Antonio CANOVA (1757 – 1822) Psyché ranimée par le baiser del’Amour
Du tout récent livre de Pierre Naveau, Ce qui de la rencontre s’écrit. Études lacaniennes(1), une thèse se détache, celle de la rencontre amoureuse. En psychanalyste, il réfléchit, construit et prouve la logique subjective de la différence des jouissances entre les hommes et les femmes. Cette thèse inspire l’ensemble du livre. Au fil des pages, Pierre Naveau resserre son propos sur cet événement essentiel de la vie amoureuse et, après tout, assez peu traité en tant que tel. Mon ami et collègue, ayant pris appui sur le Séminaire Encore de Lacan pour étayer sa thèse, m’a appris quelque chose de nouveau.
La question se pose de savoir comment une rencontre peut avoir lieu entre deux, homme et femme, alors que le rapport sexuel n’existe pas. Ce non-rapport sexuel produisant chez chacun les sentiments d’exil et/ou de solitude, c’est justement et paradoxalement l’épreuve de ces affects qui offre la condition pour qu’ait lieu une rencontre (p.186). Un savoir inconscient, celui de ce non-rapport, cesse dans le moment de la rencontre. Ça cesse de ne pas s’écrire. Une béance de savoir apparaît alors.
Un traumatisme se produit par le nœud impossible à faire entre, d’une part, la brèche ouverte dans le savoir et, d’autre part, une parole inassimilable par le sujet.
Un événement de corps est la réponse au traumatisme produit. Lucien Leuwen, au moment de la rencontre, dit ce mot qui lui échappe à Mme De Chasteller : « mon ange »(2). Elle pleure (p.157). Rougissement, pâleur, vertige, colère sont autant de réponses dans le corps d’un savoir qui s’impose et était jusqu’alors insu.
La rencontre, c’est donc une irruption de savoir impossible à subjectiver autrement que dans le corps, par le corps. Le sujet est réquisitionné pour produire un savoir nouveau sur son être avec l’autre, le partenaire. L’amour permet ainsi la rencontre a priori impossible avec l’Autre. C’est l’affaire d’un instant. L’amour, dans son surgissement, pose la question d’un possible rapport. Autant la soudaineté du savoir qu’on est aimé que la difficulté d’assumer ce nouveau savoir propulsent le sujet dans cette problématique nouvelle a priori impossible : être avec l’Autre dans un moment de jouissance. Alors que jusque-là l’exil et la solitude lui confirmaient l’inexistence du rapport sexuel. C’est pourquoi Lacan définit l’amour comme une suppléance au non-rapport sexuel. L’amour est donc un savoir nouveau sur le rapport qui n’existe pas. C’est en tant que savoir (troué) qu’il y supplée.
Une histoire d’amour va s’écrire pour pallier cette béance qui demeurera, quelle que soit l’histoire qu’ils se racontent. Une histoire d’amour faite d’un franchissement au départ, d’une certaine sauvagerie qui suppose « le courage du partenaire » (p.183). Celui de l’homme pour s’affronter à « l’énigme » d’une femme. Celui de la femme pour consentir à « la perversion » de celui-ci qui s’introduit dans son univers avec ce forçage. « La rencontre entre un homme et une femme se révèle, par conséquent, être la rencontre entre une perversion et une énigme. »(p.182) Il faut le mirage de l’amour pour oublier les ingrédients du réel qui apparient l’un avec l’autre.
Notes:
1 Naveau P., Ce qui de la rencontre s’écrit, Études lacaniennes, préface d’Éric Laurent, Paris, Éditions Michèle, 2014.
2 Stendhal, Lucien Leuwen. Œuvres romanesques complètes, t. II, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 2007. _,_._,___