EDITORIAL
Ce numéro 107 de la Cause du désir a pour titre une jaculation de Jacques Lacan. Celle-ci n’est pas une signification, n’en cherchons pas la définition dans un dictionnaire. Yad’lun appartient au domaine de la résonance. C’est un événement sonore, tel un morceau de poésie.
Issu du dernier enseignement de Lacan, c’est sous ce signifiant surprenant que ce premier numéro de la nouvelle équipe a souhaité s’inscrire. Pour l’illustrer, nous avons choisi une œuvre du grand peintre américain Barnett Newman, lequel expliquait qu’il fallait s’approcher de ses peintures pour être enveloppé par la couleur dans toute sa densité. En psychanalyse, c’est au niveau de la langue que s’atteint l’Un tout seul.
Nous tenons à saluer le travail accompli par l’équipe précédente de la revue de l’École de la Cause freudienne qui nous a conduit jusqu’aux rives d’élangues singulières et multiples. Comment concevoir qu’il y ait de l’Un face à la pluralité des modes de jouir contemporains ?
Nous sommes partis de l’idée qu’il n’y avait guère moyen d’appréhender ce qu’est l’Un en psychanalyse sans les avancées considérables de « L’orientation lacanienne ». En effet, comme Jacques-Alain Miller l’indique, Yad’lun complète l’autre aphorisme de Lacan passé à la postérité selon lequel il n’y a pas de rapport sexuel. D’un côté, il y a et de l’autre, il n’y a pas. Qu’est-ce qui existe au regard de l’écriture impossible du rapport entre l’homme et la femme ?
Lors d’un entretien à l’hôpital Sainte-Anne sur le savoir du psychanalyste, en juin 1972, Jacques Lacan mentionnait les deux étapes autour du Yad’lun : le dialogue du Parménide et la théorie des ensembles. L’écart parait vertigineux entre l’œuvre centrale de la métaphysique platonicienne et la branche des mathématiques qui permet de construire les entiers naturels par récurrence à partir de l’ensemble vide. En quoi ces deux moments cruciaux de la pensée concernent-ils la psychanalyse ? Qu’est-ce donc que l’Un qu’il y a ? Ce numéro parcourt les ambiguïtés de l’Un qui s’incarne dans la langue, entre phonème, mot, phrase et pensée. Lacan le désigne comme le signifiant-maître et l’illustre par le rond de ficelle dans le Séminaire Encore.
Rappelons-nous que dans la phase classique de son enseignement, Lacan avait mis l’accent sur l’Autre comme lieu du signifiant. Mais ce sujet produit par l’articulation signifiante S1-S2, s’il est bien un être de langage, existe-t-il ? Après tout, Œdipe aussi est un être de langage, comme la licorne que Lacan prenait comme exemple : l’un et l’autre existent-ils ailleurs que dans la réalité de nos fictions et de nos fantasmes ? Et le désir inconscient qui court sous la chaîne signifiante, renvoie-t-il à autre chose qu’au manque-à-être, insaisissable comme le furet qu’on n’attrape jamais ? Ainsi, comment savoir si le sujet du signifiant n’est pas, lui aussi, du même ordre que cette ombre fugitive et s’assurer de l’existence du réel, sinon par la marque inaugurale d’un événement ne cessant pas de s’imprimer sur le corps.
L’écriture de l’Un s’avère solidaire d’une répétition qui gêne le bon fonctionnement de l’individu. Seule l’analyse – non point la thérapie qui s’efforce de l’éradiquer à l’aide du sens, tâche impossible – s’avère susceptible de transformer un trouble de jouissance en création, sinthome.
Nous avons souhaité explorer l’Un qui ne se noue pas à l’Autre dans ce numéro de La Cause du désir. Nous vous en souhaitons une palpitante lecture
Laura Sokolowsky
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
Laura Sokolowsky
SCIENCE ET VÉRITÉ
De l’Un, y en a, François Regnault
L’ORIENTATION LACANIENNE
Lire l’Un-signe, présentation par Pascale Fari
L’Un est lettre, Jacques-Alain Miller
YAD’LUN
Lacan présocratique, Yves Depelsenaire
L’atopie d’un désir, Guillaume Libert
Le trait unaire, pas à pas, Philippe De Georges
Une vision du ruissellement de l’Un, Éric Laurent
Yad’la lettre et le corps parlant, Marie-Hélène Brousse
L’Autre est l’Un en moins, Dalila Arpin
L’homme, la femme… l’Un, Christine Maugin
La jouissance de la pensée, Esthela Solano-Suárez
DIALOGUE
Contrer l’universel, entretien avec Philippe La Sagna et Rodolphe Adam
SUR LA PASSE
« Hey-guylle », Guy Poblome
Retour vers le futur, Dominique Jammet
Ce qui est vivant en moi, Gabriela Medín
Trace d’un dédoublement, Clotilde Leguil
POÉTIQUE
La marelle comme dessin d’un destin, Pierre Naveau
SINGULARITÉS
Chloé ou l’après-père, Philippe Hellebois
Tomber et se relever, Fabian Fajnwaks
Une écrivante, Mathilde Braun
Nuits atroces, Marga Auré
DES SYLPHES AUX CIMES
Le Un le plusieurs les pluriels et les nombres, Luc Garcia
La classification des éléments d’après Mendéléeff, Gaston Bachelard
DE PICTURA Yves Le Monochrome, Gérard Wajcman