma foi l’avantage (et l’inconvénient) de me faire connaître, en un rien de temps, d’à peu près tout le monde. Problème réglé ? Il fallut le signal douloureux – la résurgence d’une névralgie à laquelle je pus donner, dans l’après-coup, le statut de PPS – sanctionnant dès le lendemain matin mon audace de la veille, pour me faire reconnaître dans ce trait, l’humour, non pas « un peu noir », mais carrément assassin dont mon père usait lui-même à l’endroit du sien, assassiné à Auschwitz. L’insupportable de cette transmission ainsi isolé précipita la fin de mon analyse vers son issue dans le dispositif de la passe. Une nomination d’AE s’ensuivit.
Toutefois, et j’en viens à présent au propos de Philippe Chanjou, il m’apparaît certain que si le cartel de la passe qui m’avait alors décerné le titre avait eu ce souci du « critère » (terme à discuter, bien sûr) épistémique auquel Ph. Chanjou a eu affaire, il m’apparaît certain, que, comme lui, je n’aurais pas été nommée. Pour exemple, je n’avais alors pas plus que lui à faire valoir dans le champ des publications : à savoir, un texte dans la Lettre Mensuelle. Mais je m’étais retrouvée nommée en même temps que 6 ou 7 autres. Certains étaient comme moi nouveaux dans l’École. Les autres y étaient déjà bien installés, AME… Un colloque prévu à Strasbourg, sous le titre « La passe, fait ou fiction », s’annonçait, qui allait constituer, en somme, ma première épreuve. De la préparation de ce colloque, j’ai conservé à ce jour des souvenirs mémorables. Jacques-Alain Miller nous avait invités à nous constituer en cartel. Évidemment, j’étais sensible à l’opportunité que représentait pour moi le fait de pouvoir travailler auprès de collègues plus chevronnés. Je me rendis donc à la première réunion de mon cartel avec un premier jet de travail. Deux ou trois feuillets que je déposai sur la table. L’un des collègues chevronnés désignant mes feuilles, s’exclama à mon intention : « c’est quoi, ça ??? ». « Mon travail pour cette séance de cartel », lui répondis-je un peu surprise. « Comment ça ?? », insista-t-il. Je tentai de m’expliquer : « hé bien, il s’agit d’un cartel, alors j’ai fait ce petit écrit. Quand on travaille en cartel, on fait comme ça, non ?, enfin… ». « Quoi ??? Tu fais comme ça, toi ??? », m’interrompit ce chevronné. Puis, se tournant vers l’autre chevronnée du cartel et la prenant, tout rigolard, à témoin : « Tu te rends compte ??? T’as vu ce qu’elle fait, elle ? ». L’interpellée ne pipa mot…
Bref, que dire de ce cartel, sinon qu’il fut, à n’en point douter, l’un des plus « fulgurants » de toute l’histoire de l’ECF : quelques réunions consacrées à des papotages, et puis plus rien. Mais la confrontation avec les chevronnés n’en resta pas là. C’est qu’il nous fallait aussi nous réunir afin d’élaborer le programme du colloque. Et rédiger l’argument. Ce fut épique. Les AE nouveaux observaient médusés les AE chevronnés. Mon premier ne pouvait pas encadrer ma seconde, ma seconde le lui rendait bien. Mon troisième, provincial, profitait de son avantage territorial pour se tenir prudemment à l’écart du tumulte, tandis que ma quatrième ne déboulait que passé minuit pour dire non à tout ce qui avait été laborieusement avancé avant son arrivée… Une nuit (il était bien trois heures du matin) je proposai, pour sortir de l’impasse, de rédiger seule un argument qui serait ensuite soumis au collectif. Une chevronnée refusa net ma proposition, puis se répandit à 5 heures du matin dans un fax adressé à chacun d’entre nous : « c’est l’échec de l’école »… Ce énième avatar eut raison de ma bonne volonté. Je me retirai. Une « solitude peuplée de congénères », qu’ils disaient… Why not ? Seulement voilà : lesquels ?… Mieux, ne valait-il pas encore la solitude « héroïque » façon Chanjou ?
Dans les suites du colloque de Strasbourg qui fut, paraît-il, un succès, les AE nouveaux, estimant en avoir suffisamment soupé, décidèrent d’organiser leur propre soirée des AE, distincte de celle des chevronnés. Quelques membres de l’ECF nous interrogèrent sur les raisons d’un tel dispositif, mais pas les instances qui se tinrent coites. Trois ans plus tard, mon exercice d’AE achevé, dans un contexte institutionnel annonciateur de crise, je pris rendez-vous dans un moment d’angoisse chez Jacques-Alain Miller. Il accueillit ma demande de la façon suivante : « en somme, vous voulez que je sois votre mentor ».
Épilogue : Guy Lérès quitta l’ECF en 1992. Geneviève Morel, qui fut une AE de l’École Européenne en fit de même, quelques années plus tard. À cette même époque, les nouveaux membres entrés à l’ECF en étant nommés AE en démissionnèrent. Ou disparurent de son champ… « Reste symptomatique » de chacun d’entre eux, se dira-t-on… Quid, en effet, de celui de chacun des autres ?
L’APPEL DE JACQUES-ALAIN MILLER
par Dominique Heiselbec
J’ai émis l’idée que les Journées que nous avons connues en novembre avaient « court-circuité la passe » (JJ 58). Je voudrais développer davantage, et tenter une articulation entre ces Journées et le « débat sur la passe » à partir de mon expérience.
Tout d’abord, une précision : proposer que « ces Journées ont court-circuité la passe » ne signifie pas qu’elles l’auraient « remplacée », mais au contraire, qu’elles l’ont anticipée, en rapprochant le terme, le rendant inéluctable, et ce, logiquement.
Je m’explique. C’est dans la mise au travail suscitée par le thème des « Formations de l’inconscient de l’analyste » proposé par J.-A. Miller, qu’à partir d’un rêve fait plusieurs années auparavant, le parcours analytique est venu s’articuler et a précipité dans un texte qui fut exposé.
Qu’est-ce qui a mis aussi radicalement au travail ce sujet ? D’où cela a-t-il répondu ?
Cette offre, dont M. Miller se faisait le garant, a touché le sujet dans son rapport au réel. Elle fit adresse, invitation à témoigner du réel engagé dans la cure et mis au travail de la tâche analysante. C’est en effet « à la poursuite du réel » et sans relâche que se menait l’analyse pour ce sujet. L’offre fut donc acceptée et comprise comme une opportunité de « mise au clair », d’explicitation, voire d’exposition, de ce qui était en jeu dans le travail analytique, et ce, depuis longtemps… dans l’obscurité cependant. L’intention y était, la volonté aussi sûrement, mais la surprise fut que le sujet soit subverti par ce qui s’est articulé dans son texte, se détachant de l’analyse, à savoir une lettre, qui de surcroît ne s’écrit pas !
Le thème choisi par M. Miller, entendu comme : « Dis-nous ce que trame ton inconscient », si simple, si généreux, s’adressant à chaque analysant en tant qu’analyste en formation à l’École de l’inconscient qui lui échoie, sans distinction de grade ou de notoriété, visait le cœur de l’analyse qui ne s’atteint pas, autour duquel tourne l’analysant pendant sa cure. Dans notre cas, la réponse n’émane pas du sujet – qui n’en revient pas : il est littéralement pris de court ! –, mais est « la conséquence » (terme emprunté à M.-H. Roch) d’un forçage de l’inconscient supposé savoir qui se manifeste dans le rêve.
À qui adresser ce produit de l’analyse qui n’émane pas d’un sujet mais d’un vide, sinon à l’ouverture qui l’a suscité via le désir en acte qu’incarne J.-A. Miller ? Qu’en faire d’autre que de le déposer dans une École de psychanalystes, de lui en faire don ? L’enjeu n’étant absolument pas d’« être – ou pas – nommée AE », encore moins « formaté » ou « profilé » !
Si l’on considère que le thème des Journées était centré sur le rapport au réel et que la passe consiste précisément à témoigner de ce rapport lorsqu’il s’est dégagé de la cure, il n’y a qu’un pas de l’un à l’autre. À ceci près que la passe dans ses modalités actuelles est délaissée (cf. le témoignage de Patricia Bosquin-Caroz, JJ 64), alors que ces Journées ont su faire « offre de passe », (re)suscitant… une demande !
L’engagement politique
Le thème éminemment subversif pour l’Institution École choisi par J.-A. Miller, le fait qu’il ait tenu à organiser ces Journées lui-même, « court-circuitant » les états-majors par sa « tyrannie de la transparence », s’adressant directement à chacun, chacun ayant la possibilité de s’adresser à lui en retour, tout cela conférait à l’événement, au-delà de l’ouverture, une dimension d’appel. Appel à répondre à partir de son engagement et de son lien à la cause analytique dans ce qu’il a de plus authentique. Appel à le rejoindre et à rejoindre l’École « rénovée » que d’aucuns ont appelée ECF3. Dans notre cas, si appel il y eut, il fut reçu 5 sur 5, et au plus haut niveau, celui où l’analyste a à se tenir, c’est-à-dire à la lettre… ce qui implique de rejoindre l’École… si ce n’est déjà fait. À charge maintenant de définir la procédure qui convient. Décidément, ces Journées auront bel et bien court-circuité la passe !
PASSE E PASSE ALL’ENTRATA
par Carmelo Licitra Rosa
Ho esitato a lungo prima di intervenire in questo appassionante dibattito in corso sulla passe.
Si discute tra l’altro dell’opportunità o meno di reintrodurre la passe all’entrata.
Ho potuto maturare al riguardo un’opinione abbastanza meditata, sia perché in Italia la passe all’entrata per un certo tempo è stata in vigore, sia perché io stesso ho fatto la passe all’entrata molti anni prima di fare la passe all’uscita, dopo la quale fui nominato AE.
Sento inoltre il dovere di sottolineare tutta la delicatezza dell’argomento, che mal si concilia con una posizione troppo netta. La questione della passe all’entrata presenta diversi risvolti, tutti degni di essere presi in considerazione, e infatti proprio per questo la politica della passe all’entrata ha conosciuto numerose oscillazioni negli ultimi venti anni di storia del Campo freudiano, a partire dal 1990, anno in cui – se non erro – fu lanciata da Jacques-Alain Miller in Spagna.
La mia opinione. La passe – ci ricorda Jacques-Alain Miller in un breve testo sulla formazione analitica dell’anno 2000 – ha tre finalità: clinica, epistemica e politica. Quest’ultima finalità mira a far sì che le cure si prolunghino e che il desiderio che lega il soggetto al discorso analitico non collassi anzitempo, imboccando scorciatoie o deviazioni. Che cos’è che può far collassare precocemente il desiderio? La pratica analitica ci permette di rispondere: una identificazione, qualunque essa sia. L’identificazione imprigiona, fissa il desiderio nel suo solco, con la possibile conseguenza di arrestarne la tensione a rilanciarsi oltre. Ora, l’identificazione è ciò che si deposita immancabilmente dopo qualsivoglia riconoscimento, ivi compreso il riconoscimento della passe. Per questo una scuola di psicoanalisi è e deve essere parca di riconoscimenti, dal momento che l’unico riconoscimento che può conferire, senza timore di interferire col desiderio, è quello dell’avvenuta assunzione dell’oggetto a da parte dell’analizzante: evento questo quanto mai difficile da discriminare, in mancanza di criteri oggettivi o oggettivabili.
Le identificazioni possono essere innumerevoli e rischiano di moltiplicarsi in modo direttamente proporzionale al proliferare di iniziative istituzionali, anche pregevoli, che comportino cariche e responsabilità: centri clinici, consultori, ecc… Ciò da un lato è inevitabile, ma dall’altro – se quel che dico ha un senso – dovrebbe indurre a una maggiore prudenza e circospezione.
Cosa posso suggerire? A mio avviso, occorre che l’ambito della scuola sia l’ambito sempre più deciso della psicoanalisi pura. Ciò non vuol dire l’ambito di una élite: lo vedo piuttosto come un ambito variegato, multiforme, colorato – oserei dire – popolato da tutti, giovani e meno giovani, ciascuno nel suo particolare rapporto col discorso analitico. L’avvenimento delle recenti Journées di Parigi ci attesta che questo è possibile. Ma questo è e sarà sempre più possibile se le scuole si liberano e si libereranno con sempre maggior decisione di ogni residua contaminazione col discorso del padrone, che implica inevitabilmente gerarchie di titoli e di riconoscimenti, che diventano pericolosi sinonimi di riconoscimento sociale con conseguenti ricaschi di prestigio, di richiamo di clientela, ecc…
Non voglio essere frainteso. Non sto minimizzando né disdegnando tutto ciò: dico solo che, a mio parere, tali legittime aspirazioni – il successo, la celebrità, la fortuna, ecc… – devono essere disgiunte da una scuola di psicoanalisi, devono essere coltivate cioè in ambiti distinti, che non si confondano, anche indirettamente, con la scuola.
Una scuola povera di identificazioni è la scuola di una passe all’uscita, dove ci si applica a discernere se c’è un analista e che cos’è un analista. In questa scuola ci saranno gerarchie? Sì, ma solo quelle che scaturiscono dal rapporto di ciascuno col discorso analitico e con la pratica analitica.
Règlement concernant la procédure de la passe
Article 1 – La Commission est formée de deux cartels, travaillant et statuant indépendamment l’un de l’autre, et composé chacun de cinq membres. Chaque cartel assure un travail de doctrine et d’enseignement.
Article 2 – Chaque cartel est composé de trois psychanalystes, dont au moins un AE ; un passeur ; un plus-un choisi par les quatre précédents parmi les membres de l’École exerçant la psychanalyse.
Article 3 – Chaque cartel est renouvelé après deux ans de fonctionnement effectif :
– le passeur est remplacé par un autre passeur, tiré au sort sur la liste de passeurs ayant déjà fonctionné comme tels, établie par le Secrétariat de la Commission, qui effectue le tirage au sort ;
– l’AE est remplacé par un autre AE, tiré au sort sur la liste des AE en fonction, par le Conseil ;
– les deux psychanalystes sont remplacés, l’un par le plus-un précédent, l’autre par un psychanalyste élu par l’Assemblée générale parmi les membres candidats ;
– le nouveau plus-un est choisi par les quatre précédents.
Article 4 – Le Secrétariat de la Commission est composé de trois membres, tirés au sort sur les six psychanalystes sortants des cartels venus à renouvellement, qui occupent cette fonction pendant deux ans, ainsi qu’un délégué du Conseil.
Le Secrétariat reçoit et oriente les candidats, dresse la liste des passeurs proposés par les AE et les AME, s’entretient à l’occasion avec les analystes les ayant désignés. Il veille à la répartition au sort des passants entre les deux cartels ; il procède aux tirages au sort ; il prévient les passeurs ; il avertit les passants de l’issue de leur demande.
Parmi les deux passeurs d’un passant, ne peut figurer celui du cartel qu’il a tiré.
Article 5 – On ne peut faire partie en même temps de la Commission de la passe et de celle de la garantie ; nommé à l’une, il faut, pour exercer cette fonction, démissionner de l’autre. De même, on ne peut faire partie en même temps de la Commission de la passe et de son Secrétariat.
Article 6 – La première Commission sera composée de deux passeurs tirés sur la liste des passeurs établie par le Secrétariat, et de six membres de l’École exerçant la psychanalyse, élus par le Congrès parmi les candidats ; analystes et passeurs se répartiront à leur gré en deux cartels, lesquels choisiront chacun leur plus-un.
Le premier Secrétariat sera formé des membres actuels de la Commission de la garantie..
Article 7 – Au terme de six années de fonctionnement effectif, toutes les personnes ayant participé à la Commission et au Secrétariat se réuniront en collège, afin de proposer, si besoin est, une modification de ce fonctionnement.
Article 8 – La procédure de la passe fonctionnera à partir d’octobre 1983.
Règlement adopté par vote au Congrès extraordinaire de l’ECF le 20 juin 1982
Règlement interne
Article 1 – La Commission est formée de deux cartels, travaillant et statuant indépendamment l’un de l’autre, et composé chacun de cinq membres. Chaque cartel assure un travail de doctrine et d’enseignement.
Article 2 – Chaque cartel est composé de : trois psychanalystes, dont au moins un AE, un passeur, un plus-un, choisi par les quatre précédents parmi les membres de l’Ecole exerçant la psychanalyse.
Article 3 – Chaque cartel est renouvelé après deux ans de fonctionnement effectif :
– le passeur est remplacé par un autre passeur, tiré au sort sur la liste des passeurs
ayant déjà fonctionné comme tels, établie par le Secrétariat de la Commission qui effectue le tirage au sort ;
– l’AE est remplacé par un autre AE, tiré au sort sur la liste des AE en fonction, par le Conseil ;
– les deux psychanalystes sont remplacés, l’un par le plus-un précédent, l’autre par un psychanalyste élu par l’Assemblée générale parmi les membres candidats ;
– le nouveau plus-un est choisi par les quatre précédents.
Article 4 – Le secrétariat de la Commission est composé de trois membres, désignés par le Bureau du Conseil d’administration.
Le secrétariat reçoit et oriente les candidats, dresse la liste des passeurs proposés par les AE et les AME, s’entretient à l’occasion avec les analystes les ayant désignés. Il veille à la répartition au sort des passants entre les deux cartels ; il procède aux tirages au sort ; il prévient les passeurs ; il avertit les passants de l’issue de la demande.
Parmi les deux passeurs d’un passant, ne peut figurer celui du cartel qu’il a tiré.
Le secrétariat occupe cette fonction pendant deux ans et travaille sous la responsabilité du Bureau du Conseil d’administration.
Article 5 – On ne peut faire partie en même temps de la Commission de la passe et de celle de la garantie ; nommé à l’une, il faut, pour exercer cette fonction, démissionner de l’autre. De même, on ne peut faire partie en même temps de la Commission de la passe et de son Secrétariat.
Article 6 – Toutes les personnes ayant participé à la Commission et au Secrétariat pourront se réunir, à l’initiative du Bureau du Conseil d’administration, en collège, afin de proposer, si besoin est, une modification de ce fonctionnement.
Règlement adopté le 20 juin 1982, par le
Congrès extraordinaire de l’ECF ;
modifié le 4 avril 2007, par le Conseil de l’ECF.
Le texte de ce règlement a été voté en 1982 par l’ensemble des membres de l’Ecole réunis en Congrès ; les modifications introduites par le Conseil en 2007 sont en rouge. – JAM
N° 68 (8 décembre 2009)
JE SUIS RENTRÉ DANS MON TROU
par Michel Dewarde
Je suis rentré dans mon trou. Lorsque j’ai fait la passe, après avoir été admis à entrer dans l’École, j’ai demandé à rencontrer le plus-un du cartel de la passe. Une question m’est venu : pourquoi pas AE ? La réponse a été immédiate : « Mais on ne vous connaît pas. »
Quelques jours plus tard, j’envoie un texte sur disquette : c’était mon témoignage sur la passe. Je n’ai jamais eu de réponse, ni d’accusé de réception.
Je suis resté dans mon trou, cela avait eu un effet de fermeture. Il y avait les Maîtres, et il y avait les autres.
Les Journées d’Automne ont permis, me semble-t-il, de débusquer ces autres. C’est le côté formidable de ces Journées.
LA PASSE. DES APRÈS-COUP, ENCORE
par Sonia Chiriaco
Les Journées de Novembre m’ont interprétée. D’abord par le couple signifiant, « AE invisible », dont Jacques-Alain Miller m’avait affublée quelques jours plus tôt. Invisible, c’est cela que j’avais décidé de ne plus être en faisant la passe, il y a bientôt six ans. La réponse du cartel avait alors sonné comme un « retourne dans ta cachette ». Après mon exposé aux Journées de Novembre, des collègues m’ont demandé pourquoi je ne m’étais pas battue à l’époque : seconde interprétation. La réponse du cartel m’avait coupé les ailes. Elles ont pris du temps pour repousser. C’est fait.
PASSEUR/PASSANT
par Elisabeth Leclerc-Razavet
J’ai été frappée de lire de façon répétée, chez les passeurs, combien cette désignation avait pu avoir d’effets pour eux. C’est bien la première fois qu’on en entend parler, avec cette mise en série.
La façon dont Philippe La Sagna décline si précisément les signifiants introduits par Lacan dans son texte sur la passe, dans le JJ n° 64, me fait intervenir dans le débat actuel. Il parle, et du passeur, et du passant, en faisant une mise en perspective très intéressante. Car au fond, pour qu’il y ait rencontre, il est nécessaire que chacun soit à sa place : le passeur « est » la passe (« moment originel qu’il incarne », dit PLS, actif mais clos), ce qui signifie qu’il n’a rien à en dire car il ne peut rien en dire. C’est uniquement à cette condition qu’il peut « recevoir » le témoignage du passant qui, lui, a quelque chose à en dire.
« Le passeur est celui en qui est présent le désêtre qui a frappé l’analyste dans la cure » (PLS). Ça veut dire quoi ? (Beaucoup de passeurs dans le JJ parlent de désorientation.) Cette formulation mérite vraiment qu’on s’y arrête.
Le passant, lui, est censé être au-delà. Il a fait un franchissement : il a choisi d’endosser lui-même la fonction du désêtre (passage à l’analyste). De ce franchissement, quelque chose le pousse à transmettre. Est-ce que les cartels de la passe recueillent de tels témoignages ?
Voici maintenant quelques réflexions, en tant qu’ex passante et analyste, à partir du texte de Ph. La Sagna :
– Si le passeur est passeur trop longtemps, il y a tous les risques qu’il soit « au-delà » d’être la passe… et qu’il ait, lui aussi, envie de témoigner (peut-être même « mieux » – imaginairement – que le passant qu’il écoute).
– Concernant l’analysant, ce qui est en jeu, c’est le moment où il va s’engager dans le dispositif. Est-ce toujours si simple de dégager le franchissement, juste avant le franchissement, trop près du franchissement… et j’en passe. « Désêtre », « destitution », « surcroît d’être », sont des signifiants que Lacan nous donne pour nous repérer.
Car la question qui reste bien énigmatique, c’est : qu’est-ce qui pousse un analysant à faire la passe, c’est-à-dire à aller témoigner, au dehors de la cure ? Ma question porte sur le « pousse ». « Être la passe » ne protège pas forcément du « pousse à témoigner ».
Le passeur, quand il est désigné, est « protégé » de cette démarche d’aller, trop tôt, comme passant dans le dispositif (certes, il n’est pas à l’abri de ce qui va lui tomber dessus ! cf. les JJ).
Alors, les analystes (des passeurs et des passants) dans cette affaire ? Ce serait bien de les entendre aussi :
– Sur leur témoignage du repérage clinique, dans la cure, entre le temps du passeur et le moment où le passant s’engage dans la procédure.
– L’analyste doit-il toujours rester silencieux quand un analysant lui dit qu’il veut faire la passe ?
– Visiblement une désignation comme passeur a des effets dans une cure (elle circonscrit ce temps « d’être la passe »). Ne pourrait-elle pas pondérer une précipitation dans le dispositif ?
LE PASSEUR ET LE CONTRÔLE
OU LE CONTRÔLE DU PASSEUR
par Marie-Claude Sureau
Le passeur est un analysant, j’ai fait état dans le texte proposé pour les Journées d’automne du moment de désignation comme passeur et de l’effet dans mon analyse : suite à un rêve déterminant pour la cure, la désignation comme passeur a été un moment de voir sur ma problématique fantasmatique. Si le passeur est un analysant, c’est qu’il va parler de ce qui lui importe à son analyste, et l’expérience qu’il fait avec les passants peut donc venir dans les séances du passeur. Je voudrais ajouter que le passeur peut aussi faire un contrôle sur sa pratique de passeur avant d’aller porter le témoignage du passant devant le cartel de la passe. C’est en tout cas ce qu’il m’est arrivé de faire pour certains témoignages, souvent parce qu’ils me laissaient dans l’embarras, je ne m’y repérais pas très bien. J’ai alors dû, en présentant ce qui m’avait été transmis, me détacher de mes notes pour aller à l’essentiel, et souvent m’apercevoir que je n’avais pas posé certaines questions au passant, qu’il restait certaines imprécisions aussi. Le contrôle m’a alors permis de continuer dans les entretiens avec les passants et d’aller plus avant dans les questions, d’oser certaines questions, de demander des précisions, de relire autrement mes notes. Cela m’a toujours permis de mieux ordonner la transmission. Je m’aperçois que je n’ai pas fait de contrôle pour les deux passants que j’ai écoutés et qui ont été nommés AE : leur témoignage était précis et le travail du passeur relativement facile car structuré par le passant lui-même. Cela peut ne pas intéresser de savoir comment le passeur fait sa sauce, comment il se débrouille avec ses notes, comment il s’organise. Il me semble, au fond, que le contrôle est dans notre champ un outil au plus près de l’acte analytique, et qu’on peut s’en servir au plus intime du travail de la passe de cette façon ; je ne pense pas qu’il soit à imposer ni à conseiller, mais en tout cas il est possible, et la responsabilité du passeur dans le dispositif est telle que contrôler la position du passeur, c’est-à-dire ce qu’il a entendu du témoignage, donne chance au passant d’une acuité plus grande dans la transmission faite au cartel de la passe. C’est plus qu’une répétition générale avant la présentation de la transmission du passant, c’est une façon de viser à saisir et bien dire l’os de la transmission.
PETIT TÉMOIGNAGE DE PASSEUR
par Marie-Agnès Macaire-Ochoa
Je fus passeur en 1999-2002, années qui ont suivi le Congrès de Barcelone et la scission de l’ECF. J’ai entendu 5 passants, et témoigné auprès des cartels pour 4, l’un d’eux n’ayant pas été au bout du témoignage. Il me semblait à l’époque que la fonction de passeur était essentiellement celle d’une transmission. Mais de quelle transmission s’agissait-il ? Je venais de faire la passe et étais entrée à l’École par la passe. Je ne savais pas ce qu’avaient transmis mes passeurs, mais je savais quel était le point d’impasse que le cartel avait relevé et qu’il m’avait indiqué par l’intermédiaire du plus-un. Transmettre au plus près des signifiants du passant est devenu ma mission.
J’ai vécu ce que relève Esthela Solano dans son texte des JJ n° 60, c’est-à-dire d’être « habitée par l’anxiété de devoir faire passer en peu de temps une quantité considérable de rêves, de dates, du roman familial, de la complexité des parcours », etc. Il fallait choisir, il fallait tirer un fil, il fallait trouver une logique, avec le risque énorme me semblait-il de me tromper, de ne pas faire consister ce qui convenait. Dans le fond, je voulais être une chambre d’enregistrement, et cela me paraissait totalement impossible. Il y avait un écart entre la chambre d’enregistrement et les mots que j’allais prononcer devant le cartel. Ces mots me faisaient peur, car ici plus qu’ailleurs ils devenaient « malentendus ». Jamais le langage ne m’est apparu autant truffé de malentendu. Pour rester au plus juste de la transmission, mon obsession fut d’utiliser les signifiants et seulement les signifiants du passant. Ceux-ci cependant gardaient leur charge de malentendu, ne serait-ce que, si par advertance, j’utilisais une tournure de phrase qui soit la mienne.
Face à cela, une solitude totale. C’était l’expérience de « l’Autre qui manque ». J’ai eu envie de faire partager à mon analyste le travail, de lui demander des conseils. Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas. Une séance d’analyse n’est pas un lieu de transmission d’une passe. Impossible de dire dans une séance d’analyse ce que le passant avait déposé. Je ne connaissais personne qui ait été nommé passeur et à qui parler. La question du secret me taraudait aussi. Ne fallait-il pas garder tout cela secret ? Il s’agissait de l’intimité d’une cure, et une grande discrétion à cet égard s’imposait. D’ailleurs, elle s’impose toujours.
« L’Autre manque », ce texte de Lacan en 1980, débute par : « Je suis dans le travail de l’inconscient. » Dans ce texte que j’ai découvert bien après, Lacan indique qu’il n’y a pas de tout, pas de vérité, pas de signifiant qui fonde l’unité du réel.
La transmission intégrale n’existe pas. Elle se fera par la voie de l’oreille du passeur.
J’ai été très surprise la première fois que le cartel de la passe m’a demandé de donner mon avis. Évidemment, avec l’idée que je ne devais être qu’un instrument de passage, une plaque sensible, je ne pouvais avoir d’avis. Je n’ai pas donné d’avis sur le moment, mais j’ai demandé de revoir le cartel pour affiner mon témoignage, ce qui fut fait par lettre.
Que veut dire « le passant est la passe » ? Lacan ajoute : un autre qui l’est encore. Encore, c’est-à-dire qui l’a été et qui peut par la suite ne plus l’être. Lacan spécifie cet autre en parlant de désêtre, de deuil, et de position dépressive. C’est, me semble-t-il, ce qui peut caractériser un moment de passe. Sorte de temps bref où l’Autre manque. Pour ma part, ce n’est pas ce qui m’avait poussée vers la passe ; par contre, c’est ce qui m’est arrivé à chaque témoignage de passe. L’Autre devenait un vide, et je devais agir seule.
Pour Esthela Solano, si le passeur est la passe, il est supposé être habité par la passion de l’ignorance, une passion de l’ignorance qui fonctionne comme un tremplin pour en savoir plus. C’est se mettre en position de ne rien savoir pour laisser place à un nouveau savoir. L’ignorance n’est donc pas ne rien vouloir savoir, comme on pourrait l’imaginer.
Il me semble vraiment bienvenu de mettre toutes ces questions à l’ordre du jour, un peu plus à ciel ouvert, pour « désimaginariser » encore la passe et la fonction du passeur.
CECI N’EST PAS UN AE, CELA EST UN PASSANT
Faire école, à travers des désirs orientés par le réel
par Françoise Labridy
Tirer un fil et devenir le funambule de son propre fil, en le tirant en permanence devant soi, tel est le chemin de l’après passe. Exercice instable, expérience curieuse, de laisser se déposer la parole des autres, dans le creux tracé par l’expérience de sa propre analyse. Elle origine un mouvement sans finalité autre que la cause à creuser pour celui qui en vous adressant sa parole, parle à un lieu en lui qu’il aura à ouvrir, repérer, cerner, puis desserrer pour lâcher ce par quoi il le comblait pour étouffer le plus intime de sa souffrance.
Pourquoi est-ce sur l’enseignement de l’AE que l’on fixe sa fonction ? L’art se transmet, ne s’enseigne pas. Quelle est la différence ? Il se transmet dans un lien de maître à apprenti, il n’y a pas de savoir artistique séparable de l’acte de transmission par lequel le métier s’acquiert. Transmettre ce qui fait que ça se transmette par sa geste, son acte. Dans la psychanalyse, c’est l’acte d’un désir qui est à transmettre, constamment, incessamment, c’est le transfert à un inconnu, à une inconnue, avoir à se causer d’un désir contre la jouissance qui resurgit toujours et le recouvre. Le passant, c’est celui qui dans son ou ses expériences successives d’analyse s’est inventé un savoir-faire, qui a bricolé une solution, qui a trouvé quelques maniements spécifiques lui permettant de s’éloigner de la jouissance qui le contraint et qui en a trouvé apaisement, voire enjouement et enthousiasme : j’y arrive. Dans Leçons sur Tchouang-Tseu (p. 21-25), Jean-François Billeter relate l’expérience du Charon Pien qui possède « un tour que nous ne pouvons pas exprimer par des mots. Le langage peut jouer dans l’apprentissage pour l’aider à comprendre ses erreurs et en tirer des leçons… Je n’ai rien pu faire pour le transmettre à mes enfants parce qu’ils n’ont pas voulu faire le geste par eux-mêmes. C’est pourquoi, je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge. Il n’a ni successeur, ni maître, il n’est ni l’inventeur de ses outils, ni de sa technique, mais il a lui-même mis au point son geste : “entre force et douceur, la main trouve, l’esprit répond” ».
« J’y arrive », joie du geste efficace. Décider d’entrer dans la procédure de la passe, c’est choisir de ne pas rester seul(e) dans cette subversion de la satisfaction, c’est la faire partager pour qu’un enseignement pour la psychanalyse et sa formation en soit tiré. C’est vouloir inscrire cette mutation subjective au compte de l’École, comme résultat. Cet écart désir/jouissance par le transfert à la langue, d’où chutera l’objet, reste à réitérer, grâce à ce que l’analysant a apprivoisé de ses formations de l’inconscient et dont il peut se servir comme d’une boîte à outils, ou comme d’une palette de couleurs. Pour que le psychanalyste reste moderne, plutôt en prise sur ce que vivent ses contemporains, et que la psychanalyse témoigne de sa pertinence, il y a à saisir « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ». Qu’est-ce qu’il y a à nommer pour celui qui fait la passe, ne serait-ce pas la pertinence du passage, soit le repérage de la percée du désir en acte dans le retour de la jouissance, pour pouvoir s’en éloigner chaque fois qu’il se reproduira et ouvrir à ce nouvel écart par« la geste » ?
VITALITÉ
par Valentine Dechambre
Mon début dans l’analyse en 1995 fut marqué par la rencontre avec des AE, lors d’une journée Intercartels au musée d’art contemporain de Saint-Étienne. Les témoignages de passe m’avaient enthousiasmée par leur dimension d’énonciation qui l’emportait sur la valeur de démonstration. Les AE faisaient part, chacun dans un style incomparable, d’une expérience bouleversante : une naissance, l’advenue par l’analyse d’un nouveau sujet. Le rapport à la lettre en rendait compte. Lettre vive, matérialité de l’écriture, l’analyse comme expérience de corps résonnait dans les textes d’AE.
Portée par la petite flamme des témoignages d’AE, je me présentai une première fois à la passe après un rêve où je quittais la désolation, les limbes d’un deuil infini avec l’objet oral. Un analyste de l’École m’accueillit au secrétariat de la passe avec cette parole : « Ce que vous dites est convaincant. Il faudrait toutefois pour pouvoir entrer dans le dispositif vous présenter avec un DESS de psychologie. » Surprise. Je ne m’attendais pas à des conditions de cet ordre-là auxquelles j’avais bien du mal à me résoudre. Alors, la psycho, ce serait non.
Je repris le chemin de la cure avec des rêves qui indiquaient que je n’en avais pas fini avec la chose crue, la tyrannie de l’objet.
Quelques temps plus tard, c’était en 2003, je m’adressais de nouveau au cartel de la passe avec un Witz, une interprétation de l’analyste qui faisait résonner le chant, l’importance de l’usage poétique de la langue. La rencontre avec l’analyste au secrétariat de la passe fut joyeuse, un souffle passait dans l’entretien. Pas d’exigence de diplôme de psychologue requis.
Je rencontrais deux passeuses, deux dames soutenantes chez qui s’entendait le désir de transmettre ce que je présentais comme Witz conclusif. Deux styles différents : une parlait peu, m’accueillit à son cabinet avec un cahier et s’appliqua à prendre en notes ce que je disais. J’avais un peu l’impression à certains moments d’un examen clinique qui avait tendance à prendre le pas sur la lettre et son tracé dans l’analyse. Je rencontrais l’autre dame dans un café parisien dont les surréalistes ont fait la réputation. Pas de cahier, mais un petit carnet où la passeuse notait une formule, un Witz, un rêve, une formation de l’inconscient, ponctuant une conversation plutôt gaie d’où se dégageait in vivo une trame, une logique.
Deux dames, deux styles, un écart. Quand je demandais au plus-un du cartel de la passe pourquoi je n’avais pas été nommée malgré le rapport positif du cartel, il me répondit, sans explication, avec un geste de la main : « un écart ». Un écart bien dur à avaler !
Le divan fut l’îlot nécessaire pour ne pas lâcher sur mon désir d’École, maintenir la petite flamme vive du début. Un rêve me permit de réduire « l’écart » que j’avais situé du côté des passeuses et que j’appréhendais à présent du côté d’un serrage insuffisant de l’S1qui commandait l’expérience analytique.
J’ai retrouvé aux 38èmes Journées de l’École ce qui avait décidé mon orientation pour l’ECF au tout début de l’analyse : l’authenticité de témoignages au plus près de la langue de chacun. Ces Journées furent aussi la scène singulière d’une interprétation de l’analyste, un coup de dés lancé en public qui fit résonner une autre dimension dans mon transfert à l’École, une dimension politique, négligée dans ma passe, me permettant de lire encore autrement « l’écart » indiqué par le cartel de la passe. De cela, et du reste, il est probable que je témoignerai dans le dispositif de… la passe. Alors, la passe, oui. Plutôt trois fois qu’une ! La dimension de la rencontre y reste essentielle : au secrétariat, avec les passeurs, enfin avec le plus-un du cartel.
Au Congrès de la Grande Motte, en 1973, voilà ce que disait Lacan sur les effets de la passe sur les passants : « des effets qui sont peut-être des dégâts, après tout, pourquoi pas ? Mais des dégâts chacun sait que, tels que nous sommes foutus, nous autres de l’espèce humaine, c’est ce qui peut nous arriver de mieux (…) Je savais d’avance que ça allait provoquer des catastrophes, des catastrophes comme toutes les catastrophes, des catastrophes dont on se relève. Moi, vous savez, les catastrophes, ça ne m’impressionne pas. Mais à quoi bon faire tout d’un coup cette accumulation d’électricité ? » À ce que ça cause ! L’important pour Lacan à ce Congrès, est le regain de vitalité produit par sa « Proposition », l’effet de la passe sur l’École : « Ce matin, j’ai pu aller dans une salle dite de groupe et voir que tout le monde y apportait son expérience, n’hésitait pas à dire ce qu’il en résultait. (…) ce Congrès me comble ».
Ce « regain de vitalité » est actuellement dans l’École, insufflé par l’authenticité des témoignages entendus aux Journées. Une invitation à passer !
CE QUI NE CESSE PAS DE NE PAS
par Caroline Pauthe-Leduc
Le débat sur la passe a pris bien des départs depuis ces dernières semaines. Je me propose de m’y introduire par le point le plus chaud, à vue de nez : ce qu’on peut attendre du témoignage d’une fin de cure ; ce que cette attente produit de stérilité.
N’en déplaise à Abel, certains sujets à fond hystérique peuvent aussi rester sceptiques face à l’idéologie du franchissement. Quand je lis par exemple que dans la passe, ce dont il s’agit c’est de « témoigner d’une séparation avec l’objet », ça a tendance à m’énerver, car si la névrose est bien une structure, l’opération de séparation est en fonction quoiqu’il en soit, début de cure, hors de cure et tutti quanti. C’est plutôt une question de temps dans les tours de la pulsion. Je ne suis pas loin de penser qu’il en va de même pour S de A barré. Pas sans douleur, pas sans embrouilles très considérables, peut-être – mais pas toujours : qui ne connaît un névrosé jamais allongé sur un divan, voire franchement rétif, et qui se débrouille très bien pour que la vie, une femme, une mort, une discussion dans un café, l’interprètent, lui et son symptôme par-dessus le marché ? Ou alors il faudrait dire en quoi cette séparation d’avec l’objet, cet usage de S de A barré sont spécifiques pour chacun à une fin de cure comme telle. Ça tend à m’énerver car s’y fait entendre pour moi le signal que ça fait formule, au sens prétentieux et patapouf – là où nous devons rester sur le qui-vive, orientés par le réel sans loi (je me permets, ce n’est pas encore tout à fait une formule). L’exigence est d’inventer de nouvelles façons de dire, car ça s’use les formules, surtout quand on croit les avoir comprises…
Ne sont-ils pas plus convaincants, du côté d’une certitude de la jouissance, ces moments de répétition qui montrent qu’on a cru se séparer de l’objet lors du tour précédent, et qu’il revient pourtant, inlassablement là – désespérément là, sauf quand on finit par s’y faire… et que ça en devient drôle ! « Le matou revient », connaissez-vous la chanson ? On a plus de chance d’atteindre ce point de fin de cure qui troue le langage avec le sinthome qu’avec le fantasme et sa supposée « traversée » qui ont rendu les armes il y a déjà quinze-vingt ans, ou encore les fameuses « chutes des identifications », car je ne sais pas pour vous, mais moi le sinthome, je n’y comprends rien – tandis que les identifications, le fantasme, je commence à en avoir une petite idée. C’est bien là où le bât blesse !
Pour autant, ce n’est pas parce qu’il y a de l’impossible à dire qu’il y faut renoncer, bien au contraire, n’est-ce pas, Abel ? L’effort doit porter non sur la formule mais bien sur la formulation. S’agit-il dans ce débat de trouver un moyen, des moyens, par lesquels la procédure de la passe renouvelle sa façon de tenir compte de ces deux exigences : la dead line, celle par laquelle on joue son va-tout, et les ratages qui re-sillonnent ce qui tend toujours à devenir discours courant ? C’est le même effort à mettre en œuvre pour faire la part, sans cesse à redistribuer, de la clinique continuiste et de la clinique discontinuiste. Un peu mathématicien, un peu poète – mais pas toujours aux mêmes moments.
Idées en vrac à partir de ces prémisses :
– Rendre publiques les décisions des cartels de la passe : l’obligation d’inventer est aussi du côté du cartel qui doit certes tenir compte du fait qu’il est en place de proférer une interprétation, mais aussi qu’il se laisse interpréter par chaque témoignage. Il tend à entendre le ratage nouveau qui seul a chance de produire les avancées épistémiques, cliniques et politiques qui font notre miel. Par ailleurs, c’est bien le moins exigible quand les passants y mettent autant d’eux-mêmes ! Cure finie, ou pas. Névrose du passant, ou pas.
– En deçà de ce point, les cartels de la passe ont à se faire responsables, dans leurs choix, de l’anticipation de l’hétérogénéité des témoignages – une accentuation sur le style. Cela suppose une mise en série, et donc effectivement de respecter le temps pour comprendre nécessaire à constituer une série. Il ne s’agit donc pas forcément d’accélérer la procédure, mais par contre peut-être d’en découper dans le temps des « moments », fonctions de ce que le cartel aura repéré lui-même de sa propre question vis-à-vis de l’École. Pas de métalangage : le cartel est lui aussi pris dans le symptôme de l’École. Il faut trouver le moyen de rendre éclatant la part qu’il prend à l’acte de nommer. Il faut donc qu’il sorte (au moins par intermittence) de l’ombre, et engage publiquement une énonciation.
– Les passeurs pourraient être nommés par d’autres que les seuls ame. Le problème, c’est sûrement le risque de bouchon, le chapeau trop rempli de noms. Mais ça, c’est l’organisation, ça n’a rien de fondé. Qu’est-ce qui empêcherait un analysant chez un ap, voire même un analyste au bord de l’École et pas dedans, d’être au point de sa cure où il peut atteindre au statut de plaque sensible pour transmettre pour un autre quelque chose du désir de l’analyste ? C’est accorder trop de poids à la façon dont l’École pense garantir le recrutement de ces analystes ame : est-on si naïf que nous ne voulions pas savoir que c’est précisément le point chaud ? Poussons le raisonnement aussi pour les ap : on peut penser, vu l’exigence de l’École à son entrée, que ceux qui y entrent en sont ; mais ça ne prouve pas que ceux qui n’y sont pas, n’en sont pas. C’est peut-être un moment propice pour détecter dans ce versant de la procédure une Suffisance à abandonner. J’ai eu à ce propos un échange instructif sur Twitter, dont il ressortait que les décisions de la commission de la garantie étaient du même ordre que l’infaillibilité du pape. Bon, soyons sérieux. C’est certainement une instance où le sens de la mesure, la prudence, le tact analytique sont plus que nécessaires, mais n’y a-t-il pas une pointe de vrai – disons, de mi-vrai – dans ce qui se dit, qu’il s’agit essentiellement de la somme plus ou moins convaincante des publications ? Alors donc, l’analyste tel que désiré par l’ecf aurait nécessairement l’écriture chevillée au corps ? Qu’on attende de ses membres qu’ils s’engagent à faire progresser épistémiquement la théorie analytique paraît légitime. Cela passe pour une part par l’écriture. Si cela en passe nécessairement par elle, il faut le démontrer. Sans quoi, qu’on ne vienne pas se plaindre que, faisant retour, l’écrit encombre la procédure de la passe…
– Le scandale du « profil de l’ae » qu’on doit au témoignage de Catherine Lazarus-Matet lors des Journées, me fait un peu rigoler : quoi, n’est-ce pas vrai ? Qui dans le profond de son cœur ne plaint pas Bernard Seynhaeve de devoir se coltiner tout seul la question depuis des mois et des mois, sillonnant tous les week-ends la France dans tous ses azimuts… ? Plus généralement, attend-on donc des ae qu’ils foutent en l’air leur vie familiale en sacrifice à la cause ? N’est-ce pas potentiellement paradoxal compte tenu du point de satisfaction nécessaire et suffisant du symptôme rencontré pour boucler ses années de divan ? Enfin, chacun voit selon son rapport à son conjoint… Mais une certaine frilosité à tenter la passe peut s’en expliquer. N’y a–t-il pas à laisser libres les modalités d’« interprétation de l’École » ? La seule façon de faire, ce serait donc celle-là ? Les week-ends tous pris, la sncf, les gens qu’on ne connaît pas et qui font semblant de comprendre… Et pourquoi pas : intervenir rarement mais à telle soirée témoignant d’un point d’inertie de la communauté du Champ freudien, au choix dans ses diverses manifestations et instances ; parler de tout autre chose – apparemment – que de sa cure ; organiser soi-même une soirée avec des invités spécifiques selon une visée tout aussi spécifique ; passer à la télé ; mettre en place des conversations avec d’autres AE qui illustrent en acte l’assomption de l’usage résolument non universalisable de la jouissance que produit la cure, etc. Il y a une plus grande liberté à donner à l’AE dans son mode d’intervention.
LA PASSE : DE LA SOLENNITÉ À LA SIMPLICITÉ
par Dominique Miller
Membre de l’ECF depuis son origine, j’ai eu la chance de participer à la procédure de la passe dans plusieurs fonctions. La solennité de cette expérience m’a, à chaque fois, saisie. La passe à l’ECF, c’est un monument. Je dirais, une cathédrale. C’est l’image qui me vient, avec sa hauteur, ses piliers, ses vitraux, ses recoins. Et, surtout, cette idée d’une consécration pour être à la hauteur de Jacques Lacan qui a inventé la passe, à la hauteur de la psychanalyse elle-même. Prendre part à la passe, c’est prendre part à l’histoire toute entière de la psychanalyse, et sauvegarder son avenir, toujours menacée.
Alors, quand on y entre, quelle que soit la porte qu’on emprunte, on est sensible à l’écho, à la résonance de ses propres propos. Ceux-ci auront des répercussions au-delà de soi-même et pourront se propager jusqu’à devenir un cri répété à l’infini. C’est d’ailleurs ce qu’on attend d’un AE. Que son témoignage devienne une clameur sur ce qu’est l’inconscient. Une clameur qui traverse les Écoles de Lacan et, si possible, s’étende au-delà, dans d’autres espaces, communautés analytiques, champs du savoir, sociétés civiles, et même dans les époques futures. Il faut que cette clameur soit vraie.
C’est pourquoi, quand on entre là, on a le réflexe de chuchoter. Non seulement parce qu’il y est question de l’intimité des passants, mais aussi parce qu’on craint de trahir la passe.
Il est arrivé que l’on ouvre les portes. Nous avons appelé cela la « Passe à l’entrée ». J’ai pu aussi y prendre part. Nous n’avons plus été très sûrs de ne faire entrer à l’École que des inconscients éclairés, comme le sont ceux des passants nommés AE. Quand on ouvre les portes d’une cathédrale, on y fait entrer une lumière certes, mais aussi de la poussière.
Alors le débat actuel me semble se situer dans ce battement. Si nous voulons une passe du XXIéme siècle, il la faudra plus simple. Elle perdra de sa solennité. La lumière qui y entrera sera moins bien filtrée. Mais je ne crois pas que nous ayons le choix. Nos chuchotements respectueux ont été nécessaires pour installer la passe dans un après-Lacan. Si nous voulons – et nous le voulons à l’ECF, on le voit par ce Journal comme on l’a vu avec ces Journées – que la passe dépasse nos murs, nos murmures, et se répande effectivement dans d’autres sphères, il faudra qu’elle ait la modernité de la simplicité. Rapidité de la procédure, inventivité du processus de passage autant de la part des passeurs que des cartels, multiplicité des constructions et des trouvailles de l’inconscient retenues, transparence des critères analytiques pour les passes réussies, et enfin brièveté – voire intermittence – du témoignage de l’AE.
De la solennité à la simplicité donc. Tout du moins pour un temps. Car la modernité, c’est aussi admettre le caractère éphémère d’une solution.
N° 69 (9 décembre 2009)
LE DISPARATE ET LA PASSE
par Yasmine Grasser
Le signifiant dissolution reste pour moi un signifiant de Lacan, un signifiant un peu tabou, peut-être même refoulé, le nom d’un traumatisme. Il a été aussi le formidable levier dont se sont emparés J.-A. Miller, É. Laurent, avec quelques autres, pour créer l’École de la Cause freudienne à laquelle nous sommes tous très attachés.
Dans le JJ 65, Agnès Aflalo a évoqué l’ombre que ce signifiant a fait peser sur l’École, ajoutant : « je ne me souviens pas que les AE d’alors aient analysé le malaise de l’École et ses causes ». Elle ne va pas jusqu’à dire qu’à cette place est venue la dissolution de l’École par Lacan. J’en tire cependant la conséquence suivante : s’il est aujourd’hui attendu des AE de l’ECF qu’ils interprètent le malaise de la passe dans l’École et dissolvent les semblants produits par le réel du groupe (Anne Lysy-Stevens, JJ 66), alors qu’ils s’emparent à leur tour du signifiant « dissolution de fait » pour réanimer l’expérience et propulser l’École avec Jacques-Alain Miller vers la « Conférence sur la passe » qu’il a fixée aux 16 et 17 janvier prochains.
Lilia Mahjoub, la première, a osé ramener sur le devant de la scène le signifiant dissolution. Elle écrit dans le JJ 62 : « dissolution de fait du Collège, puisque ses débats relevaient jusque-là de la confidentialité ». À l’aulne de la thèse explicitée ci-dessus, « une dissolution de fait du Collège », pas de droit, implique d’interpréter le malaise au niveau de l’École, au-delà du niveau de notre seul Collège. Le démontre « le disparate » des prises de paroles dans le Journal des Journées, qui a déjà créé une nouvelle École de la passe.
Quelques semblants ont fait leur temps et peuvent être dissous : Collège de la passe et secrétariat – la parution du règlement de la passe dans le JJ 67 ce soir me le confirme.
Le Collège examine le fonctionnement de la passe sur les six années précédentes. Mais je n’avais pas songé avant ces Journées 2009 (2300 inscrits), à compter le nombre des candidats à la passe depuis 1982. Je sais aujourd’hui qu’il s’élève à plus de 600, peut-être 630. Je trouve ce chiffre faramineux, il est quasiment équivalant au double du nombre de membres de l’ECF.
Ce chiffre me convainc d’une chose : la « Proposition de 1967 » est l’acte de Jacques Lacan introduit dans son École, et les Journées de Novembre 2009 ont fait signifier dans l’École la « Proposition » en acte, grâce à l’autorité de Jacques-Alain Miller. La prise en compte pendant ces Journées « du plus précieux de la passe » dépasse la mission du Collège, et nécessite d’aller au-delà des seuls dysfonctionnements de sa régulation par le secrétariat.
Le secrétariat de la passe veille à la régulation de la passe. Avant le Collège 2009, je m’étais attardée sur le fait que le premier Collège réuni en 1990 (LM 94), le deuxième en 1996 (doc.ECF, Clinique et politique), avaient énormément insisté sur la régulation du dispositif de la passe par le secrétariat. Le Collège 2002, le troisième, une autre époque, s’était davantage préoccupé du nombre de passes à l’entrée, traité par un dispositif pas vraiment adéquat à la tâche. Quant au Collège actuel, quatrième, il n’est plus le même Collège, et nous ne nous en étions pas aperçus.
Pourtant, dans son courrier daté du 13 septembre, J.-A. Miller avait attiré notre attention sur ce fait : le Collège était son invention ; son règlement avait été adopté par tous les membres de l’ECF en 1982 ; son fonctionnement était autonome et sa fonction consultative. Or, il écrit que les modifications du nouveau règlement de 2007 « évacuent le caractère autogestionnaire, et font du Bureau son pivot ». En effet, pour la première fois au sein du Collège, ont été introduits des représentants du Conseil d’administration. Ce sont les trois membres du secrétariat, « désignés par le Conseil d’administration », qui « travaillent sous la responsabilité du Conseil d’administration » (art. 4). En conséquence, la régulation de la passe revient au Conseil d’administration, qui seul a le pouvoir de convoquer et dissoudre le secrétariat et par voie de conséquence le Collège.
Encore un point sur les passeurs : à ne pas pouvoir se centrer sur ce savoir que délivre la fin de l’analyse, ils prennent des notes (Sophie Marret, JJ 64), et ils souffrent de mal remplir leur fonction qui est de se laisser « aimanter », comme le dit Daniel Roy (JJ 65), par ce qui est constitutif du passant, à savoir des moments de passe. Lacan, en 1978, présidant à Deauville deux Journée de travail sur la passe, concluait par ces mots : « La seule chose importante, c’est le passant, et le passant, c’est la question que je pose, à savoir : qu’est-ce qui peut venir dans la boule de quelqu’un pour s’autoriser d’être analyste ? »
Un seul souhait : que les passants de l’ECF se fassent reconnaître des cartels de l’ECF ?
L’ENJEU DE LA PASSE
par Hélène Deltombe
Mon analyse, pendant 17 ans, trois fois par semaine, jusqu’en 1995. Bonheur de parvenir à un point de finitude et de me consacrer à la psychanalyse sans être encombrée d’inhibition, symptômes, angoisse.
Entrée dans la procédure de la passe en 1997 pour :
1. faire retour sur mon parcours analytique, y distinguer les moments cruciaux, conceptualiser les différentes étapes, tenter de saisir ce qui a fait passage à l’analyste ;
2. demander mon entrée à l’École : désir vif de faire partie de cette communauté de travail.
La période de rencontre de mes deux passeurs, deux femmes, sérieuses et attentives, a été intense ; j’ai beaucoup écrit pour rassembler les souvenirs de mon parcours analytique que j’ai choisi de répartir selon des thèmes : symptôme, fantasme, jouissance, répétition, transfert, interprétation, acte. Pour chacun de ces chapitres, me revenaient des rêves analysés en séance. Ces écrits, il me semble que je les laissais chez moi pour parler librement aux passeurs qui étaient très présents, me posant des questions, soulignant certains aspects.
Réponse transmise par le secrétariat de la passe : vous n’êtes pas nommée AE. Le cartel de la passe propose votre entrée à l’École. Fin de l’appel téléphonique. Réactions :
1. Étonnée d’une réponse aussi sibylline après un travail si intense.
2. Je ne suis pas nommée AE, je me dis que c’est dans l’ordre des choses, mon destin me rattrape.
3. J’ai de la chance, je vais faire partie de l’École de la Cause freudienne ! Je vais pouvoir y inscrire mon travail d’élaboration entre théorie et clinique.
4. Mais pourquoi n’avais-je pas été nommée AE ? J’ai interrogé des membres du cartel, mais cela n’a pas emporté ma conviction et il n’y a pas eu de dialogue. Je me suis fait une raison en supposant que la réponse du cartel de la passe était de l’ordre d’un jugement éclairé, et pas de l’ordre d’une dialectique, car il s’agissait de la logique de la fin de l’analyse. Elle n’avait pas été saisie. Soit parce qu’il restait quelque chose d’obscur que, par définition, on ne pouvait pas me faire apercevoir. Soit parce que je n’avais pas su l’énoncer clairement. J’ai interrogé des membres du cartel de la passe, mais ça ne m’a pas permis de trancher.
J’ai écrit le texte de mon intervention aux Journées avec les notes prises pour préparer mes entretiens avec mes passeurs. Le recul du temps, la fréquentation de la psychanalyse, a favorisé l’épure de mon cas. Ce travail d’écriture a permis un nouveau serrage de la jouissance, et l’éventualité d’en faire l’exposé devant un public a rendu nécessaire de mettre le voile de la pudeur sur mes dits.
Après ces Journées de l’École de novembre 2009, j’ai fait un rêve qui m’a paru venir comme effet de ce moment exceptionnel. Le rêve : je parle à des collègues d’un cas de ma pratique, l’un d’eux vient vers moi et me dit chaleureusement : « Tu as le regard brillant ».
1. Au réveil, j’apprécie ce rêve par lequel je reçois un compliment suscitant un geste d’amitié. Je me dis qu’en effet j’aime mon travail, j’aime en parler, montrer l’intérêt de la psychanalyse.
2. Puis j’ai pensé : tout cela n’est-il pas un scénario fait pour séduire, être aimée ?… Honte. Prends garde !
3. Lecture des JJ : il y a ce qui rejoint mes pensées, et il y a des remarques qui m’interrogent, dérangent la défense. Comme cette remarque de Serge Cottet : « les effets de prestige de la parole et de l’énonciation, du direct et de la présence, ne sont pas étrangers à cette séduction, éléments justement absents de la passe. On ne méconnaît pas la différence de structure entre un exposé très écrit de congrès et une procédure de distanciation. » Le regard brillant de mon rêve m’apparaît alors pouvoir se lire comme désir de briller. Moi qui croyais que l’objet avait chu, il était toujours là comme plus de jouir.
En tout état de cause, la parole adressée aux passeurs est parole qui achoppe, qui marque la présence de l’inconscient et ses trébuchements, tandis que dans l’écrit, lu, l’inconscient est présentifié, là sur un mode indirect.
Et l’on n’est pas nommé AE pour briller, mais pour se mettre au service de la psychanalyse, en intension et en extension. N’ayant pas été nommée AE, je m’étais dit après la passe que je pouvais de toute façon apporter mon concours à l’École et à l’existence de la psychanalyse.
LA PASSE EST UN TRAVAIL D’ÉCRITURE
par Philippe Chanjou
J’ai ressenti la passe comme étant d’une grande simplicité, et la relation au passeur comme évidente, car il s’agit d’un travail d’écriture.
Le temps de la cure elle-même est un travail de lecture, et ceci jusqu’au nom. J’ai lu que la formule de la séparation d’avec l’objet en agaçait certains, mais il me semble qu’il s’agit précisément d’une nomination de l’objet qui en fait un semblant. En faire un semblant signifie qu’il est allégé de sa fonction de vérité et d’idéal. D’où l’allègement de l’angoisse du même coup, celle-ci étant liée au fait que le sujet tente de s’appuyer sur le sens, sur l’Autre du sens (vérité et idéal). Vouloir s’appuyer sur le sens, c’est vouloir s’appuyer sur un vide, un manque.
Le pas de Lacan a consisté à dire qu’à partir de là, il s’agissait pour le sujet de s’appuyer sur le corps, non plus sur l’être, mais sur l’être là : « L’Autre, c’est le corps ». À partir de là, selon moi, il n’est plus question d’angoisse mais d’insatisfaction. Plus de la vérité en tant que telle, mais du non rapport sexuel, cause de l’insatisfaction (et cause, pour moi, d’une nouvelle tranche).
Ainsi cohabite, d’une part, une façon de se servir de l’objet sans plus y croire, c’est-à-dire en en faisant un « se faire » maniable dans le rapport aux autres, et d’autre part, la question du non rapport. Lacan a proposé, pour articuler cela, de l’écrire sous la forme du nouage.
Il y aurait donc deux temps de l’écriture :
– l’écriture lié à la nomination de l’objet. Nous savons que Lacan noue l’écriture et le nom ;
– l’écriture qui permet de nouer la pulsion (le « se faire ») et le non rapport qui pourrait aboutir au bien-dire du sinthome. (Au fond ma question semble être celle de l’articulation de l’écriture et du bien-dire.)
La passe dont il est question pour nous, avec le dernier enseignement de Lacan, c’est celle de l’écriture du nouage, celle de l’alliance, nous dit J.-A. Miller. Cela peut-il aboutir à un nom ? À une satisfaction qui pourrait s’écrire ? Telle est la question de la passe, avec le dernier enseignement de Lacan.
Autant dire que, pour moi, le sinthome postanalytique est à différencier du sinthome « prostien » ou joycien, qui sont autant de façon plus ou moins géniale de se faire être pour un Autre non barré.
CECI EST UNE RÉPONSE
par Esthela Solano-Suarez
« Lapsus semel fit culpa, si iterum cecideris »
Publilius Syrus
Je ne suis pas la seule à trouver dans le JJ mon « plus de jouir ». Quand il arrive sur mon écran, je le dévore goulûment. Il me permet de m’entretenir avec mes collègues, de les fréquenter, de suivre le fil de leurs questions, de savoir ce qui les touche, et d’entrevoir leurs intimes circonvolutions dans leur rapport à la cause analytique. J’y trouve ici un écho, une sympathie, plus loin une divergence, ou plus tard une expression qui me frappe par sa justesse. Les belles plumes m’enchantent, le bien dire me comble. Le JJ est comme un tricot à plusieurs et, au fil du temps, il devient tissu, ou plutôt dentelle. Il tisse un lien autour du fil d’un débat sur la psychanalyse pure, et par voie de conséquence un débat sur la politique de la psychanalyse. Ce fil fait exister l’École et dessine la trame du discours analytique de demain, parce qu’il aura été aujourd’hui.
Il est alors crucial de bien entrecroiser les fils. Il est un devoir de ne pas les laisser s’embrouiller. Et dans ce dessein, j’écris ici une réponse afin qu’un premier faux-pas ne devienne pas faute quand on y trébuche encore une seconde fois. Je fais référence ici aux échos qu’un texte a pu susciter.
Quid ?
Philippe Chanjou a écrit une contribution au débat sur la passe intitulée « La nécessité de la réponse ou le menteur généralisé », parue dans le JJ n° 64. Je veux apporter quelques précisions concernant ses propos. En premier lieu, la réponse que le cartel a transmise au secrétariat de la passe n’était pas « Vous êtes vivement recommandé à l’École par le cartel », comme il l’a écrit dans son texte, mais : « Le cartel B9 de la passe a décidé de recommander au Conseil de l’ECF l’admission de Philippe Chanjou au titre de membre de l’École ».
Plus loin, il écrit avoir été reçu par « un des membres du cartel, ex AE ». C’est exact, c’est moi qui l’ai reçu à sa demande. Il poursuit : « Un des membres du cartel, ex AE, m’a confirmé le fait que la charge de l’enseignement d’AE était beaucoup trop lourde pour que l’on puisse la confier sans un minimum de garantie concernant la capacité de la personne à pouvoir l’assumer (c’est moi qui parle de garantie – ajoute-t-il – le mot n’a pas été prononcé) ». C’est sa version, telle qu’il l’écrit.
Maintenant je rectifie, et vous donne une autre version.
Je le reçois chez moi, comme convenu. Il entre, s’assied, et me dit être satisfait de la réponse du cartel. Se dit allégé de ne pas avoir été nommé AE, puisque faire un enseignement aurait été une charge trop lourde. J’ai confirmé ses dits, sans plus. Il m’a aussi annoncé qu’il avait pris rendez-vous chez le meilleur d’entre nous pour poursuivre son analyse. Ensuite, répondant à sa demande, j’ai dit quelques mots à propos de son témoignage. Je lui ai dit que son parcours était extraordinaire, ce qui n’est pas faux, et que son témoignage nous avait bien occupés, que nous y avions trouvé l’occasion d’un travail et d’un enseignement, notamment sur deux points, les plus saillants, que je lui ai détaillés.
Quod ?
Voilà ma rectification. Je m’arrête là. Je ne vais pas plus loin, il y a ici une barrière qui ne doit pas être transgressée. Nous pouvons constater encore une fois qu’il est question de malentendu, parce que nous naissons malentendus, comme Lacan le signale. Mais une chose est certaine : en aucun cas un membre du cartel aurait dit à Chanjou : « Nous n’avons pas pu vous nommer AE car nous ne vous connaissions pas ».
Les raisons qui ont conduit le cartel à prendre sa décision concernant cette passe relèvent d’un jugement qui n’est pas de l’ordre du mépris, ni de la sauvagerie de salon réunissant des infatués qui s’érigent en caste. Non, le cartel a pris sa décision depuis le rapport le plus intime avec une exigence éthique. Et ces raisons-là, je me garde ici de les exposer.
DUR SOUVENIR D’UN PASSEUR
par Alain Revel
Ce dont il s’agit s’est passé il y a une dizaine d’années. Quand mon analyste me dit qu’il m’avait proposé comme passeur, cela résonna avec la légèreté d’un Witz. Une aventure s’ouvrait là, sans angoisse, avec juste le bagage que j’avais à ce moment de ma cure. Nul savoir n’était à emporter. Apprendre de cette rencontre, de cette procédure, de cette expérience inédite me souriait. Quelques temps plus tard je rencontrai le passant. Je fus attentif à saisir sa démonstration, à ce qu’il construisait comme moment de passe, à la logique de sa construction ; bref, j’étais soucieux de transmettre ce que ce passant voulait démontrer. Le délai fut long, très long entre cette rencontre et la rencontre du cartel de la passe – je crois bien plus d’une année. Le cartel écouta mon témoignage, me posa peu de questions, quelques précisions me furent demandées sur ce que je voulais dire. Dans le même temps, un autre passeur, expérimenté, me succéda et exposa. Je compris tout de suite le travers de ma transmission : je n’avais pas questionné, dérangé le passant suffisamment. Je m’étais plutôt réglé sur un bien-transmettre ce que le passant voulait faire entendre. Mes questions étaient des demandes de précision, mais ne venaient pas déranger, décaler ses propos. Même si j’avais cherché à réduire au plus vif ce témoignage, disons que j’étais dans une conception plutôt magnétophone du passeur. Le dispositif, un passeur novice et un passeur expérimenté exposant successivement, était enseignant et, je le répète, cela fit mouche immédiatement. Je reconnaissais dans le travers de ma transmission des signifiants personnels, une pente à faire le mort. Je sortis de cette soirée bousculé mais instruit par cela, et pas déçu du tout par cette leçon au vif de la parole. Je restais interrogatif néanmoins par des questions, des débats dans le cartel à propos du passant qui me semblaient plus du registre de l’étude de cas que de l’étude du témoignage de passe, mais, me suis-je dis, ce mystère, ces questions s’éclairciront plus tard en avançant dans la procédure.
Et puis plus rien, plus de passant à rencontrer et aucun autre signe. Au bout d’un certain temps, je demandai à rencontrer M. Kusnierek qui était, je crois, secrétaire de la passe. Elle me reçut très gentiment en me disant que c’était très bien de faire cette démarche. Elle m’informa que j’avais été retiré de la liste des passeurs. Les raisons qui m’ont été communiquées alors me sont restées floues. Ma transmission était imprécise, mais c’était une passe difficile, me fut-il précisé. Pour qui ? L’ambiguïté resta. Flou pour flou, la tyrannie de la transparence n’était pas de mise. Bon, que faire avec ça ? Une déception mêlée d’une certaine amertume. Le temps d’apprendre et voilà que c’est trop tard. Bien sûr ce « trop tard » se conjugua avec mes signifiants, bien sûr je suis revenu dans mon analyse sur cette question de se faire entendre, bien sûr que ce n’est certainement pas sans raison, même si je n’en ai eu qu’un écho lointain, que le cartel de la passe a trouvé ma transmission pour le moins critiquable, mais cela m’a laissé sur un point que j’ai qualifié plus haut d’amer.
Dans la « Proposition sur le psychanalyste de l’École », Jacques Lacan dit des passeurs « qu’ils sont en cette passe… ». Esthela Solano dans le Journal des Journées n° 60 ajoute : « … alors le passeur est supposé être habité par la passion de l’ignorance, laquelle le pousserait à vouloir en savoir un peu plus… ». On peut voir dans cette phrase deux temps, la passion de l’ignorance et le vouloir en savoir un peu plus. L’écoute du passeur confirmé fut un moment pour moi de pousse à vouloir en savoir un peu plus, une curiosité qui ouvrait sur un savoir nouveau possible. Et puis cela s’est arrêté là !
Ce bref temps de passeur me fit apercevoir le délicat d’être « en cette passe », sans savoir et je dirais sans aucune garantie que la dynamique de la procédure même.
Qu’est-il resté de cette histoire ? Dans l’immédiat après coup un désir de ne pas en rester là, qui m’a amené à refaire un contrôle et qui a vivifié ma pratique, mais aussi une zone obscure. Nous étions après Barcelone, scission dans l’ECF, débats sur la passe à l’entrée à ce moment, je crois. Mon regret est de n’avoir pas pu cheminer dans la procédure, et ainsi me faire une idée sur ce que je rencontrais de l’École à travers le cartel de la passe. Bref une rencontre manquée.
LE PASSEUR : ENTRE VIF ET PÉDAGOGIE
par Bruno Tournade
« Mais le réseau dont il s’agit est pour moi d’autre trame,
de représenter l’expansion de l’acte psychanalytique. »
Jacques Lacan, « Discours à l’École freudienne de Paris », Autres écrits, p. 268
Ce n’est pas au titre de passeur, expérience que je ne connais pas, mais en tant que lecteur de Lacan et intéressé par l’École que j’apporte ma touche au débat posé. Les témoignages sur le passeur affluent et viennent répondre à la question qui sous-tend une partie du débat : à quoi sert le passeur ? Plus exactement : le passeur peut-il transmettre ou non le témoignage du passant au-delà du point où ce passeur en est de sa propre analyse ? Ce débat a fait résonner pour ma part une remarque fulgurante dans le Séminaire L’Angoisse qui, s’il est énoncé avant 1967, n’en détermine pas moins une logique de la procédure.
Lacan annonce dans ce Séminaire qu’il « adhère en effet à un mode pédagogique », mode par lequel il va démontrer que « l’enseignement existe » (p. 298 du Séminaire X). « Tout l’intérêt de la pédagogie scolaire est de saisir ce point vif, et de devancer ce que l’on appelle les capacités mentales de l’enfant par des problèmes les dépassant légèrement ».
Lacan ne perd jamais de vue, d’autant plus en 1963, la question de la transmission de la fin de l’analyse (il évoque, p. 300, le rapport de l’angoisse à la castration : « il ne suffit pas que nous sachions qu’il est vécu comme tel dans telle phase dite terminale – elle l’est ou non – de l’analyse pour que nous sachions véritablement ce que c’est »).
C’est bien ce principe, ce « mode pédagogique », qui semble participer du passeur dans le dispositif : le problème de la fin de l’analyse le « dépassant légèrement », il va pouvoir, si le témoignage du passant le dépasse suffisamment, à la fois témoigner du point vif et révéler – peut-être sans s’en rendre compte – au jury si le passant a été un bon enseignant. Ne trouve-t-on pas dans ce mode à la fois une tension et un nouage entre l’acte et sa possibilité d’être enseigné ?
Prendre ce point du Séminaire X au sérieux permet de juger de la capacité d’un futur AE, via le passeur, à enseigner – le vif de l’acte – en dehors d’une preuve par titres et travaux. Si en 1963, la pédagogie de la castration (titre donné par Jacques-Alain Miller à cette partie de la leçon XIX) permet de rendre compte de « la position du a au moment de son passage par ce que je symbolise sous la formule du (-φ) » (Séminaire X, p. 300), l’enjeu actuel n’est rien de moins que le trou creusé dans la science par la psychanalyse : entre la vérité qu’il n’y a pas et le savoir dans le réel, il y a une place, non pour un sujet indéterminé, mais pour l’acte analytique.
BULLETIN DE SANTÉ DE LA PASSE,
ET QUELQUES QUESTIONS
par Sonia Chiriaco
Ces jours-ci, on secoue la passe : serait-elle inerte ?
On veut la vivifier : serait-elle en train d’agoniser ?
Il semble qu’on ne nomme plus d’AE à l’École de la Cause freudienne, mais qu’ailleurs les nominations se poursuivent : simple contingence ?
Les exigences de la passe y seraient-elles devenues inaccessibles au point qu’il n’est plus de nomination possible ?
L’AE serait-il idéalisé au point d’être mort, et la passe statufiée sous l’emprise de l’idéalisation ?
Si c’est le cas, nous sommes tous responsable de cela.
La passe, ce n’est pas la garantie, c’est plutôt un pari.
Lacan, en inventant la passe, voulait contrer la mortification produite par les listes de didacticiens : la passe serait-elle devenue elle-même une entreprise de didacticiens ?
Alors la boucle serait bouclée, et nous n’aurions plus qu’à réinventer la passe.
Ou autre chose.
REGARD EN ARRIÈRE
par Jacques-Alain Miller
Le débat sur la passe dans le Journal des Journées s’achemine vers sa première scansion suspensive : demain à 20h 00, le Journal cessera d’accepter de nouvelles contributions sur le sujet. Son éditeur éprouve l’envie de jeter un regard en arrière, comme pour voir l’ anamorphose des Ambassadeurs. Comment diable tout ceci a-t-il commencé ?
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Je connais à peine Sophie Gayard. Je me souviens d’un verre pris avec elle à la terrasse de La Marquise, au coin de la rue de Vaugirard et du boulevard du Montparnasse, en compagnie de l’équipe qui sortait de corriger un numéro du Nouvel Âne. Je l’avais revue ensuite une fois, l’an dernier, dans mon bureau, à ma demande, pour évoquer les entretiens qu’elle avait eus avec les candidats à l’entrée dans l’École.
C’est de Sophie que, le mercredi d’après les Journées de Novembre, je reçus une lettre que je publiai aussitôt, telle quelle, ou presque : je crois me souvenir de lui avoir demandé l’autorisation d’ôter un point d’exclamation.
Je la relis, cette lettre. Candidate retoquée à la passe, Sophie avait dû prendre sur elle pour l’écrire, franchir une réserve que l’on devine lui être, si je puis dire, naturelle. Une voix s’élève, douce, modeste, qui n’accuse personne, sinon celle qui parle :
Depuis samedi soir, à la mi-temps des formidables Journées qui viennent de se produire, j’ai à faire avec moi-même à un petit quelque chose qui ne va pas. Depuis samedi soir, c’est-à-dire depuis l’assemblée générale de l’École. Une discussion a commencé à y avoir lieu concernant la passe, après que Gil Caroz fort judicieusement n’a pas laissé passer la remarque de Bernard Seynhaeve sur – le peu serait encore trop dire – l’absence de nomination d’AE depuis plus d’un an. Je n’ai pas pris la parole alors que je n’étais pas tout à fait d’accord avec une partie de ce que j’ai entendu. Voilà ce qui fait mon mécontentement d’avec moi-même.
Elle dit alors quelque chose de simple et d’audacieux à la fois, et de parfaitement original : que la question de la passe ne se réduit pas à l’AE ; qu’il convient de « prendre les choses par un autre bout » ; que « c’est la place de la passe dans l’École qui est en jeu » ; que c’est « une bataille de chaque instant », homologue de « la bataille concernant la place de la psychanalyse dans le monde ».
Et voici que, à la fin du texte, la voix, voix d’écriture, petite voix d’une femme mécontente d’elle-même, déplace son point d’émission pour se faire la voix de quelque chose comme l’esprit de la psychanalyse – bousculant les discours gourmés, interpellant, prenant à partie chacun d’entre nous :
Certes, nous pouvons nous désoler que la boîte aux lettres du secrétariat de la passe soit vide (l’est-elle d’ailleurs tant que ça ?), mais disant cela, ne méconnaît-on pas qu’on est en train, je ne sais pas comment le dire mieux, de « mettre la faute du côté de l’autre » ? C’est cela qui a résonné si désagréablement à mes oreilles samedi soir. Car le dispositif implique chacun dans l’École. Que disent les passeurs ? Que disent les analystes qui les nomment ? Que disent les passants qui ne sont pas nommés ? Que disent les analysants qui hésitent à s’y présenter ? Un certain recueil de ces multiples expériences, malgré le un par un qui singularise chacune, ne pourrait-il pas éclairer aussi la réflexion qui s’impose ? Car la passe n’existe pas sans eux tous.
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D’où parlait cette voix ? Et de quel droit parlait-elle ? Eh bien, du droit de parler, tout simplement – droit heureusement préservé dans cette École, droit de parler sans avoir titre à le faire, droit de parler à tort et à travers, oui, parfois, et surtout quand les bouches autorisées sont muettes, et tiennent pour décision de haute politique de se mettre aux abonnés absents.
Bref, une Sophie mécontente d’elle-même a su faire ce qu’un Collège de la passe n’a pas su, pas pu, pas voulu faire : s’autoriser de soi-même ; inviter l’Ecole à parler ; interpréter le désir de cette École, bien au-delà de ses membres légaux ; et inscrire la question de la passe dans la politique de la psychanalyse.
Je suis le premier à souffrir de l’insuffisance de ce Collège, puisqu’il me doit son nom, son existence et sa fonction statutaire.
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Ce Collège s’est de lui-même mis hors jeu. « Je n’y suis pour personne ».
Ses membres ne sont pas en cause, ce sont d’excellents collègues, et sitôt libérés de leur carcan, ils ont pris avec empressement leur place dans le débat. Mais ce débat, le grand déversoir qui commence, nous ne le devons ni à eux, ni à moi, nous le devons au courage d’une voix menue.
Un Collège siégeant à huis clos, et délivrant ses recommandations à un Conseil lui-même impénétrable, il fallait ça en 1982 pour renouer avec l’expérience de la passe, Lacan n’étant plus là. Ses élèves – élèves prétendus, ex-petits malins qui avaient compris que le plus sûr moyen de remplir leurs cabinets, c’était de coller à Lacan d’assez près pour que s’égarent sur eux quelques paillettes de son habit de lumière -, ses élèves n’avaient rien eu de plus pressé que de renier la passe, la calomnier, la ridiculiser, la piétiner.
Eh bien, ce Collège modèle 1982, révisé en 2007, a implosé sous nos yeux. Les rescapés se sont engouffrés dans le Journal des Journées, où ils ont rejoint, un par un, le tout-venant. Ils ont très bien fait. Ceci signifie quelque chose : que désormais, les fondements de la passe seront discutés par tous, et à ciel ouvert.
Opportunisme ? Populisme ? Adaptation à la « modernité », voire à la « postmodernité » ? Plus simplement, c’est un retour aux sources. Si la passe a pris racine dans l’École de la Cause freudienne, c’est pour trois raisons :
1. parce que j’avais démontré, et déjà pendant la dissolution de l’École freudienne de Paris, que ce n’était pas une partie jetable de l’enseignement de Lacan, mais un site névralgique dont l’ablation était impossible, sauf à sortir du champ freudien proprement dit ;
2. parce que je lui avais donné forme opératoire par la rédaction de deux textes réglementaires, dont chaque mot avait été posé, pesé, scruté, argumenté, au cours de longs, d’interminables débats, pendant une année entière ;
3. parce que j’avais obtenu sur ces textes l’approbation quasi-unanime des membres de cette École, exprimée par un vote lors d’une Assemblée générale extraordinaire.
Le crédit que cette procédure à ciel ouvert avait valu à la passe, fut encore augmenté par la pertinence de certaines nominations (non pas toutes) qui apparurent probantes. Ce crédit a été follement dilapidé. La futilité du dernier Collège de la passe a achevé de l’épuiser. L’encaisse-confiance est désormais vide. Il convient dès lors de la reconstituer.
Il ne suffira pas de quelques raccords, de deux ou trois rustines, pour que l’économie libidinale de la passe reparte. La première condition pour surmonter la crise de la passe à l’ECF est de reconnaître sans ambages que la passe de papa est morte.
Il s’agira en 2010 de la refonder, comme nous sûmes le faire en 1982.
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Le Conseil d’administration qui, en 2007, prit sous son bonnet de modifier un texte voté à la quasi-unanimité des membres, commit sans nul doute ce qui s’appelle en bob français un abus de pouvoir.
Oh ! je ne jette la pierre à ses membres : j’ai appris la procédure choisie, j’ai articulé ma désapprobation, mais je ne me suis pas insurgé, j’ai laissé faire ; tout étant sans dessus dessous, l’affirmation répétée de la suprématie du « Bureau » semblait promettre un effort résolu pour ranimer la passe.
Le fait est, à vrai dire, de peu d’importance, auprès de la déconstruction méthodique dont a été l’objet le système de la passe que j’avais monté.
Un exemple. Lors d’une récente réunion du Conseil où j’étais à titre d’invité – la première à laquelle j’avais accepté de participer depuis de nombreuses années – Esthela put me dire sans être démentie que, depuis sept ans, il n’y avait plus d’enseignement des Cartels de la passe. « Considérez que je suis tombé de ma chaise », lui dis-je. En effet, l’obligation d’enseigner faite aux Cartels de la passe, figure, ou figurait, en bonne et due forme dans les statuts.
Des statuts ne sont rien si le désir n’est pas là.
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En définitive, cela donne de l’espoir. La passe a été, si je puis dire, construite par la main de l’homme, elle a été détruite par la main de l’homme, elle peut être reconstruite par la main de l’homme.
L’atonie, voire l’asphyxie de la passe à l’ECF, a des raisons précises. Toutes ne sont pas aussi évidentes que celles que j’évoquais, certes, mais elles peuvent être cernées. Aucun mystère. Des causes, des effets.
L’instant de voir dont Sophie Gayard a été le lieu pour nous tous, a été suivi d’une cascade de « témoignages » qui en répercutaient la surprise.
La prochaine « Conférence sur la passe », inaugurera formellement le temps pour comprendre, qui déjà s’installe à pas comptés dans ces pages.
Le moment de conclure suivra à son heure et en son lieu.
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Jusqu’à présent, le passeur a été curieusement placé au centre de l’intérêt. Le bataillon des contributions issues du Collège de la passe a pesé en ce sens. C’est que le plus substantiel de sa première réunion (le secrétariat m’en a communiqué le compte-rendu), un « tour de table » qui prit trois heures, fut un témoignage saisissant sur le sujet. Et tous, ou presque, d’emboîter le pas. Pourtant, était-ce « le bon bout », le seul « bout » ?
On aurait pu s’intéresser, par exemple, aux jurys. On se serait alors aperçu de la disparition des enseignements. On aurait appris que le rapport des Cartels de la passe avait cessé d’être publié dans la revue – depuis 2002, m’a-t-on dit. On en serait venu à questionner le désir de ces Cartels ces six dernières années, et l’interprétation du désir de l’École par ces Cartels. On aurait thématisé le désir de nommer et le désir de ne pas nommer, le désir d’encourager et celui de décourager.
Les Cartels de la passe, le temps où ils sont en fonction, sont l’Autre à qui l’on s’adresse. Quel était, ces six dernières années, leur message, au delà de l’énoncé ?
On ne peut pas nommer tout le monde, sans doute. Il faut donc à la machine des refusés. Et ceux-ci n’ont aucune raison de se réjouir, ni d’entrer dans les raisons de leurs juges. Mais un affect récurrent de découragement semble avoir provoqué dans l’Ecole une épidémie. Elle n’a pas épargné les Cartels eux-mêmes, qui se sont reclus dans le silence.
Il faut maintenant des chiffres. Combien de temps encore nous les fera-t-on attendre ?
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Que seront après le 1er janvier les Cartels de la passe à l’ECF ?
Je serai dans l’un, Éric Laurent dans l’autre. Miquel Bassols et Serge Cottet, anciens plus-un, se répartiront de même, ainsi que les AE, Bernard Seynhaeve et Antoni Vicens. Voilà ce qui résulte des six dernières années. Deux passeurs seront tirés au sort. Deux plus-un seront choisis.
J’aimerais pour ma part m’employer de cette place à entretenir dans l’Ecole l’esprit des Journées. Avec l’ensemble des membres, et les fameux « nouveaux venus », je travaillerai volontiers à repenser et refonder pour le 21e siècle la précieuse invention de Jacques Lacan, celle d’une procédure permettant de vérifier la fin d’une analyse, tout en déjouant la cooptation et la fermeture (« Serrata » de Venise) que préfèrent naturellement les gens en place.