Les urgences de Marianne
Véronique Valls – Hôpital de Jour de Podensac
Le feuilleton préparatoire aux Journées des 23-24 janvier attend vos textes aux adresses
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Lors de nos rencontres avec Marianne, la tonalité des premiers échanges est souvent annonciatrice de ce que sera la journée, chaotique ou plutôt apaisée. Parfois avenante, ouverte à la conversation, demandeuse de travail et appliquée, Marianne se présente également comme « une jeune fille en colère », aux prises avec un monde peuplé d’autres qui lui causent préjudice.
Le trop de présence, la voix, les corps qui bougent, les dires font souvent effraction dans son équilibre précaire. Happée par les autres, dans un transitivisme qui lui laisse peu de marge de manœuvre, Marianne fait feu de tout bois. Les injures se retrouvent dans sa bouche et la colère l’habite au-delà d’un évènementiel qui pourrait avoir valeur de signification. Ce moment de bascule peut se lire sur son corps. En quelques secondes son visage souriant devient alors ravagé, sa parole arrêtée par le surgissement d’un réel qui vient trouer la chaîne signifiante. Au mieux, l’injure est là, qui nous « traite » dans une ultime tentative de mise à distance pour préserver son être. Marianne peut aussi se déchaîner. Les cailloux volent, éclatent les vitres, à l’image de la dislocation corporelle.
Demander qu’elle puisse en dire quoi que ce soit majore souvent la « crise » et fait enfler son « Je suis en colère ! » Parler bas lorsqu’elle parle haut, répondre à coté lui permet souvent un branchement possible à ses objets pacificateurs (tricot, jeux de cartes). Bien qu’elle ne soit pas en mesure de subjectiver ce qui lui arrive, ces activités lui procurent alors un autre mode de satisfaction qui l’autorise à nouveau à être en lien avec les autres.
Le corps de Marianne est le support de nombreuses plaintes. Ce corps la fait souffrir et elle nous met en demeure d’y répondre. Et c’est précisément parce qu’elle nous presse d’y répondre que nous redoublons de prudence.
À l’urgence du sujet, nous répondons par des interventions délibérément mesurées. Ceci dans le souci d’écarter un trop de réassurance banalisante que Marianne entend comme un aveu d’indifférence radicale, voire de désir de mort à son encontre – « C’est ça, tu t’en fous de moi, je peux crever ! » -, ou un trop plein de sollicitude qui majore alors l’angoisse et ne lui laisse comme seule issue que les dérives de l’imaginaire et la flambée des affabulations.
Marianne s’est longtemps présentée comme un garçon manqué. Rare fille parmi les garçons de l’hôpital de jour, elle ne dépareillait pas dans le choix de ses tenues vestimentaires sportives emblématiques des joueurs de foot favoris. Ces tenues garçonnes lui ont permis de trouver la « tenue » de son corps et l’ont autorisée à jouer sa partie avec les autres. De cet habillage du corps qui en passe par le semblant et le support identificatoire à des vedettes connues de tous, Marianne semble en avoir extrait « une certaine brillance » qui, à défaut de la faire fille, pouvait élever son corps au statut de « vivant ».
Dans l’institution, Marianne s’est saisie de différents ateliers et de la présence des femmes pour tenter de localiser quelque chose qui puisse la désigner comme une fille et faire de son corps un objet de discours. Par le biais des signes extérieurs de féminité qu’elle prélève sur l’autre, les bagues, les vêtements à la mode, Marianne fait la fille, faute de l’être. Mais, sans arrimage symbolique du fait de la forclusion, ses constructions sont toujours susceptibles de se défaire. Sans assurance jamais, elle questionne les femmes de l’hôpital de jour. Où trouvent-elles leurs vêtements ? Comment font-elles pour marcher avec des talons ? Mais ce qui du sexuel ne peut se représenter revient toujours avec fracas.
Récemment, Marianne a sollicité un rendez-vous qu’elle déclarait « urgent » pour m’annoncer : « À quatorze ans, je ferai un bébé ! » Il y avait urgence en effet pour elle à traiter l’irruption d’un « bébé » à venir dans son entourage proche. Le long dialogue qui s’en suivit a pu alors faire pour elle effet de précipité dans le discours, en lieu et place d’une précipitation dans le passage à l’acte.
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