Transparence. Le mot est plaisant. Nous accordons volontiers notre confiance à qui y prétend. Certes, le faux est haïssable, l’honnêteté désirable. Et pourtant ! Fichage des populations, évaluation des activités humaines, gestion des citoyens, « secret partagé » sont des formes de transparence. La transparence sert l’intérêt général, dit-on. En savoir toujours plus sur chacun, faute de tout savoir sur tout le monde, concourrait au Bien commun. Est-ce là ce que nous appelons savoir ? Escortée d’une armada de scientistes qui se font fort d’armer la prédictibilité des comportements humains, la conviction que la transparence serait désormais rendue possible par des outils performants n’est qu’une version moderne de cette vieille promesse de lendemains qui chantent. La transparence appliquée à la politique intérieure promettrait plus de productivité, plus de sécurité, plus de rentabilité, bref, le meilleur, bientôt. Aussi l’applique-t-on dans bien
des domaines de la vie sociale, de l’entreprise à la rue, en passant par l’hôpital et l’école. D’aucuns souhaiteraient même que sa lumière atteigne jusqu’aux divans des psys.
Partout, on invite chacun à se dévoiler et à ôter à la vérité ses derniers voiles. L’intime se montre toujours plus à la télé et sur internet, on s’épanche sans vergogne à la radio. On écoute, on raconte, on s’exhibe, on traque le mensonge ou la révélation. Étrange confessionnal en vérité que celui du Loft, où au prêtre silencieux et discret s’est substituée la foule téléspectatrice avide et bavarde. On se met au parler vrai, c’est-à-dire à la langue de bois. On est soi-même.
Car la vérité est désormais à la portée du premier venu. Qu’il sache seulement mieux voir et écouter davantage ! Voilà les nouvelles modalités de la transparence. Aussi bien se repère-t-elle comme idéologie prétendant en finir avec le malheur dont l’opaque serait garant.
Le discours qui fonde la transparence ne date pas d’hier. La vie des autres nous rappelle à point nommé que les régimes totalitaires, au pouvoir pourtant obscur et arbitraire, en prônent traditionnellement les bienfaits. On fait un discours neuf avec des mots anciens – et les maux restent les mêmes. Certes, nous n’en sommes pas là, mais cela seul devrait inquiéter. Car c’est désormais au tour des démocraties de vanter les mérites de cette forme de savoir appuyé sur des technologies qui lui donnent une assurance sans précédent. Ce numéro entend faire droit à une inquiétude et tentera de saisir le ressort d’une telle idéologie en en localisant certains effets. Aux côtés des rares qui s’y emploient déjà, nous attirons un regard vigilant sur ce que sature un regard voyeur, lequel pourrait bien faire figure d’obscurantisme bienheureux.
Anaëlle Lebovits
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Sommaire
> DOSSIER : LA TRANSPARENCE
P. 5/ ADIEU CALCHAS, ADIEU TIRESIAS, par Anaëlle Lebovits
P. 10/ LA TENTATION PORNOGRAPHIQUE DU CINÉMA, par Matthieu Dubost
P. 13/ DÉMOCRATIE AU GOÛT DU JOUR, par Caroline Leduc
P. 16/ TRANSPARENCE ET PARANOÏA, par Damien Guyonnet
P. 19/ OEIL POUR OEIL : BIG BROTHER ET LE PANOPTIQUE, par Aurélie Pfauwadel
P. 23/ L’ÉCOLE, LE SILO ET LA PRISON, par Deborah Gutermann
P. 26/ OPTIMISER L’ÉCOLE, par Alexandra Renault
> > POLITIQUE INTERNATIONALE
P. 30/ LES MISSIONNAIRES ARMÉS, par David Mitzinmacker
P. 32/ LE JUGE ET LES RESCAPÉS, par Valérie Landman
P. 35/ UN CAS D’ÉCOLE, par Alhassan Diallo
> > > INVITÉS
P. 40/ André Glucksmann : AU MIROIR DE TYPHON
P. 50/ Jean-Claude Milner : UN OBSTACLE À LA TRANSPARENCE
P. 59/ Philippe Sollers : LE DÉSIR DE TRANSPARENCE EST UN DÉSIR PLÉBÉIEN
> > > > CHRONIQUES
P. 69/ L’INTERNATIONALE par Raphaël Glucksmann
P. 73/ LE PENSE-BÊTE par Dan J. Arbib
P. 77/ LA THÉÂTRALE avec BERNARD SOBEL, par Anne-Lise Heimburger
P. 81/ DERRIÈRE L’ÉCRAN par Élie Wajcman
P. 84/ ENTRETIEN DANS LE TUMULTE avec AGNÈS AFLALO, par Martin Quenehen