Discover the new Windows Vista Learn more! n° 31
Insight
Christine Carteron – CTR de Nonette
Le feuilleton préparatoire aux Journées court sur son erre jusqu’à vendredi soir
Merci à tous les « feuilletonnistes » du RI3
Hervé Damase – Daniel Roy
Jean-Robert Rabanel Modérateur
Firmin arrive dans l’institution. Avant d’y entrer, il s’empare d’une grande poubelle à roulettes et tourne autour de la placette ayant en son centre un puits et sa margelle. Le déplacement est rapide, bruyant, semble infini, si ce n’est l’aspiration notable de Firmin vers les rues qui partent de cette place. Ces rues semblent sans limites pour lui. Son accompagnatrice vide le coffre d’une voiture et dépose sur le sol cinq sacs poubelle ; ce sont les effets de Firmin. La voix de l’accompagnatrice lui permet de s’orienter et de se déplacer jusque dans l’institution. Durant de nombreux mois, son activité principale sera de longer, d’arpenter les murs qui la borde. Puis suivra une longue période où il s’appliquera à boucher les trous qu’il rencontre dans l’institution, y enfouissant tous les vêtements, tissus et branchages qu’il trouvera. Cet ouvrage se substituera à une exploration anale sur son propre corps qui le mettait en danger.
Suivra la rencontre avec son analyste : « Monsieurabanal ». Alors Firmin fait une nouvelle trouvaille ; il s’installe, caché, isolé, sur un palier en haut d’un escalier. Il y installe un petit meuble qui va faire office de cuisinière, autour duquel il s’affaire au quotidien.
Depuis qu’il a pris place dans les locaux neuf de l’institution, Firmin a crée un circuit. C’est son activité principale au long de la journée. C’est sa façon de traiter son lien à l’objet oral, sa façon de s’en défendre – mais nous verrons que la défense n’est pas la seule dimension du dispositif.
Il y a d’abord une distribution personnelle, privée, dans laquelle je l’accompagne au petit matin : il se penche au-dessus de mon épaule droite, approche son visage vers le côté droit de mon visage, près de mon oreille, de telle sorte que je ne le vois pas. Il propose : « Ptit eau peut-être ? Hum-hum. Ptit eau fraîche ? » Il me presse. Il est pressé. Il redit. Je lui dis mon accord pour l’accompagner : « Hum – hum. » Nous entrons dans le local cuisine désert. Il nomme chaque objet qu’il prend ; il les dépose avec délicatesse sur le plateau. Il ponctue d’un « Là ! », ou d’un « Voilà ! Hum ! », regard fixé sur le plateau garni de contenants. Il redit « Hum – hum », puis il nomme « Zéro trois », le numéro de sa chambre.
Il accompagne ma main qui ferme à clef la porte du local cuisine, il rejoint sa chambre et s’y installe. Ses contenants privés sont donc préparés. Suit la distribution collective à laquelle Firmin participe à grandes enjambées en suivant vers les quatre lieux d’accueil le véhicule transportant la nourriture. Une excitation sonore, bruyante, accompagne son déplacement ; Firmin semble l’entamer, la morceler en heurtant de façon répétée et vive ses dents avec les doigts ; le son s’en trouve modifié. Une fois cette distribution collective opérée, il peut en revenir à la distribution personnelle et regagner sa chambre où il mange hors de notre regard. C’est une activité privée.
Un début d’après-midi, Firmin, patient mais pressant, ainsi qu’à chacune de mes arrivées, se protégeant du regard, chuchote près de mon oreille : « Ptiteaufraîch ! ? Ptitplateau ! ? » Il me guide vers la cuisine. Arrivés devant un menu que j’affiche en fin de semaine pour la semaine suivante, il m’indique, de son index, les lignes d’écriture du menu du soir à venir. Je lis lentement, avec un semblant de difficulté, tandis que son doigt suit des lettres : « Potage ; terrine ; endives braisées. » Il écoute, silencieux.
Alors que je m’apprête à lire « Entremet », je l’entends dire : « Ètrémé ! » Un rire joyeux me gagne. Je lui dis : « C’est formidable ! Très joli ! » Il me regarde, un peu perplexe, un peu condescendant, sa tête inclinée avec un de ses yeux entrouvert et l’autre fermé. Puis il sourit, puis fait entendre son rire, et je l’entends s’exclamer : « Foumidable ! »
Ce que je trouve extraordinaire, c’est ce passage de « Entremet » à « Ètrémé », où Firmin, par un jeu de la lettre, en fait tomber une, le N : il enlève la haine, et ce qui reste, c’est l’amour.
Toutes les informations concernant les Journées sont sur le site
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