La journée de l’ECF du dimanche 11 avril
Criminologie et psychanalyse – n° 3
Modérateur : Pierre Naveau
24 mars 2010
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Risque et prévention
Depuis les années 70, le risque est devenu un objet d’évaluation – jusqu’à occuper une place prépondérante actuellement – qui concerne de nombreux domaines (économique, sanitaire, environnemental, etc.) dont celui du crime et de la délinquance.
Dans le champ Justice/Pénal, les différentes lois [1], votées ces dix dernières années, ont fait émerger l’aspect prépondérant pris par le rapport d’expertise dans les décisions judiciaires, avec une demande explicite : celle de l’évaluation de la dangerosité et du risque de récidive.
Cette notion de “risque de récidive” appelle quelques réflexions.
Tout d’abord, pointons qu’elle ne va pas sans un corollaire, la prévention [2], soit la “réduction des risques”. Réduction des risques qui fait apparaître une croyance, celle de, faute de pouvoir résorber violence et jouissance, au moins de tenter de les décontaminer socialement. C’est aussi le rêve de pouvoir traiter la jouissance mathématiquement. Aux USA, cela a donné lieu aux sentencing guidelines, ici aux peines planchers. Traitement mathématique qui provoque l’éviction de toute forme de subjectivité, que ce soit du côté de celui qui est en infraction ou du côté du magistrat.
Appréhender le crime ou le délit en termes de probabilités revient à déconsidérer l’acte. Le passage d’une expertise de la responsabilité à celle d’une expertise de la dangerosité et du risque de récidive ne correspond-il pas au passage d’un acte, dont le sujet a à répondre, à une catégorie criminologique, à un pourcentage, qui le fixent dans un déterminisme dont il ne peut se déprendre ? Enfermé dans le savoir de l’expert, le sujet est éliminé de son acte. Exclu d’une position où il aurait à répondre de lui-même, c’est à l’expert que l’on demande de le faire et, là où la responsabilité est évacuée du côté du sujet, c’est du côté du magistrat et de l’expert qu’elle fait retour.
N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur ces questions, quand, traditionnellement, en droit, la notion de responsabilité était liée à celle d’intentionnalité, c’est-à-dire à l’imputation d’un acte à un sujet qui doit en assumer sa causalité ? Questions d’autant plus pressantes qu’à l’heure actuelle les frontières entre la peine et le soin tendent à se confondre : une injonction de soin peut venir comme alternative à une peine privative de liberté qui prendra effet si le soin s’interrompt : soin ou peine ? Condamnation par le soin ou soin par la peine ? Quel sens, aujourd’hui, est-il donné à la peine, à la condamnation ? Et quelle place est-il fait à la maladie mentale ? Les déclarations d’irresponsabilité pénale par les experts psychiatres se font de plus en plus rares, alors que, dans le même temps, les mesures d’incitation, voire d’obligation de soins, prolifèrent et conditionnent le devenir judiciaire du condamné, tant au niveau du prononcé de la peine que de son exécution – mesures d’aménagement de peine.
Par ailleurs, la prévention de la récidive est venue se substituer à la notion d’insertion/réinsertion. Notion, certes, qui ouvre, à elle seule, un débat. Qu’est-ce qu’être inséré ? Est-ce avoir un travail ? Ne pas travailler est-il synonyme de non-insertion ? Et celui pour qui toute sa vie se résume au travail, est-il un modèle d’insertion ? Si l’insertion se définit par le fait d’être dans le lien social, alors la marginalité ne peut-elle être un mode de lien social ? La question de l’insertion pose, avant tout, la question de la position qu’occupe le sujet dans le lien social, c’est-à-dire de la façon dont il y loge sa particularité, le plus intime de lui-même, soit sa jouissance. C’est aussi la façon dont il fait place à l’Autre. En se centrant sur la notion de risque, on essaie de rationaliser, maîtriser, par le calcul, la jouissance.
Et pourtant, depuis Freud, il est impossible de méconnaître qu’avec l’humain, la violence ne peut être réduite à des comportements utilitaires. La guerre, la cruauté, sont inhérentes à la civilisation, comme manifestations de la contradiction entre les exigences pulsionnelles du sujet et les exigences sociales, et, plus fondamentalement, comme manifestation, au niveau social, de ce que Freud a mis en évidence au niveau du sujet : la pulsion de mort. Il n’y a que l’homme pour ne jamais tarir en inventions, en raffinements dans la cruauté et la violence, en pure jouissance, sans aucune autre forme d’utilité. À la suite de Freud, Lacan a repris la question de la pulsion de mort à travers le concept de jouissance, en ajoutant qu’il n’est de sujet que comme sujet social – c’est-à-dire dans un rapport à l’Autre. La jouissance est ce qui fait obstacle au lien social, sauf à être pris dans des discours qui apparaissent comme des modalités de traitement de la jouissance, sauf à apparaître dans des symptômes qui se présentent comme des modes d’inscription de la jouissance. Concevoir les modalités d’exécution de la peine sous le seul angle de l’évaluation de la dangerosité/risque de récidive fait l’impasse sur les possibilités créatrices du sujet, sur ce que le temps passé en prison aura permis de construire : un projet qui fera fonction de suppléance et lui permettra de se soutenir dans la vie, dehors.
J’exerce en Maison Centrale – prison pour détenus condamnés à de très longues peines et à perpétuité – et je ne cesse de m’étonner devant le parcours accompli par certains détenus, souvent incarcérés pour des faits terribles, mais qui ont su se saisir des espaces d’élaboration offerts et se mettre au travail.
Valérie Ricau
[1] Notamment la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, ainsi qu’à la protection des mineurs (plus particulièrement des dispositions relatives au suivi socio judiciaire) + Loi du 12 décembre 2005 (qui est relative au traitement de la récidive des infractions pénales et qui dit, dans son article 723-31, que le risque de la récidive doit être constaté par une expertise médicale ordonnée par le JAP ou le procureur, afin de faire apparaître ou non la dangerosité du condamné) + Loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
[2] Ce champ de la prévention très présent au Canada a, entre autres, contribué à l’essor des termes de “facteurs de risque” et de “facteurs de protection”. Les premiers facteurs accroissent l’incidence du risque, les seconds la diminuent. La toile de fond de cette approche est donc statistique.