JOURNAL DES JOURNÉES Le jeudi 14 janvier 2010, édition de 13h 36 N° 83 « Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages. » Jacques Lacan, Ecrits, p. 321
LE MOUVEMENT DE LA CA– USE FREUDIENNE, OU COMMENT ON RÉSISTE AU DÉLUGE DE L’ÉVALUATION AU XXIÈMESIÈCLE
par Clotilde Leguil
Pourquoi un tel élan vers l’Ecole de la Cause freudienne aujourd’hui ? Pourquoi sommes-nous si nombreuses, nombreux, d’âges différents, de milieux différents, de formations différentes, à avoir trouvé auprès de l’Ecole de la Cause freudienne, sans nécessairement en être membres, le lieu où nous désirions nous former et apporter nos compétences singulières ? Que se passe-t-il dans notre société pour que l’Ecole de la Cause freudienne au XXIème siècle n’apparaisse plus seulement comme une école de psychanalyse, parmi d’autres, mais comme un lieu depuis lequel on chercherait à échapper au déluge, pour pouvoir continuer à créer quelque chose sans être emporté par les impératifs du Surmoi contemporain ? J’ai rencontré l’Ecole de la Cause Freudienne à l’aube du XXIème siècle et je me souviens du cours qu’avait fait Jacques-Alain Miller sur ce qui allait changer en cette nouvelle année où pour la seconde fois dans l’histoire de l’humanité, 4 chiffres nouveaux apparaissaient. Je perçois dans cette nouvelle ère, inaugurée en 2000, et dans laquelle nous sommes entrés par une tempête menaçante, l’arrivée de nouveaux enjeux politiques et éthiques qui ont aussi changé le sens d’une école de psychanalyse. C’est que l’Ecole de la Cause freudienne prend un visage particulier au XXIème siècle alors que l’approche cognitiviste est en train de tisser sa toile et de recouvrir toutes les formations, qu’elles soient scientifiques, médicales, humanistes, philosophiques. C’est que l’évaluation quantitative est en train de tuer toute pensée, mais aussi toute créativité et que chacun, sans toujours saisir pourquoi, éprouve un malaise dans le monde du tout-quantifiable en vue d’une réussite aveugle. Alors nous errons à la recherche d’un lieu où la parole pourrait prendre une autre valeur, où la réponse pourrait être reconnue sans être calculée, où la singularité peut être accueillie sans être stigmatisée. Nous errons comme des âmes perdues dans un monde sans âme et un jour, pour certains d’entre nous par le plus grand des hasards, pour d’autres par des séries causales plus identifiables, peu importe, un jour, voilà que nous avons entendu un autre discours, nous avons entendu comme l’évoque poétiquement Jean-Claude Troadec le mot de « désir », et nous avons senti qu’il y avait là un discours qu’on n’entendait nulle part ailleurs. Je me souviens moi aussi du titre du Forum anti-TCC « Le désir est de retour » qui m’avait enthousiasmée, car je crois que pour la première fois, je voyais le signifiant « désir » apparaître ailleurs que dans les textes philosophiques. Ce n’était donc pas qu’un concept, mais une réalité. Et j’ai su que c’était ce désir là – au cœur de la cité – qui me donnait envie de m’engager. Parce qu’ailleurs, c’est le déluge et tel des êtres menacés, nous ne voulons pas voir notre subjectivité être emportée par le monde vide de l’évaluation anonyme. L’Ecole de la Cause freudienne m’est alors apparue, très vite, non pas tant comme un refuge où se cacher, en attendant en silence que cela s’arrange, mais comme un refuge où résister, une enclave de liberté depuis laquelle on combattrait à plusieurs le tsunami de l’évaluation cognitivo-comportementale qui s’abat sur notre société sous le déguisement d’une promesse de bonheur et de progrès au service de l’humanité. Une cité dans la cité depuis laquelle on pourrait faire entendre que le désir, lorsqu’il est de retour, nous permet de nous avancer d’un pas décidé vers le XXIème siècle en vue de défendre une autre approche de la civilisation, celle qui donne envie de contribuer à ses avancées.
***** EXTRAITS DE LNA 10
Anaëlle Lebovits, Ultimate fight
Le « management par le stress » appuyé sur l’évaluation, la quantification et le comportementalisme a montré ses effets. On ignore si les employés rompus à ces méthodes sont aujourd’hui plus rentables qu’autrefois – on peut en douter –, mais on sait en revanche, qu’ils dépérissent. Yonnel Dervin vient de faire paraître Ils m’ont détruit ! Le rouleau compresseur de France Télécom. Il n’est pas seul à dire les humiliations et vexations qu’inflige le management « rationnel » auquel cèdent trop d’entreprises de l’hexagone. Car comment procède-t-il, ce management ? Pour réduire les coûts de production, il entend réduire les salariés au seul comportement pour lesquels ils sont rémunérés. Ce que la machine ne peut faire, des hommes le font, mais si possible comme des machines.Tout ce qui distingue l’humain du robot programmé pour exécuter sa tâche est ainsi abrasé, éradiqué, interdit. Désubjectiver l’employé pour plus de rentabilité, voilà le programme des réjouissances. À ce titre et en toute logique, ce qui les distingue les uns des autres – leurs sentiments, leur histoire, leurs conceptions, leurs émotions – n’a plus droit de cité au travail. Pour un manager en quête de rentabilité, un employé se réduit au maillon interchangeable d’une chaîne de production. La disparition pure est simple de la scène dont s’éjectent les suicidés interprète le discours managérial. « Tu peux me remplacer, eh bien, vas y, remplace-moi », dit le mort, d’entre les morts.
Benoît Delarue, Les Cleanersde la mort
Ouvrons le second rapport de l’Inserm consacré à la mise en œuvre de l’autopsie psychologique1des personnes décédées par suicide. À la demande de la Direction générale de la santé, des experts se sont réunis en se fixant comme objectif de « comprendre ce qui […] a pu conduire au geste suicidaire, sans prétendre expliquer la décision unique d’un sujet face à un phénomène aussi complexe ». Le caractère réactionnel du passage à l’acte suicidaire est d’emblée écarté ; la visée de l’autopsie psychologique est au contraire de quantifier le comportement suicidaire et d’en identifier la « vulnérabilité génétique ». Mais par quels procédés ? Pour mener la recherche à bien, il est préférable que le sujet soit mort car sinon il serait susceptible de biaiser les données. Une fois désencombrés de l’obstacle qu’il constituait de son vivant, les experts proposent une investigation de la psyché du mort. Elle consiste à enquêter auprès de l’entourage du suicidé pour établir par la méthode statistique, les facteurs de risque « psychosociaux » du suicide. Ce recueil d’informations est complété par l’exploration de la trajectoire de soins et des services reçus par l’usager, afin d’aboutir à un diagnostic de personnalité avec le dsm-iv. Parallèlement, un « calendrier de vie » retrace les étapes du développement de l’individu. Les données sont rassemblées pour établir une cote de risque suicidaire et une cote de prévention. Le panel d’experts qui s’en charge produit ensuite une évaluation schématisée repérant les troubles éventuels et l’intervention à engager, en chiffrant de 1 à 5 la chance de prévenir le suicide. Cette cote sert ensuite à engager des campagnes de prévention, notamment contre la dépression.
Anne Béraud, Monique Seguin et l’autopsie psychologique
Spécialiste du suicide, Monique Seguin jouit au Canada d’une grande reconnaissance. Elle a reçu de nombreux prix. À ce titre, elle est membre d’une expertise sur le suicide dirigée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France. Ph.D. en psychologie, Monique Seguin est professeur de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, membre du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie de l’Université du Québec à Montréal, directrice du Laboratoire d’étude sur le suicide au Centre Fernand-Seguin à l’Hôpital Lafontaine (Montréal), collaboratrice au Groupe McGill d’études sur le suicide qui travaille sur les « facteurs de risque associés aux comportements suicidaires et aux maladies qui lui sont reliées comme la dépression » à partir du tissu cérébral, du génome, des facteurs cliniques et sociaux.
Caroline Pauthe-Leduc, Contrat et politique de mort
Qu’est-il attendu des demandeurs du rsa ? Il s’agit d’être assuré que le travail paie et que l’inactivité coûte. « Sans renoncer au devoir ordinaire d’assistance », est-il exposé sans rire, « la collectivité se propose d’aider les plus pauvres à s’aider eux-mêmes par le travail, le changement d’attitude supposant de leur part un arbitrage réfléchi ». « Pour les personnes qui ne travaillent pas, l’accompagnement repose sur une logique de droits et de devoirs. » Nous y voilà. Le contrat « librement débattu » entre le bénéficiaire et le représentant du département atteste « leurs engagements réciproques en matière d’insertion professionnelle ». Librement ? Quelle liberté a-t-on quand l’enjeu de la négociation porte sur les subsides nécessaires à la vie même ? Le demandeur est ainsi tenu de donner non seulement les preuves de sa soumission, mais encore le signe de son consentement à ce qu’on lui inflige. Preuves de recherche d’emploi, de création de sa propre activité, ou de suivi des actions d’insertion qu’on lui « prescrit ». En cas de manquement « sans motif légitime » à n’importe quel terme du contrat, ou s’il refuse deux offres « raisonnables » d’emploi, le versement du rsasera suspendu. Celui pour qui travailler est impossible, pour des raisons diverses, est perçu comme une anomalie à supprimer. Avec le rsa, l’effet de ségrégation va encore se radicaliser. À bon entendeur ! Ne manque plus à présent que l’effort renouvelé des urbanistes pour empêcher les clochards de s’asseoir.
FORUM DU 7 FÉVRIER
« Évaluer tue », présidé par BHL
de 10h à 19h, à la Mutualité, 24, rue Saint-Victor, 75005 Paris
LE CONGRÈS DE L’ AMP
Inscrits Le nombre d’inscrits au 11 janvier est de 831 587 membres de l’AMP et 244 nouveaux venus
Journée clinique Les 33 travaux sélectionnés pour la Journée clinique du 28 avril 2010
1- Abello, Eduardo. El padre y lo ridiculo. 2- Accarini, Irene Leonor. La palabra entre semblante y sinthome. 3- Alvarenga, Elisa. A falo como semblante para um homem. 4- Arpin, Dalila. Faire de l’autre le point de mire. 5- Béraud, Anne. Jouissance feminine et sinthome. 6- Bonnaud, Hélène. Conception, semblant et sinthome. 7- Castellanos de Marcos, Santiago. El ilusionista. 8- Charraud, Nathalie. Du rond de ficelle au trèfle. 9- Chiriaco, Sonia. Le bruit des talons. 10- Deltombe, Hélène. Du symptôme au sinthome. 11- Drummond, Chistina. Crer non corpo. 12- Ferretti, Maria Cecilia Galletti. Tudo é protocolo. 13- Focchi, Marco. « Tutto ma questo no ! » 14- Francesconi, Paola. L’insulto como Partner. 15- Freda de, Damasia Amadeo. Del maltrato al amor. 16- Ganivet-Poumellec Anne. Un compte à rebours. 17- Gayard, Sophie. Fermer les yeux. 18- Georges, Nathalie. Le procès verbal. 19- Goya, Amanda. Cuando un semblante se queda corto. 20- Horne Reinoso, Victoria. Garder la main. 21- Jude, Nicolas. « Je suis borderline ». 22- Kuperwajs, Irene. La « intacta ». 23- Luka, Adriana. « Yo no pertenezco a ese club ». 24- Mandil, Ram. Corpo : semblantes e sinthoma. 25- Mauas, Marco. La histeria no es teatro. 26- Meut, Catherine. Un travail sur le désastre. 27- Naveau, Pierre. L’Européenne et son pari. 28- Quenardel, Claude. « Faire homme ». 29- Recalde, Marina. Un-padre, un uso possible del semblante. 30- Rossi, Liliana. Del fracaso del semblante al sinthoma. 31- Ruda, Marcela. Ricardo : semblante y sinthoma. 32- Sinatra, Ernesto. Un analisis cientifico. 33- Souto, Simone. Um jeito para o sinthoma.
Les auteurs qui ne sont pas sur cette liste sont invités à présenter une nouvelle contribution. De même, les nouveaux venus sont très vivement invités à présenter la leur, leur première dans un Congrès de l’AMP. Vos contributions porteront sur l’un des trois thèmes suivants au choix : a- la procédure de la passe et sa possible reconfiguration; b- la position de psychanalyste-psychanalysant, telle qu’elle apparaît après les Journées de Novembre et ENAPOL ; c- la question du Sinthome, à savoir le mode de jouir, dans les différentes dit-mensions du réel, du symbolique et de l’imaginaire.
Blog du Congrès
Dans le Blog de l’AMP, (http://amp2010paris.wordpress.com) vous pouvez lire: a‐Le travail de préparation et de réflexion du Comité d’Action de l’Ecole Une. Ces écrits se trouvent dans la rubrique Papers et travaux. b‐La bibliographie raisonnée sur le thème du Congreès. c‐Les comptes rendus des Soirées Scilicet a` l’EOL, l’ECF et l’EBP. d‐Un texte, à lire absolument, sur la bibliographie du thème du Congrès. e‐Les événements culturels a` Paris pendant la période du Congrès. f‐Une sélection des hôtels et hébergement à Paris.
Vous êtes vivement invités à envoyer des textes pour le Blog, courts ou longs, selon votre souhait, à partir de vos réflexions et commentaires sur le thème général du Congrès et surles trois axes plus haut désignés, a` l’adresse suivante : [email protected]
2010 7 février : Forum des psys sur l’évaluation 11 avril : Forum des psys sur la justice 26-30 avril : Congrès de l’AMP 29 mai : Journée du Cereda 5 juin : Colloque du Cienà Nancy 26 et 27 juin : Journées de la NLS à Genève 10 et 11 juillet : Journées de l’Ecole à Rennes 25 et 26 septembre : “Médecine et Psychanalyse” à Clermont-Ferrand 9 et 10 octobre : Journées de l’Ecole à Paris
2011 2 et 3 juillet : PIPOL V à Bruxelles
www.causefreudienne.org ECF 1 rue Huysmans paris 6è Tél. + 33 (0) 1 45 49 02 68 diffusé sur ecf-messager, forupsy, et amp-uqbar