La journée de l’ECF du dimanche 11 avril
Criminologie et psychanalyse – n° 2
Modérateur : Pierre Naveau
22 mars 2010
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Réflexions sur l’obligation de soins
L’obligation de soins relève du code pénal (article 132-45). Elle est mise en œuvre sans procédure particulière. C’est une mesure applicable avant ou après déclaration de culpabilité, sans organisation des relations entre les autorités judiciaires et sanitaires, ni exigence d’une expertise médicale préalable. Avant déclaration de culpabilité (donc avant jugement), l’obligation de soins constitue une modalité du contrôle judiciaire et, après déclaration de culpabilité (après jugement), elle constitue une obligation particulière, prévue par le code pénal (article 132-45), en cas d’ajournement avec mise à l’épreuve, en cas d’emprisonnement assorti du sursis avec mise à l’épreuve et en cas de mesure d’aménagement de peines. L’expertise préalable n’est pas nécessaire pour ordonner ou supprimer l’obligation de soins. L’obligation de soins peut être ajoutée ou supprimée par ordonnance du juge de l’application des peines à tout moment de la mise en œuvre de la mesure. Enfin, le dispositif repose sur la production d’un justificatif de suivi par l’intéressé. La concertation entre l’autorité judiciaire et le personnel de santé reste à la discrétion des acteurs de terrain.
L’injonction de soins relève, elle, d’une loi. Elle a été créée par la loi du 17 juin 1998 relative au suivi socio-judiciaire. Elle est applicable, lorsque le suivi socio-judiciaire est encouru (c’est une sanction) et lorsqu’une expertise médicale conclut à la possibilité de soins. Elle fait intervenir le médecin coordonnateur en application des dispositions de l’article L. 3711-1 du code de la santé publique. L’injonction de soins est, donc, une mesure attachée à une peine de suivi socio-judiciaire ; elle implique l’organisation de relations entre les autorités judiciaires et sanitaires, notamment par la biais de la présence d’un médecin coordonnateur qui fait le lien entre le soignant et le juge d’application des peines. L’expertise médicale préalable est nécessaire pour l’ordonner ou la prononcer, et la supprimer, le cas échéant, après débat contradictoire. À la différence de l’obligation de soins, le personnel de santé, ici sollicité pour l’exécution d’une injonction de soins, a un lien de subordination aux autorités judiciaires et doit signaler au médecin coordonnateur le non respect de la mesure par le sujet.
Chez les cliniciens, il y a souvent une grande confusion entre ces deux prescriptions de soins relevant du champ judiciaire. Pour ma part, dans ma pratique en institutions de soins ambulatoires comme dans ma pratique en cabinet libéral, je n’ai eu, jusqu’à ce jour, affaire qu’à des prises en charge psychothérapeutiques relevant de l’obligation de soins, et non relevant de l’injonction de soins.
J’aimerais, à cette occasion, vous faire part de quelques réflexions que m’a inspirée ce qu’a impliqué, comme bouleversements dans le champ de la santé mentale, l’extension galopante de l’application des obligations de soins depuis une vingtaine d’années.
Tout d’abord, un premier point de réflexion. Il est clair que le lieu de la prescription de soins s’en trouve déplacé : il n’est plus l’apanage des seuls médecins ni du ressort des cliniciens habilités à traiter les demandes du tout venant. Le lieu de la prescription relève, de plus en plus, du ressort des juges, ou d’autres instances publiques mises en place, comme les *Centres Ressource* spécialisés dans le dépistage scientifique des troubles à corriger (addictions, délinquances sexuelles, autisme, troubles du langage, …). Et le soin s’inscrit, désormais, dans une économie politique. Ce déplacement de la prescription est tout particulièrement sensible en clinique infanto-juvénile. Dans le champ social (l’école, les PMI, les médecins généralistes, …), les familles sont invitées, de plus en plus, à aller consulter ces *Centres Ressource* réputés performants et sensés être à la pointe des évaluations scientifiques. Une fois les diagnostics établis après la série d’examens et de questionnaires effectués auprès des enfants, les familles se trouvent alors orientées vers les consultations publiques de secteur (CMP ou CMPP), pour assurer les traitements jugés adéquats aux diagnostics établis et ce, du fait que ces *Centres Ressource* n’assurent pas le suivi thérapeutique. Quand les familles prendront alors rendez-vous auprès des équipes de secteur (CMP ou CMPP), elles auront déjà en poche une prescription à laquelle les autres cliniciens seront sensés se conformer. D’où l’imbroglio dans lequel se trouvent, désormais, les équipes relevant des lieux de soins classiques face aux demandes préprogrammées dont ces familles se trouvent porteuses plus ou moins à leur insu. Elles ne comprennent pas toujours qu’on s’intéresse encore au “sujet” singulier qui s’agite derrière les troubles de leurs enfants et qu’on veuille prendre son temps pour évaluer ce qui fait symptôme et non trouble. Les cliniciens se retrouvent, pour le coup, en position d’applicateurs de soins et, pour le moins, auxiliaires de la justice ou de ces instances sanitaires gouvernementales. Ils auront de plus en plus à endosser la responsabilité de leur impuissance à circonscrire, par les soins qui leurs sont demandés, cette “dangerosité” tant redoutée et décriée par les pouvoirs publics. Nous pourrions alors assister à une nouvelle chasse aux sorcières. Il est demandé, dorénavant, aux cliniciens d’assurer l’ordre public, en ayant à se porter garants de la dangerosité ou de la non dangerosité des délinquants, voire des sujets psychotiques, alors même que la dangerosité n’est pas un concept clinique. On assiste donc, là aussi, au glissement d’une clinique du sujet et du symptôme (ouverte à l’intervention du psychanalyste) à une pseudo clinique du trouble de la conduite, à une clinique du trouble de l’ordre public (ouverte aux interventions des techniciens cognitivo-comportementalistes).
Deuxième point de réflexion. En l’espace de quelques années, l’accélération de l’application des obligations de soins pratiquées en milieu carcéral (en SMPR ou en UCSA) a gonflé démesurément la demande de certificats de suivis que font des patients pouvant se déclarer soumis à une obligation de soins, alors même qu’il n’en est rien. Cette profusion de demandes de certificats et autres justificatifs montre la perversion qu’a introduit le système des obligations de soins. Tout le monde veut, aujourd’hui, son certificat, pour inscrire, désormais, toute demande à l’adresse de l’administration judiciaire ou pénitentiaire sous la fiction d’un aval médical qui opérerait comme un sésame. Assisterait-on à une obligation de soins généralisée à l’aune de l’évaluation généralisée ? Il semblerait qu’un glissement s’opère à l’insu des juges et que l’on soit passé de l’originaire obligation de soins, somme toute compréhensible comme effet de l’évolution des traitements judiciaires appliqués aux contrevenants, à l’obligation de se prémunir, pour les sujets concernés, contre le champ d’application ordinaire de la justice en la contournant (ce qui, dans le champ freudien, équivaudrait à vouloir se prémunir contre la castration).
Enfin, un troisième point de réflexion. Si l’obligation de soins est censée s’adresser à toute forme de délinquance, ma pratique de longue date en SMPR [1] me conduit au constat qu’elle est plus systématiquement appliquée dans les différentes formes de délinquances sexuelles. Il y a une certaine antinomie entre la notion d’obligation de soins et le fait de son application auprès de sujets s’inscrivant du côté de la structure perverse. En effet, si l’on s’en tient aux modalités subjectives, relevées par Hervé Castanet, par où la perversion s’ordonne (“La perversion n’est pas la pulsion ; elle n’est pas réductible à une accumulation instinctuelle que l’acte (pervers) déchargerait” ; “La perversion n’est pas une question – à la différence de la névrose, et, notamment, de l’hystérie. Autrement dit, la perversion n’est pas un symptôme. Non seulement, elle n’est pas, généralement, ce dont le sujet se plaint, mais elle n’est pas réductible par le dénouage de la question … qu’elle ne recèle pas. La perversion (dans ses attitudes, comportements, rituels et surtout passages à l’acte) est une réponse. » [2]), l’obligation de soins semblerait, pour le coup, incompatible avec la position perverse d’un sujet contrevenant à la Loi, dans la mesure où, pour lui, ses actes sont des réponses à une question qu’il ne se pose pas. Le pervers n’est pas un sujet divisé, c’est un sujet qui agit selon le bon droit de sa nature. Mais la clinique psychothérapeutique permet, parfois, des vacillements dans la position d’un sujet pervers qui peuvent lui permettre d’entrer dans le dispositif de l’obligation de soins au même titre qu’un sujet névrosé qui, lui, s’y conforme plus aisément, en y trouvant un point de soulagement quant aux questions qu’il se pose d’entrée de jeu.
José Rambeau
[1] SMPR : Service Médico-Psychologique Régional, implanté dans les grandes maisons d’arrêt.
[2] Castanet H., La Perversion, Éditions Anthropos, 1999, p. 3.