Lacan Quotidien : Lacan disait que ses
Écrits étaient « pas à lire ». De Jacques-Alain Miller, au contraire, on vante
toujours la clarté d’expression et les formulations limpides. Est-ce si simple
?
Écrits étaient « pas à lire ». De Jacques-Alain Miller, au contraire, on vante
toujours la clarté d’expression et les formulations limpides. Est-ce si simple
?
Hervé Castanet — Jacques-Alain Miller lui-même
revendique cette « clarté d’expression » et les « formulations limpides ».
Parmi de nombreuses citations, j’en isole deux.
revendique cette « clarté d’expression » et les « formulations limpides ».
Parmi de nombreuses citations, j’en isole deux.
Dans sa
préface à Un début dans la vie (Le Promeneur, Gallimard, 2002), il écrit : «
j’avais eu d’emblée le goût de l’analyse grammaticale, et […] je ne me donnais
pas pour satisfait avant d’avoir atteint l’os des discours, le squelette des
doctrines. […] J’avais été serf de cette passion. Elle me brûlait, me
consumait. L’analyse me permit de m’en émanciper, de la domestiquer, et
désormais d’en jouer comme d’un instrument. Ce qui m’a animé dans la pratique
de la psychanalyse vient de là ». De fait, l’analyse grammaticale et la logique
réunies font l’os et le squelette de ses textes.
préface à Un début dans la vie (Le Promeneur, Gallimard, 2002), il écrit : «
j’avais eu d’emblée le goût de l’analyse grammaticale, et […] je ne me donnais
pas pour satisfait avant d’avoir atteint l’os des discours, le squelette des
doctrines. […] J’avais été serf de cette passion. Elle me brûlait, me
consumait. L’analyse me permit de m’en émanciper, de la domestiquer, et
désormais d’en jouer comme d’un instrument. Ce qui m’a animé dans la pratique
de la psychanalyse vient de là ». De fait, l’analyse grammaticale et la logique
réunies font l’os et le squelette de ses textes.
Dans
son long entretien, « Le démon de Lacan » (Le diable probablement, n° 9,
Verdier, 2011), il revient sur cette affirmation : « À partir du moment où j’ai
commencé à lire Lacan, à l’exposer à mes camarades et à parler avec Lacan, [je
me suis rendu compte que] je le comprenais mieux que personne. Et j’ai dû en convaincre
Lacan lui-même, je ne sais pas très bien comment. » C’est ce que Lacan a repéré
chez le jeune normalien qui commençait à le lire et à l’écouter : que J.-A.
Miller n’était pas fasciné par la seule logique signifiante et ses fulgurances,
qu’il allait être celui qui tordrait « la barre dans l’autre sens » vers ce qui
arrête et fixe le sujet.
son long entretien, « Le démon de Lacan » (Le diable probablement, n° 9,
Verdier, 2011), il revient sur cette affirmation : « À partir du moment où j’ai
commencé à lire Lacan, à l’exposer à mes camarades et à parler avec Lacan, [je
me suis rendu compte que] je le comprenais mieux que personne. Et j’ai dû en convaincre
Lacan lui-même, je ne sais pas très bien comment. » C’est ce que Lacan a repéré
chez le jeune normalien qui commençait à le lire et à l’écouter : que J.-A.
Miller n’était pas fasciné par la seule logique signifiante et ses fulgurances,
qu’il allait être celui qui tordrait « la barre dans l’autre sens » vers ce qui
arrête et fixe le sujet.
Mais
effectivement, « ce n’est pas si simple », selon votre expression. Pourquoi ?
Parce que J.-A. Miller n’est pas seulement celui qui rendrait clair Lacan l’obscur.
Ce qui présupposerait que, dans la psychanalyse, tout peut être rendu limpide
grâce à une écriture percutante et une logique invincible, sûre d’elle. Dans un
texte ancien, avant qu’il n’exerce la psychanalyse, « Matrice » (1968), J.-A.
Miller avait saisi cet enjeu : la logique du signifiant n’est pas la logique
formelle des philosophes. C’est une logique certes, mais qui inclut ceci : « il
n’y a pas de Tout intégral qui ne comporte le manque de lui-même ». Si « la
structure n’est pas un tout », c’est parce que cette place du manque n’est rien
d’autre que celle du sujet. Le savoir sur le papier est une chose, en faire l’épreuve
subjective en est une autre. Le « logicien Miller » deviendra analysant puis
analyste. Il restera logicien mais autrement – pas sans ce à quoi une
psychanalyse conduit : « il y a un manque essentiel (constitutif), un trou dans
l’univers du discours ». La logique en tant que telle n’est pas récusée mais,
incluant désormais la psychanalyse, elle se démarque de celle des purs formalistes.
J.-A. Miller a une belle expression, plus tardive, pour le marteler : « j’ai
mis tout mon effort […] à marquer en quoi, si, selon Lacan, tout est
structure, pas-tout est signifiant ». Ce « pas-tout signifiant », pas si «
simple » que cela, va aimanter son Cours et définir des repères pour la
clinique.
effectivement, « ce n’est pas si simple », selon votre expression. Pourquoi ?
Parce que J.-A. Miller n’est pas seulement celui qui rendrait clair Lacan l’obscur.
Ce qui présupposerait que, dans la psychanalyse, tout peut être rendu limpide
grâce à une écriture percutante et une logique invincible, sûre d’elle. Dans un
texte ancien, avant qu’il n’exerce la psychanalyse, « Matrice » (1968), J.-A.
Miller avait saisi cet enjeu : la logique du signifiant n’est pas la logique
formelle des philosophes. C’est une logique certes, mais qui inclut ceci : « il
n’y a pas de Tout intégral qui ne comporte le manque de lui-même ». Si « la
structure n’est pas un tout », c’est parce que cette place du manque n’est rien
d’autre que celle du sujet. Le savoir sur le papier est une chose, en faire l’épreuve
subjective en est une autre. Le « logicien Miller » deviendra analysant puis
analyste. Il restera logicien mais autrement – pas sans ce à quoi une
psychanalyse conduit : « il y a un manque essentiel (constitutif), un trou dans
l’univers du discours ». La logique en tant que telle n’est pas récusée mais,
incluant désormais la psychanalyse, elle se démarque de celle des purs formalistes.
J.-A. Miller a une belle expression, plus tardive, pour le marteler : « j’ai
mis tout mon effort […] à marquer en quoi, si, selon Lacan, tout est
structure, pas-tout est signifiant ». Ce « pas-tout signifiant », pas si «
simple » que cela, va aimanter son Cours et définir des repères pour la
clinique.
LQ : À qui s’adresse ce livre(1) ? Pour qui l’avez-vous écrit ?
La
collection qui accueille ce livre est destinée au « grand public » – terme qui
inclut le public cultivé qui veut s’informer et les étudiants, voire les
lycéens, qui abordent les textes et les théories. On y trouve disponibles,
comme il se doit dans un tel projet, un Marx, un Foucault, un Deleuze, un
Camus, un Sade, un Genet, un Rousseau, un Machiavel, un Sartre, etc. J’y ai
déjà publié un Freud (2011), puis un Lacan (2013). Bref, on n’y trouve que des
grands auteurs disparus. J’ai voulu y introduire un vivant – un qui est bien
vivant, même : Jacques-Alain Miller.
collection qui accueille ce livre est destinée au « grand public » – terme qui
inclut le public cultivé qui veut s’informer et les étudiants, voire les
lycéens, qui abordent les textes et les théories. On y trouve disponibles,
comme il se doit dans un tel projet, un Marx, un Foucault, un Deleuze, un
Camus, un Sade, un Genet, un Rousseau, un Machiavel, un Sartre, etc. J’y ai
déjà publié un Freud (2011), puis un Lacan (2013). Bref, on n’y trouve que des
grands auteurs disparus. J’ai voulu y introduire un vivant – un qui est bien
vivant, même : Jacques-Alain Miller.
C’est
un livre au format de poche, mais il fait 214 pages. Quelques dessins sobres et
discrets, d’une artiste reconnue, Susanne Strassmann, ponctuent les dix
chapitres. Ce n’est pas un copié-collé, fait rapidement, de textes de J.-A.
Miller, mais un livre avec une thèse explicite, avec une démonstration précise
et logique (appuyée sur la citation et la référence).
un livre au format de poche, mais il fait 214 pages. Quelques dessins sobres et
discrets, d’une artiste reconnue, Susanne Strassmann, ponctuent les dix
chapitres. Ce n’est pas un copié-collé, fait rapidement, de textes de J.-A.
Miller, mais un livre avec une thèse explicite, avec une démonstration précise
et logique (appuyée sur la citation et la référence).
Le
livre est publié dans cette collection afin que la série justement soit
complète : Freud/Lacan/Miller. C’est une façon de faire connaître Jacques-Alain
Miller (son Cours, ses combats, ses actions politiques) au-delà des limites,
même élargies, de notre communauté psychanalytique. Donc, faire savoir au grand
public qui est J.-A. Miller – l’importance de sa lecture de Lacan et des
conséquences qu’il en tire pour la psychanalyse d’aujourd’hui, pas sans
l’action et les initiatives institutionnelles – la création de l’Association
mondiale de psychanalyse (AMP) notamment, la lutte contre l’évaluation, le
combat contre l’obscurantisme des TCC, etc. Les membres de notre communauté, je
l’espère, y retrouveront, non sans logique, le Jacques-Alain Miller qu’ils
lisent, écoutent et, comme moi, admirent (l’admiration étant la première des
passions selon Descartes dans son Traité de 1649).
livre est publié dans cette collection afin que la série justement soit
complète : Freud/Lacan/Miller. C’est une façon de faire connaître Jacques-Alain
Miller (son Cours, ses combats, ses actions politiques) au-delà des limites,
même élargies, de notre communauté psychanalytique. Donc, faire savoir au grand
public qui est J.-A. Miller – l’importance de sa lecture de Lacan et des
conséquences qu’il en tire pour la psychanalyse d’aujourd’hui, pas sans
l’action et les initiatives institutionnelles – la création de l’Association
mondiale de psychanalyse (AMP) notamment, la lutte contre l’évaluation, le
combat contre l’obscurantisme des TCC, etc. Les membres de notre communauté, je
l’espère, y retrouveront, non sans logique, le Jacques-Alain Miller qu’ils
lisent, écoutent et, comme moi, admirent (l’admiration étant la première des
passions selon Descartes dans son Traité de 1649).
LQ : Comment faut-il comprendre le « comprendre » du titre de ce livre ?
«
Comprendre » est le titre de la collection. Je ne l’ai pas choisi. J’en fais
usage. Dans Le Neveu de Lacan, J.-A. Miller rappelle que, du temps de l’École
freudienne de Paris, « il était entendu qu’expliquer Lacan, commenter Lacan,
comprendre Lacan, c’était antipsychanalytique ». Son Cours, L’orientation
lacanienne, a objecté, année après année, à cette sottise.
Comprendre » est le titre de la collection. Je ne l’ai pas choisi. J’en fais
usage. Dans Le Neveu de Lacan, J.-A. Miller rappelle que, du temps de l’École
freudienne de Paris, « il était entendu qu’expliquer Lacan, commenter Lacan,
comprendre Lacan, c’était antipsychanalytique ». Son Cours, L’orientation
lacanienne, a objecté, année après année, à cette sottise.
Ce
Comprendre Miller entend montrer des facettes de J.-A. Miller. Il n’est pas un
résumé de ses travaux, ni un recensement chronologique de ses combats, encore
moins une description de sa vie – professionnelle ou privée. Une thèse
l’oriente. J.-A. Miller, dès 1980 (à Caracas), alors qu’il n’est pas encore
analyste, martèle, et devant Lacan lui- même : « Oui, Lacan a été tourné en un
nouveau Jung, le Jung du signifiant. […] Eh bien, Lacan, ce n’est pas ça, pas
ça du tout. » Réduire la psychanalyse selon Lacan à sa seule affirmation de
l’inconscient structuré comme un langage est une dérive et une idéalisation de
l’expérience clinique. Un « autre Lacan » est à dégager, à promouvoir. Cet
autre Lacan est celui du réel et non plus celui du symbolique… Sans cette
thèse, l’enseignement de Lacan, à partir de son Séminaire VII, L’éthique de la
psychanalyse (1959-1960), est incompréhensible et ses conséquences pratiques,
ignorées. J.-A. Miller a compris cet autre Lacan – le Lacan de la pulsion, du
ça, du fantasme, etc., dégagés par Freud.
Comprendre Miller entend montrer des facettes de J.-A. Miller. Il n’est pas un
résumé de ses travaux, ni un recensement chronologique de ses combats, encore
moins une description de sa vie – professionnelle ou privée. Une thèse
l’oriente. J.-A. Miller, dès 1980 (à Caracas), alors qu’il n’est pas encore
analyste, martèle, et devant Lacan lui- même : « Oui, Lacan a été tourné en un
nouveau Jung, le Jung du signifiant. […] Eh bien, Lacan, ce n’est pas ça, pas
ça du tout. » Réduire la psychanalyse selon Lacan à sa seule affirmation de
l’inconscient structuré comme un langage est une dérive et une idéalisation de
l’expérience clinique. Un « autre Lacan » est à dégager, à promouvoir. Cet
autre Lacan est celui du réel et non plus celui du symbolique… Sans cette
thèse, l’enseignement de Lacan, à partir de son Séminaire VII, L’éthique de la
psychanalyse (1959-1960), est incompréhensible et ses conséquences pratiques,
ignorées. J.-A. Miller a compris cet autre Lacan – le Lacan de la pulsion, du
ça, du fantasme, etc., dégagés par Freud.
« Comprendre » est alors « dénuder
une architecture ».
une architecture ».
LQ : Quels rapports le texte de ce livre
entretient-il avec le moment que nous vivons dans la culture et dans la société
?
entretient-il avec le moment que nous vivons dans la culture et dans la société
?
Sous la
pression de quelques excités et de maîtres qui ont toujours préféré que l’on
dorme gentiment, la psychanalyse a été attaquée, moquée, ridiculisée. Je n’ai
pas oublié – les lecteurs de Lacan Quotidien non plus – le combat passé mené
par J.-A. Miller avec les Forums psys contre l’évaluation généralisée et la
disparition de la psychanalyse que certains espéraient. Nos années actuelles
sont plus calmes, mais les critiques n’ont pas disparu. Dans quelques jours les
prochaines 45es Journées de l’ECF, dirigées par Christiane Alberti, vont
rassembler près de 4 000 personnes. Dans ce contexte, n’est-il pas utile de
rappeler qu’il y a une boussole pour nous repérer, et dans nos sociétés, et
dans notre culture – soit l’œuvre de Freud et l’enseignement de Lacan ? Or ce
rappel de Freud et de Lacan n’est possible, avec cette rigueur et cette
vitalité, que parce que, aussi, J.-A. Miller, par sa lecture et ses actions,
permet au discours analytique d’être vivant et contemporain.
pression de quelques excités et de maîtres qui ont toujours préféré que l’on
dorme gentiment, la psychanalyse a été attaquée, moquée, ridiculisée. Je n’ai
pas oublié – les lecteurs de Lacan Quotidien non plus – le combat passé mené
par J.-A. Miller avec les Forums psys contre l’évaluation généralisée et la
disparition de la psychanalyse que certains espéraient. Nos années actuelles
sont plus calmes, mais les critiques n’ont pas disparu. Dans quelques jours les
prochaines 45es Journées de l’ECF, dirigées par Christiane Alberti, vont
rassembler près de 4 000 personnes. Dans ce contexte, n’est-il pas utile de
rappeler qu’il y a une boussole pour nous repérer, et dans nos sociétés, et
dans notre culture – soit l’œuvre de Freud et l’enseignement de Lacan ? Or ce
rappel de Freud et de Lacan n’est possible, avec cette rigueur et cette
vitalité, que parce que, aussi, J.-A. Miller, par sa lecture et ses actions,
permet au discours analytique d’être vivant et contemporain.
Je termine ce livre par une référence à ce
qui n’a pas encore eu lieu : le prochain Congrès en 2016 de l’AMP à Rio de Janeiro (Brésil) et la conférence de J.-A. Miller sur le « corps parlant » qui
l’oriente. L’histoire n’est pas finie, elle continue – c’est un work in
progress !
qui n’a pas encore eu lieu : le prochain Congrès en 2016 de l’AMP à Rio de Janeiro (Brésil) et la conférence de J.-A. Miller sur le « corps parlant » qui
l’oriente. L’histoire n’est pas finie, elle continue – c’est un work in
progress !
1.
Hervé Castanet, Jacques-Alain Miller, Paris, éd. Max Milo, coll. Comprendre,
2015. Bientôt disponible sur ecf-echoppe.com.
Hervé Castanet, Jacques-Alain Miller, Paris, éd. Max Milo, coll. Comprendre,
2015. Bientôt disponible sur ecf-echoppe.com.
Hervé
Castanet dédicacera son livre
Castanet dédicacera son livre
aux
Journées de l’École de la Cause freudienne,
Journées de l’École de la Cause freudienne,
le
samedi 14 novembre 2015, de 13h à 13h30,
samedi 14 novembre 2015, de 13h à 13h30,
près de
la librairie des J45.
la librairie des J45.
Número completo LQ 541 –> :
http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2015/10/LQ-5411.pdf