Le Monde et Le Figaro divergent profondément dans leur appréciation. Pour Le Monde, c’est une « visite sans risque » ; au Figaro, le titre est tout autre : « Déplacement de Hollande: la colère des familles d’autistes ». Cette divergence amène Le Figaro à donner la parole au seul président de Vaincre l’autisme, très mécontent de la prise en charge des enfants dans le système de santé et des orientations du 3e plan autisme, qui prévoit des places d’accueil réservées aux personnes avec autisme plutôt que l’accueil en milieu ordinaire. La mise en exergue de son seul point de vue est étrange puisque l’association Vaincre l’autisme a été l’objet d’un rapport de l’IGAS soulignant ses pratiques budgétaires atypiques, mettant en péril sa propre pérennité et le fonctionnement des écoles d’orientations comportementales qu’elle gère en partenariat avec le système de soins(3) – les pratiques de cette association apparaissent dans ce rapport pour le moins très particulières. À l’opposé du Figaro, Le Point souligne plutôt favorablement l’orientation du plan : « Lancé en mai 2013 et doté de 205 millions d’euros, le 3e plan autisme prévoit, entre autres mesures, la création de 3400 places d’accueil supplémentaires d’ici à 2017 pour des enfants et des adultes autistes ainsi qu’un dépistage précoce, dès l’âge de 18 mois. »(4)
La Société des lecteurs du Monde avait sans doute anticipé la visite présidentielle en organisant, le 7 octobre, en partenariat avec le Fonds de dotation Robert-Debré, une rencontre sur le thème « L’autisme : que savons-nous, que faisons-nous ? ». Les invités en étaient : le professeur Philippe Evrard, président du groupe de pilotage « Recommandation de bonne pratique » de la Haute Autorité de Santé, chef de service de neurobiologie pédiatrique et maladies métaboliques à l’hôpital Robert- Debré (honoraire) ; la professeure Nadia Chabane, chef de service de pédopsychiatrie-autisme à l’Université de Lausanne (Centre hospitalo- universitaire vaudois), Mme Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, M. Nicolas Chevassus-au-Louis, docteur en neurosciences et journaliste scientifique. La Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, le docteur Ségolène Neuville, était annoncée mais s’est excusée, empêchée de venir au dernier moment.
Les invités représentaient tous l’École de l’hôpital Robert-Debré, et c’est sans doute pourquoi le président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré a fait une brève apparition au début de la réunion, « pour nous soutenir », a salué le Pr Evrard. Celui-ci est également président du Conseil d’Administration du Fonds de dotation Robert-Debré – Paris-Ile- de-France, lequel, né en avril 2012, a pour mission de recueillir des fonds pour les « pôles d’excellence » de l’hôpital. L’un de ces pôles est « la création d’un centre de recherche en imagerie pédiatrique pour la détection précoce de l’autisme ». La Pr Nadia Chabane avant d’être en fonction à Lausanne l’était à Robert-Debré, où elle travaillait déjà en liaison étroite avec l’équipe de l’IRM fonctionnelle de Monica Zilbovicius à Orsay dans sa recherche d’un marqueur biologique pour tout le spectre autistique.
Parmi les invités, personne pour représenter l’École pédopsychiatrique rivale de l’hôpital Necker. On était donc dans l’approche hyper-bio sans partage, alors que Necker, avec Bernard Golse, réserve une place pour l’approche psychodynamique. Le président du comité de pilotage du rapport de la HAS a présenté la méthode retenue et les recommandations de bonne pratique auxquelles avait abouti le comité, en résumant très clairement les points essentiels. Il a beaucoup insisté sur le coût des dépenses publiques annuelles en faveur de l’autisme, soit 1,4 milliards d’euros « hors coût sanitaire », et notait le faible taux de satisfaction des usagers du système de soins. Seul 1/3 des interrogés s’estiment satisfaits des soins reçus ou accordés à leur enfant. C’est crucial, il faut répondre aux attentes en améliorant le chiffre de satisfaits. Il s’est aussi réjoui de constater que les recommandations de bonne pratique élaborées par les organismes équivalents en Angleterre, le NICE en 2013 et, en Belgique, le KCE (les initiales en flamand sont plus brèves) qui sera rendu public dans une quinzaine de jours sont, selon lui, très homogènes. C’est sans doute le biais hyper-bio qui l’amène à minimiser le fait que seul le rapport français met un tel accent sur les techniques ABA, alors que le NICE est plus diversifié et que le rapport belge, à paraître, a eu le temps d’intégrer les résultats de Bruno Falissard et Jean- Michel Thurin sur l’efficacité des méthodes psychodynamiques avec un soin méthodologique dernier cri.
Nadia Chabane a présenté les « Interventions précoces et adaptées » recommandées par le troisième plan autisme. Elle a fortement insisté sur le caractère « sur mesure » du parcours d’accompagnement de la « personne avec autisme ». Elle a aussi mis l’accent sur l’apprentissage dans une atmosphère accueillante, chaleureuse, centrée sur le plaisir et la récompense. Elle déminait ainsi sans doute les critiques qui ont accompagné la publication du rapport de l’IGAS(5) sur la plainte d’un parent contre les méthodes coercitives utilisées dans le centre ABA de Lille, ainsi que les difficultés du partenariat public-privé avec les écoles gérées par Vaincre l’autisme à Paris et Toulouse. On aurait aimé que les recommandations HAS mettent autant l’accent sur le plaisir et le jeu tout en mettant en garde contre l’apprentissage purement répétitif.
Ensuite, la présidente d’Autisme France a souligné que le plan autisme allait dans le bon sens mais qu’il y avait beaucoup à faire. Encore trop d’enfants autistes sont confiés à la psychiatrie qui n’applique pas assez les bonnes recommandations de la HAS. En phrases simples et décidées, elle faisait montre que sa combativité n’était pas apaisée par les avantages obtenus. Les familles qu’elle veut représenter demandent davantage. Elle aussi faisait, comme les scientifiques, usage d’une présentation à l’aide d’un Power Point. Cet usage donne d’ailleurs une sensation bizarre. L’écho entre les exposés et les diapos donne le sentiment d’être soi-même dans une séance de remédiation cognitive. L’oratrice a rappelé les grandes orientations de son association. La lutte contre la psychanalyse et sa conception de l’autisme comme « choix du sujet», la lutte contre la psychiatrie et l’institutionnalisation, au détriment de l’insertion en milieu ordinaire, enfin la trop grande timidité du pouvoir politique à imposer des changements de pratiques du milieu. Son association se démarque cependant du maximalisme de Vaincre l’autisme. En somme, Autisme France se voudrait mainstream.
Enfin, M. Nicolas Chevassus-au-Louis a fait une brève intervention, en se passant de Power Point, à la surprise d’une partie du public attendant la science et ses graphes. Il y a vingt ans, son intervention n’aurait pu durer que deux minutes. On ne savait rien. Les connaissances actuelles impliquent plus de 400 gènes qui codent tous pour des protéines impliquées dans le développement embryonnaire en général. Cela permet d’ouvrir la voie à des modèles animaux de fabrique des comportements stéréotypés et à des perspectives de médication cependant encore à concrétiser. La grande surprise des derniers développements de la recherche réside dans la découverte de facteurs génétiques et protéomiques communs dans des maladies qui peuvent être associées à l’autisme comme l’épilepsie et à des maladies qui n’ont « rien à voir » avec l’autisme comme la schizophrénie.
La parole était alors à la salle et ses questions. Le public regroupait un mix habituel aux réunions de ce genre ayant lieu en fin d’après-midi. Des parents ou grands-parents d’enfants avec autisme, des membres d’associations, plus ou moins activistes, des praticiens de toutes obédiences, en général à la retraite, des étudiants en neurosciences, et des curieux. A la question : « Pourquoi mon fils autiste a t-il le diagnostic de psychose infantile?», le professeur Evrard répond de manière diplomatique que le sens du terme de psychose a changé, comme celui de handicap. « Pourquoi prescrit-on des neuroleptiques aux personnes avec autisme?». Réponse: il y a des recommandations de bonne pratique là-dessus aussi. Une psychanalyste du groupe PREAU est intervenue pour dire que la psychanalyse, ce n’est pas ce que certains documentaires montrent, et ce n’est plus Bettelheim. Les études menées par son groupe de recherche sur la sensorialité des sujets avec autisme permettent de mieux savoir entrer en relation avec eux.
J’ai posé deux questions. L’une sur les raisons du biais ABA de la HAS française, plus marqué que ses homologues européennes, en particulier la KCE Belge qui fait sa place aux approches psychanalytiques. L’autre sur les tensions entre la volonté de définition d’un trouble autiste séparé de toute la clinique et le retour par les voies de la recherche scientifique elle-même des liens entre autisme, schizophrénie et troubles bipolaires. Le professeur Evrard convenait qu’il était difficile de vraiment séparer ABA de la visée des bonnes pratiques, et la professeure Chabane admettait que les nouvelles découvertes neuro-développementales retrouvent des mécanismes communs à toute une série de troubles. Nous voilà revenus à la case départ.
Notes: