Un point fixe
Ariane Oger – CMP Rennes
Le feuilleton préparatoire aux Journées court sur son erre jusqu’à vendredi soir
Merci à tous les « feuilletonnistes » du RI3
Hervé Damase – Daniel Roy
Jean-Robert Rabanel Modérateur
« L’urgence, c’est quand ça chauffe pour le sujet » écrit H. Damase dans Le feuilleton n°1. Pour Mathis ça chauffe tout le temps. C’est l’état d’urgence permanent.
Ce petit garçon de quatre ans ne marche pas, il court ; il ne cesse de courir d’une pièce à l’autre, d’un étage à l’autre, de l’intérieur de l’hôpital de jour au jardin. Il ne semble pas franchir un seuil. Il n’y a ni dedans, ni dehors. Il se cogne, se blesse, mais jamais ne pleure. Le principe de plaisir est mis hors circuit. Dans cette course effrénée, il est souvent accompagné d’un objet interchangeable dont la condition est qu’il soit volumineux, pour être poussé à deux mains : l’une le propulsant en avant, mais toujours assez près du corps, l’autre le frappant d’un rythme vif et soutenu. Mathis pousse et « botte » les objets, comme il le fait avec les vaches de l’exploitation agricole du père pour les faire avancer dans la salle de traite. Il fait de même avec les soignants, dans une continuité animal-être humain. À certains moments, son corps tout entier n’est plus que ce mouvement. Mathis est ce mouvement. Ces déplacements sont ponctués d’un « Aller aller ! » tonitruant, trognon langagier qui n’a ni valeur d’adresse, ni valeur de communication, mais mène son être de jouissance, le malmène dans une circulation sans fin. Il lui colle au corps. D’être traversé par le langage, Mathis traverse le monde, fend l’espace de ses déplacements sans qu’aucun élément, ni les personnes, ni les meubles, ne viennent l’arrêter, l’entamer. Le retenir physiquement provoque résistance puis angoisse, et enfin abandon total du corps. Corps inerte, masse amorphe, objet chu.
De l’accompagner dans ses déplacements ne fut aucunement opérant. Je décide de construire dans mon bureau un espace clos marqué d’une ouverture, et continue à accompagner Mathis dans ses déplacements, toujours muni de son objet. Soit nous sommes dans cet espace, soit en dehors. Je ponctue nos trajectoires : « Maintenant, elle est dehors » ; « La voici dedans » ; « Elle repart dehors ». Mathis ajoute : « Aller aller ! Elle est dehors. Aller, elle est pas dehors. » Mathis est affairé à ce travail, dans un effort sans cesse renouvelé. Son énoncé se modifie : « On va la chercher, on va pas la chercher. On part, on part pas. Elle avance, elle recule. » Un battement s’instaure.
Puis je décide de ne plus me déplacer mais d’occuper un point fixe en restant dans l’espace délimité. Seules mes paroles accompagnent ses déplacements dans un léger décalage par rapport à mes paroles précédentes : « Elle est là, elle n’est pas là » ; « Elle entre, elle repart ». Mathis continue ses trajectoires répétitives, avec une petite différence : il entre brusquement dans l’espace circonscrit, et s’arrête devant moi. Là, il attend mes paroles, puis ressort tout aussi promptement, se retourne et attend à nouveau mes paroles. Il m’indique à ce moment la place que je peux occuper pour lui, celle d’un point fixe dont il fait usage et à partir duquel ses déplacements vont s’organiser, en aller et retour, et plus seulement en un aller. Mathis, qui n’était qu’un mouvement, devient mouvant. Proposer mon corps comme présence réelle, au sens de présence physique, un corps encadré, maintenu, cerné, mis à distance du sien, un corps avec une parole minimale, a contribué à créer ce point fixe.
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